06/01/18

Excès d'étoiles très massives dans la nébuleuse de la Tarentule


De trop nombreuses étoiles massives se forment dans la nébuleuse de la Tarentule, l'une des plus vastes régions de formation d'étoiles, aussi appelée 30 Doradus. La distribution des masses mesurées ne colle pas avec le modèle classique, avec beaucoup trop d'étoiles de masse supérieure à 30 masses solaires, et certaines dépassant allègrement 150 masses solaires.




La région de formation d'étoiles 30 Doradus (30 Dor) n'est pas située dans notre galaxie, mais dans la galaxie naine satellite de la Voie Lactée qu'est le Grand Nuage de Magellan. L'équipe menée par Fabian Schneider (Université d'Oxford), l'a observée avec le Very Large Telescope de l'ESO. Ils ont observé en spectroscopie pas moins de 1000 étoiles parmi les 2400 étoiles jeunes que compte cette région très riche. Parmi ce bel échantillon, les astronomes se sont intéressés plus précisément aux 247 d'entre elles qui montrent une masse supérieure à 15 masses solaires. Leur but était de déterminer la distribution des masses des étoiles massives nées dans cette nurserie stellaire, ce qu'on appelle la fonction de masse initiale (IMF en anglais), c'est à dire la fonction qui donne le nombre d'étoiles en fonction de leur masse.
Les astronomes ont été surpris du nombre élevé d'étoiles très massives présentes, jusqu'à 200 masses solaires pour les plus massives de leur échantillon! Jusqu'à aujourd'hui, dans la plupart des régions étudiées, les étoiles deviennent de plus en plus rares lorsque leur masse augmente. L'IMF théorique (le modèle de Salpeter) suit une loi de puissance et indique que la grande majorité des étoiles est constituée d'étoiles de faible masse et que seulement 1% des étoiles naissent avec une masse supérieure à 10 masses solaires. Et les étoiles massives sont très importantes car elles ont une énorme influence sur leur environnement : elles explosent en supernovas à la fin de leur courte vie, produisent des étoiles à neutrons ou des trous noirs et d'intenses rayonnements et vents de matière à même de perturber et d'enrichir intensément le milieu interstellaire. C'est notamment le rayonnement ionisant des premières populations d'étoiles massives qui a modelé les premières galaxies et à réionisé le milieu intergalactique.

Les observations de Fabian Schneider et ses collaborateurs, publiées hier dans Science, montrent que le modèle de l'IMF est à revoir : les étoiles très massives sont bien plus nombreuses que ce que l'on pensait dans le modèle de Salpeter (qui date de 1955). Cette réévaluation peut ainsi avoir des implications importantes, notamment sur les processus ayant eu lieu dans l'Univers jeune des galaxies naissantes.  Le nombre accru d'étoiles de masse supérieure à 30 masses solaires pourrait avoir pour conséquence, selon les auteurs, une augmentation de 70% du nombre de supernovas par effondrement de coeur (supernovas de type II), ainsi qu'une augmentation par un facteur 3 du taux d'enrichissement du milieu en atomes lourds et par un facteur 3,7 de l'intensité totale du rayonnement ionisant produit par les étoiles massives. Et surtout, ce que déduisent Fabian Schneider et ses collègues, c'est que le taux de production des trous noirs stellaires devrait être augmenté d'un facteur 2,8, les étoiles étant globalement plus massives, la proportion des supernovas formant des étoiles à neutrons serait en effet plus faible. 
Cette prédiction d'un taux de trous noirs plus important et avec des trous noirs plus massifs que ce que l'on pensait correspond assez bien avec les premières détections des interféromètres LIGO et VIRGO qui ont trouvé de manière inattendue des trous noirs plutôt massifs (plusieurs dizaines de masses solaires) via leurs ondes gravitationnelles. Par ailleurs, Fabian Schneider et ses collaborateurs remarquent que de nombreuses simulations cosmologiques à grande échelle utilisent des modèles de synthèse stellaire qui s'arrêtent à 100 masses solaires. Il est clair qu'il va falloir modifier les données d'entrées de ces simulations pour être plus réaliste.


Source

An excess of massive stars in the local 30 Doradus starburst
F. R. N. Schneider, et al.
Science, 359, 69–71  (5 January 2018)


Illustrations

1) Nébuleuse de la Tarentule (30 Dor), avec ses milliers de jeunes étoiles (NASA)

2) IMF mesuré par les auteurs entre 10 et 250 masses solaires (échelle log-log) (Schneider et al., Science)

9 commentaires :

Youx a dit…

Bonjour Eric,
Il y a une notion que je ne comprend pas trop: L'âge d'un nuage, d'une galaxie, d'un amas globulaire. Il y en a qui sont vieux, il y en a des jeunes. Comment peuvent-ils ne pas exister depuis toujours?
Ici, on parle d'une région riche en nouvelles étoiles.
Mais qu'est-ce qu'il y avait là, avant???
À petite échelle, on peut comprendre qu'une supernova contracte un nuage de gaz à proximité, et crée d'autres étoiles.
Mais à cette échelle là, qu'est-ce qui a pu déclencher, tout-à-coup l'effondrement en étoiles d'une masse aussi grande???

Merci!

Dr Eric Simon a dit…

Les seuls "objets" qui existent réellement depuis le "début", ce sont les nuages d'hydrogène. C'est la base de tout le reste. Les premières contractions de nuages ont lieu vers T0+400 millions d'années, les premières étoiles y naissent, formant alors les galaxies. Des galaxies se forment et grossissent en masse dans les 3 premiers milliards d'années, puis ensuite c'est surtout des fusions de galaxies qui ont lieu, mais il reste toujours énormément de gaz, et des étoiles continuent à se former à toutes les époques.
Avant que les étoiles de la nébuleuse de la Tarentule existent (elles sont très jeunes pour la plupart, moins de 100 millions d'années, et même moins de 10 millions pour les très massives dont on parle ici)), il y avait là un gros nuage de gaz moléculaire. Outre l'effet de supernova qui agit en produisant une contraction locale pouvant mener à la formation de nouvelles étoiles, l'autre processus est un collapse gravitationnel du nuage de gaz. Ça a lieu surtout dans les gros nuages, lorsque leur masse dépasse la masse limite dit masse de Jeans, à partir de laquelle on a une phénomène d'instabilité (de Jeans) : quand l'énergie potentielle gravitationnelle dépasse deux fois l'énergie thermique interne (cinétique) du volume de gaz. Le collapse produit le plus souvent une fragmentation qui vont former autant de surconcentrations, qui vont devenir des étoiles...

Jean-Paul Dandrimont a dit…

Merci encore pour tous vos articles que je lis toujours avec passion

Dr Eric Simon a dit…

Merci pour votre fidélité!

Youx a dit…

Merci pour votre réponse détaillée
...Et pour votre dynamisme!
Youx

Anonyme a dit…

Bonjour

Le Gaz était là depuis le début,pourquoi la contraction ne s'est pas produite bien plut tôt?

Bonne Année
Casey

Dr Eric Simon a dit…

@Casey : tout est une affaire de dynamique. Le gaz est d'abord diffus, puis se concentre peu à peu sous l'influence gravitationnelle de l'environnement, puis de plus en plus. Le processus a lieu plus ou moins rapidement, en fonction de l'environnement, et il peut aussi y avoir des éléments déclencheurs comme des chocs produits par des vents stellaires, vents de pulsar, jets de trous noirs...

APolitic a dit…

Excès d'étoiles (trop) massives ?
Encore un coup de la matière noire :)

Anonyme a dit…

Merci
Je viens de découvrir les vents stellaires.
Casey