"Je pense qu'il y a quelque chose dans le
modèle standard de la cosmologie que nous ne comprenons pas...". C'est
avec ces mots que Adam Riess, co-découvreur de l'accélération de l'expansion de
l'Univers et prix Nobel 2011, commente ses tout derniers résultats sur la
mesure directe de la constante de Hubble avec la meilleure précision jamais
atteinte, elle est clairement en désaccord avec la valeur déduite des données
du satellite Planck sur le fond diffus cosmologique. Cet écart, déjà observé dans des mesures antérieures (2011 et 2014), et qui se creuse, pourrait impliquer de profonds bouleversements dans le modèle standard de la
cosmologie, le modèle LCDM.
Pour obtenir H0, il faut mesurer des
distances et des décalages spectraux vers le rouge (qui donnent vitesse d'éloignement).
L'équipe de Riess a réévalué ce qu'on appelle les calibrations de l'échelle
des distances. La constante de Hubble est mesurée par la mesure de la distance
de supernovas et de leur décalage vers le rouge (celui de la galaxie où se
situe la supernova). Les supernovas Ia ayant quasiment toujours la même
luminosité, la lumière que l'on en voit ne dépend que de leur distance.
Pour être sûr de la distance des supernovas et donc du ratio distance/luminosité, les astrophysiciens doivent "calibrer" la mesure à l'aide d'autres "chandelles"
montrant elles aussi une luminosité toujours identique. Il s'agit d'étoiles
variables appelées des Céphéides, dont la période de pulsation est directement liée à leur luminosité intrinsèque (plus une Céphéide est lumineuse, plus sa période de pulsation est longue). Il suffit de trouver des supernovas
situées dans des galaxies qui possèdent également des Céphéides.
De la même manière que précédemment, la distance
exacte des Céphéides les plus proches de nous peut être mesurée par un autre
moyen, qui est le moyen astrométrique connu depuis l'Antiquité : la mesure de
parallaxes. Cette mesure n'est possible que pour les régions les moins éloignées
de nous, notamment dans notre galaxie, ainsi que dans notre galaxie voisine la
galaxie d'Andromède, qui a le bon goût de posséder elle aussi des Céphéides.
Illustration des trois niveaux de mesures de distances à grandes distances (Céphéides, SN Ia et redshift) (NASA/ESA, A. Feild (STScI)) |
Les mesures de distances cosmiques sont ainsi
découpées en quatre grandes méthodes (parallaxes, Céphéides, Supernovas Ia, décalages vers le rouge) et
trois calibrations de distances (parallaxe/Céphéides, Céphéides/Supernovas puis enfin
Supernovas/décalage vers le rouge).
Riess et ses collaborateurs ont étudié les deux
types de chandelles standards que sont les Céphéides et les supernovas Ia, dans
18 galaxies différentes comportant ces deux types d'objets, en utilisant des centaines d'heures du télescope
spatial Hubble. Ils soumettent aujourd'hui leurs résultats dans un monumental article de plus
de 60 pages à la revue the
Astrophysical Journal. Ils y montrent comment ils parviennent à réduire
l'incertitude inhérente à ces types de mesures de distance. Alors que la valeur
de H0 mesurée de la sorte auparavant était affublée d'une
incertitude de 3,3%, Riess et son équipe parviennent à la réduire à 2,4%, et
estiment la nouvelle valeur de H0 à 73,02 km/s/Mpc, qui est donc 8% plus
élevée que la valeur déduite des données du satellite Planck.
Mais il se trouve que les chercheurs exploitant le
satellite Planck sont eux aussi très confiants sur leurs mesures du fond diffus
cosmologique, très précises, mais qui conduisent à déduire une constante H0
de 67,27 km/s/Mpc. Comme cette dernière est déduite en prenant en compte les
différents paramètres du modèle standard cosmologique, tout porte à croire,
comme le dit Adam Riess, qu'un élément du modèle est erroné, ou qu'il est
incomplet.
Adam Riess |
Riess et ses collaborateurs montrent enfin une autre piste très intéressante : une explication plausible serait l'existence d'une
source additionnelle de rayonnement sombre dans l'Univers primordial. Cela
impliquerait dans le modèle LCDM une
augmentation du paramètre Neff comprise entre 0,4 et 1 (Neff
vaut aujourd'hui 3,046 dans le modèle).
Une telle augmentation du nombre d'espèces
relativistes dans l'Univers primordial augmente la densité de rayonnement et
donc le taux d'expansion durant la période cosmique qui est dominée par le rayonnement
et elle repousse alors, dans l'échelle cosmique, le moment où rayonnement et matière se trouvent à égalité vers une époque plus proche de nous. Avec un Neff
= 4, d'après les chercheurs, la taille de l'horizon se retrouve réduite de quelques pourcents et H0
est alors augmentée de 7 km/s/Mpc pour un Univers plat (ce qui l'amènerait à environ 74
km/s/Mpc), ce qui est largement suffisant pour réconcilier les mesures de Riess
et celles du satellite Planck aux deux extrémités de l'échelle cosmique.
Adam Riess et son équipe ont d'ores et déjà hâte de
pouvoir repartir à la chasse à l'amélioration des mesures de distance et de H0
grâce aux futures données de distances qui seront accessibles dans les années
qui viennent par les innombrables mesures de parallaxes du télescope Gaïa et l’observation de
nouvelles Céphéides dans la Voie Lactée permettant leur calibration de distance
avec toujours plus de précision. Ils espèrent ainsi pouvoir réduire d'ici peu
l'incertitude globale sur H0 à 1,8%, avec pour objectif ultime d'atteindre
1%...
Quant aux théoriciens, il est fort à parier qu'ils sont déjà en train de noircir leurs tableaux blancs ou blanchir leurs tableaux noirs. Comme le dit Kevork Abazajian, cosmologiste à l'Université de Californie, non impliqué dans cette étude : "Ces résultats ont le potentiel de bouleverser de fond en comble la cosmologie!”.
Sources :
A 2.4% Determination of the Local Value of the
Hubble Constant
Adam G. Riess et al.
Soumis à The Astrophysical Journal
Measurement of Universe's expansion rate creates
cosmological puzzle
Discrepancy between observations could point to new
physics.
Davide Castelvecchi
2 commentaires :
L'ennui du modèle standard, c'est qu'il est trop bien confirmé par toutes les observations.
On dirait que les chercheurs sont bien contents quand ils ont enfin un problème à résoudre!
Bonjour,
Pour mémoire, dans l'article où je propose une explication sur l'énergie noire (https://hal-ens-lyon.archives-ouvertes.fr/ensl-01122689), une des conséquences de cette solution (cf. paragraphe 4) est qu'après une 1ère étape d'inflation, l'accélération de l'Univers devrait diminuer puis dans une 3ème étape ré-augmentée (à l'image d'un oscillateur amortit et potentiellement avoir quelques cycles d'accélération/décélération).
Si nous sommes dans le 1er cycle, cette image serait en accord qualitativement avec le fait de mesurer deux valeurs différentes (potentiellement, si nous étions dans un 2nd cycle, nous pourrions même avoir un autre max et un autre minimum!??).
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