Les collaborations LIGO et VIRGO viennent de publier presque en catimini leur tout premier catalogue de sources gravitationnelles qui contient aujourd'hui 10 fusions de trous noirs et 1 fusion d'étoiles à neutrons : on y découvre notamment 4 nouvelles fusions de trous noirs qui n'avaient pas encore été rendues publiques, avec parmi elles celle qui est la plus lointaine et la plus massive de toutes.
Ce catalogue est intitulé GWTC-1 pour "Gravitational-Wave Transient Catalog 1", il retrace toutes les caractéristiques physiques des objets ayant produit des ondes gravitationnelles détectées par LIGO seul ou en conjonction avec VIRGO durant les deux premières campagnes d'observation (O1 et O2) en 2015 et 2017.
Parmi les quatre nouveaux événements gravitationnels dévoilés par les chercheurs, l'un d'eux est remarquable, il a été détecté à peine 3 semaines avant le désormais célèbre GW170817 qui a vu pour la première fois la fusion de deux étoiles à neutrons. Celui-là est donc nommé GW170729, datant du 29 juillet 2017 et est bien une fusion de deux trous noirs, vue en coïncidence par les deux interféromètres de LIGO aux Etats-Unis. Le trou noir résultant de GW170729 est à la fois très gros mais il est aussi très très loin. Les deux trous noirs impliqués dans cette fusion avaient une masse respective de 50,6 et 34,4 masses solaires, et ont produit un trou noir de 80,3 masses solaires, soit une émission d'ondes gravitationnelles record d'une énergie égale à 4,8 masses solaires. La distance de ce nouveau trou noir stellaire le plus massif que l'on connaisse est d'environ 9 milliards d'années-lumière...
Parmi les quatre "petits nouveaux", outre ce gros bébé, l'un d'eux a été observé en coïncidence avec les interféromètres de LIGO et de VIRGO le lendemain même du 17 août 2017 (le détecteur VIRGO était arrivé en fonction seulement le 1er août 2017). Ce GW 170818, donc, (35,5 + 26,8 masses solaires = 59,8 masses solaires + 2,7 émises en ondes gravitationnelles) a ainsi pu être localisé sur la voûte du ciel avec une précision de 39 degrés carrés, meilleure localisation à ce jour pour un événement gravitationnel, avec une distance évaluée à 2,5 milliards d'années-lumière.
Le premier run de détection s'était déroulé du 12 septembre 2015 au 10 janvier 2016 et le second run du 30 novembre 2016 jusqu'au 25 août 2017. La toute première fusion de trous noirs avait été détectée seulement 2 jours après la mise en service du premier run, et la dernière fusion en date observée a été détectée 2 jours avant la fin du second run... elle fait partie des quatre nouveaux événements répertoriés : GW 170823 (39,6 + 29,4 masses solaires = 65,6 masses solaires + 3,3 émises en ondes gravitationnelles).
Les astrophysiciens gravitationnels font le décompte du nombre de jours effectifs de mesures, une fois enlevées toutes les périodes de perturbations diverses : 118 jours de coïncidence entre les interféromètres, dont 15 jours qui étaient en coïncidence entre les trois interféromètres (2 LIGO+VIRGO).
La raison pour laquelle les physiciens de LIGO et VIRGO peuvent aujourd'hui annoncer 4 nouvelles fusions de trous noirs, est qu'ils ont réanalysé toutes leurs données des deux runs avec trois algorithmes différents, dont un qui ne présumait pas de forme spécifique pour le signal attendu d'ondes gravitationnelles. Ils ont également appliqué une procédure améliorée de nettoyage du bruit expérimental se superposant au signal utile. Les 11 événements qui sortent de ces nouvelles analyses (10 fusions de trous noirs et une fusion d'étoiles à neutrons) ont une probabilité supérieure à 50% d'avoir une origine astrophysique. On y retrouve les 7 événements déjà publiés et les 4 petits nouveaux. 3 événements ont été détectés durant le premier run, dont un nouveau officiellement identifié (GW151012) alors qu'il n'était jusqu'alors qu'un candidat incertain, les autres ayant été vus durant le second run. En moins d'un mois, alors que les interféromètres étaient pleinement fonctionnels, entre le 29 juillet 2017 et le 23 août 2017, ce sont 6 sources gravitationnelles qui ont été détectées!
Un couple de trous noirs en orbite quasi circulaire l'un autour de l'autre, juste avant de fusionner, est décrit par une combinaison de 15 paramètres : 8 paramètres du système de trous noirs lui-même : leurs masses et leur vecteur de rotation, et 7 paramètres qui décrivent les processus liés aux ondes gravitationnelles : la distance de la source, l'inclinaison du système de trous noirs par rapport à la ligne de visée, l'angle de polarisation des ondes gravitationnelles, le moment de la fusion et la phase des ondes gravitationnelles émises. Le catalogue GWTC-1 compile tous ces paramètres pour les différentes fusions de trous noirs détectées.
Concernant la fusion de deux étoiles à neutrons GW170817, ses ondes gravitationnelles dépendent aussi d'un autre paramètre qui est la "déformabilité de marée". Il mesure combien chacune des deux étoiles à neutrons se déforme par la distorsion de marée gravitationnelle induite par la compagne durant les quelques dernières orbites avant la fusion. Ce paramètre de déformabilité de marée fournit de précieuses informations sur l'équation d'état des étoiles à neutrons : leur structure interne, encore si mal connue.
La masse de ces 20 trous noirs détectés (avant fusion), s'étale entre 7,6 masses solaires (dans GW170608) et 50,6 masses solaires (dans GW170729), une plage de masses cohérente avec ce qu'on pouvait attendre, d'après les chercheurs. En revanche, pour ce qui est de leur vecteur de rotation individuelle avant fusion, les valeurs sont très difficilement mesurables avec la sensibilité actuelle des détecteurs.
Avec ses 4,8 masses solaires émises en ondes gravitationnelles en une fraction de seconde, GW170729 à lui seul a rayonné 4.1049 J/s, une puissance énergétique équivalente à 50 fois la puissance lumineuse de toutes les étoiles de l'Univers observable...
A partir du nombre de sources gravitationnelles détectées durant les runs O1 et O2, les physiciens des collaborations LIGO et VIRGO peuvent estimer les taux d'événements de fusion qu'il vont pouvoir détecter à l'avenir à partir du printemps 2019, début du run O3. Ils calculent un taux de fusions de trous noirs compris entre 9,7 et 101 par an et par Gpc3 , un taux de fusions d'étoiles à neutrons compris entre 110 et 3840 par an et par Gpc3 et un taux de fusions trou noir - étoile à neutrons d'au maximum 610 par an et par Gpc3 .
En quelques années d'observations, les chercheurs estiment qu'il détecteront plusieurs dizaines de sources gravitationnelles. LIGO et VIRGO devraient d'ailleurs être rejoints par l'interféromètre japonais KAGRA vers la fin de 2019, ce qui permettra de localiser encore mieux les sources.
La publication du premier catalogue de sources gravitationnelles est un jalon important pour l'astronomie gravitationnelle, elle représente la base d'un futur radieux et prolifique.
Source
GWTC-1: A Gravitational-Wave Transient Catalog of Compact Binary Mergers Observed by LIGO and Virgo during the First and Second Observing Runs
The LIGO Scientific Collaboration and The Virgo Collaboration
https://dcc.ligo.org/public/0156/P1800307/005/o2catalog.pdf
Illustrations
1) Visualisation des 11 premiers événements gravitationnels du catalogue GWTC-1
2) Diagrammes temps-fréquence des 10 fusions de trous noirs répertoriées (LIGO)
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