Un nouveau calibrage de l'échelle des distances par l'utilisation de supernovas de type Ia vient d'être effectué et publié dans The Astrophysical Journal. Les chercheurs prennent en compte des effets ténus d'absorption de la lumière des supernovas par la poussière environnante pour obtenir une valeur de luminosité toujours plus précise, dans le but d'atteindre une valeur pour la constante de Hubble la plus précise possible à partir des mesures de distance des supernovas Ia; résultat de ce nouveau calibrage : H0= 73,2 ± 2,33 km.s−1.Mpc−1.
Cette valeur de la constante de Hubble est en accord avec les estimations de Adam Riess et ses collaborateurs de la collaboration SHoES (73,48 ± 1,66 km.s−1.Mpc−1), et en désaccord avec la valeur dérivée des mesures du CMB par Planck (67,8 ± 0,9 km.s−1.Mpc−1). Cette nouvelle étude produite par le Carnegie Supernova Project, qui exploite les deux télescopes (1 m et 2,5 m) de l'observatoire de Las Campanas au Chili, fournit les meilleurs calibrages à ce jour pour l'utilisation des supernovas comme échelle de distances.
Rappelons que pour utiliser les supernovas de type Ia pour mesurer leur distance à partir de leur courbe de luminosité, elles doivent tout d'abord être calibrées par un autre moyen donnant une distance de manière indépendante. Cet autre moyen est une population d'étoiles Céphéides : des étoiles variables dont la pulsation dépend directement de leur luminosité intrinsèque. La distance des Céphéides peut ainsi être connue avec une grande précision dès que l'on parvient à déterminer précisément leur période et l'amplitude relative de leur pulsation. Il suffit alors de dénicher un certain nombre de Céphéides dans des galaxies proches où des supernovas Ia ont également été observées pour calibrer la luminosité intrinsèque de ces supernovas vis à vis de leur distance réelle.
En appliquant ce calibrage de supernova aux supernovas Ia observées les plus lointaines et en comparant ensuite avec le décalage vers le rouge de leur galaxie hôte, qui indique leur vitesse de récession, on obtient directement la valeur de la constante de Hubble, qui n'est rien d'autre que le taux d'expansion de l'Univers (H = v/d). C'est en exploitant cette méthode que Adam Riess avait, avec d'autres équipes, trouvé en 1998 que le taux d'expansion variait en fonction de l'époque cosmique, dans le sens d'une accélération et non d'une décélération comme ce qui était attendu. Riess a depuis poursuivi ses recherches pour affiner toujours plus les mesures de distance via les Céphéides et les SN Ia, et a rendu publiques avec l'équipe SHoES au printemps dernier des nouvelles données de Céphéides battant des records de précision.
Christopher Burns (Carnegie Institution for Science) et son équipe ont justement exploité ces dernières données de Céphéides de SHoES pour obtenir leurs propres calibrages de supernovas Ia.
Les astronomes utilisent ensuite la relation de Phillips, du nom de l'astronome de Carnegie Mark Phillips qui avait montré en 1993 que dans les supernovas Ia, la vitesse de décroissance de la courbe de lumière était directement liée à la valeur de la luminosité intrinsèque : les explosions qui déclinent plus lentement sont plus lumineuses que celles qui déclinent plus vite. Cette relation permet d'utiliser les supernovas Ia comme un outil précis pour évaluer les grandes distances.
Mais Burns et ses collaborateurs se sont concentrés sur la partie proche infra-rouge du spectre de 120 supernovas dont la plus lointaine se situe à environ 350 millions d'années-lumière. Observer la partie proche infra-rouge du spectre permet de s'affranchir des effets d'absorption de la poussière que ces photons traversent. D'après les chercheurs, cette zone du spectre semble en même temps avoir une évolution temporelle (décroissance) qui serait plus liée à l'énergie totale émise par la supernova, donc à sa luminosité intrinsèque.
Ces effets d'absorption peuvent en effet induire en erreur en laissant penser que la supernova est moins brillante et donc plus lointaine qu'en réalité.
Grâce à ces nouvelles estimations de distance de supernovas affranchies des perturbations induites par la poussière, Burns et ses collaborateurs déduisent donc une valeur du taux d'expansion actuel H0 qui est très proche de ce que trouve Riess, et à nouveau très éloigné de la valeur issue des mesures du fond diffus cosmologique (CMB). Inutile de préciser que ce désaccord sur la constante de Hubble qui est obtenu selon les méthodes utilisées (Céphéides+SN contre CMB) est un sujet plus que brûlant dans la cosmologie actuelle. Adam Riess semblait un peu seul depuis quelques années face aux résultats tant acclamés de Planck qui définit les paramètres du modèle standard. Force est de constater qu'il est aujourd'hui un peu moins seul...
Source
The Carnegie Supernova Project: Absolute Calibration and the Hubble Constant
Christopher Burns et al.
The Astrophysical Journal, Volume 869, Number 1 (11 december 2018)
Illustration
1) Petit échantillon de supernovas comprises dans le Carnegie Supernova Project (CSP)
2) Le télescope Irénée Du Pont de 2,5 m de l'Observatoire de Las Campanas, utilisé par le CSP (SDSS)
4 commentaires :
Bonjour Eric
Si je me souviens bien, il y avait déjà deux déterminations directes en désaccord avec la détermination indirecte de Planck via le modèle standard, qui semble être entré dans l'aire de la contestation standard. Car enfin, le fait de découvrir en 1998 que l'expansion accélère quand on cherchait à mesurer son ralentissement aurait du provoquer une crise grave du modèle ACDM , plutôt que l'invention typiquement ad hoc de l'énergie noire et/ou la remise en service de la constante cosmologique du modèle statique d'Einstein. Qu'en pensez-vous ?
Jean-Paul
Vous allez un peu vite en parlant de "contestation standard", l'écart de H0 est le seul problème sérieux du modèle. Il pourrait se résoudre assez facilement en prenant en compte une nouvelle espèce de neutrinos ou une self-interaction des particules de matière noire...
Vous faites une erreur : en 1998, le modèle LCDM n'existait pas. Il s'appelait plutôt "CDM" sans le Lambda. Lambda a été justement introduite face à la crise du modèle (justement) produite par la découverte de l'accélération de l'expansion.
Oui, c'est une coquille au regard de l'usage courant du terme. Cependant certains cosmologues ont déclaré ne pas être surpris car la platitude de l'univers observable réclamait déjà la constante cosmologique ou un équivalent. Et Lemaître considérait qu'elle était requise pour la généralité du modèle FLRW. Il l'utilisait aussi pour éviter la contradiction existant à l'époque entre l'âge des plus vieilles étoiles et l'âge estimé du l'univers qui était inférieur sans L.
Bonjour Eric,
la luminosité et la courbe de décroissance d'une supernova 1a ne dépendent-elles pas de sa rotation et/ou de la direction selon laquelle on la regarde?
A-t-on déjà pu observer plusieurs supernovae 1a dans une même galaxie, pour estimer la précision du calibre?
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