mardi 2 avril 2019

Des positrons pour détecter des fusions d'étoiles à neutrons


Il a beaucoup été question d'antimatière hier à l'occasion de la Nuit de l'Antimatière, un événement organisé par l'Institut National pour la Physique Nucléaire et la Physique des Particules à l'occasion des 80 ans du CNRS. Nous allons donc prolonger ces réjouissances en parlant encore un peu de positrons, les anti-électrons, cette fois-ci associés à la fusion d'étoiles à neutrons...

Quand un positron rencontre un électron, lorsqu'ils ne sont pas animés d'une grande énergie cinétique, il se passe ce qu'il advient lorsque toute particule rencontre son antiparticule : les deux particules disparaissent en se transformant en deux photons. Et l'énergie de ces deux photons d'annihilation du couple électron-positron est très bien déterminée : il s'agit exactement de l'énergie de masse de l'électron (qui est la même que celle du positron bien sûr) : 511 keV. Les deux photons de 511 keV sont émis dos à dos l'un de l'autre. 
Or il se trouve qu'une raie gamma de 511 keV est observée en provenance du centre galactique depuis plusieurs dizaines d'années maintenant. Des mesures précises du flux ont été obtenues notamment grâce au satellite INTEGRAL, et donnent une valeur de (0,96 ± 0.07) × 10−3 photons cm−2.s−1. Cette valeur de flux de photons de 511 keV indique que le taux  d'annihilation de positrons et d'électrons dans le centre galactique doit être de 1050 par an, ou si on préfère 3,14 1042 par seconde...

Il existe donc une importante source de positrons vers le centre de notre galaxie, mais l'origine de ces positrons est toujours très débattue aujourd'hui. Parmi les sources possibles qui ont été proposées mais jamais complètement validées, on trouve des objets ou phénomènes aussi divers que le rayonnement du disque d'accrétion entourant Sgr A* (dont nous verrons une image mercredi prochain...), des vents de pulsar, des jets de micro-quasars, des bouffées de rayons gamma (GRB), des rayonnements de décroissance radioactive dans la nucléosynthèse des étoiles massives, ou encore des supernovas dans toutes leurs variantes, voire des phénomènes plus exotiques comme l'annihilation de particules de matière noire. 

Dans un article qui vient de paraître dans Physical Review Letters, George M. Fuller (University of California) et ses collaborateurs montrent que le flux de photons gamma de 511 keV qui est mesuré peut être complètement expliqué par un nouveau mécanisme : la fusion de deux étoiles à neutrons ou d'une étoile à neutrons avec un trou noir. Les physiciens montrent dans leur étude que ces processus de fusion extrêmes produit une éjection d'une partie de la matière des étoiles à neutrons, une matière riche en neutrons, donc, qui est échauffée par les processus nucléaires jusqu'à des températures équivalent à une énergie de plusieurs centaines de keV. Un tel échauffement induit naturellement la création de paires électron-positron, et une bonne partie des positrons peut s'échapper des couches externes de l'éjecta.
Les chercheurs calculent qu'au vu du nombre de fusions d'étoiles à neutrons qui doivent avoir lieu (estimé à partir des premiers résultats de LIGO, une valeur comprise entre 0,01 et 100 par million d'année), le flux de photons de 511 keV résultant (sa valeur minimale) correspond très bien au flux effectivement mesuré.
A partir de là, George Fuller et ses collègues proposent d'utiliser la raie gamma à 511 keV en provenance du centre des galaxies, pour justement en déduire la quantité de fusions d'étoiles à neutrons ou d'étoiles à neutrons/trous noirs qui y ont lieu.
Une émission de 511 keV a justement été récemment observée  par IINTEGRAL en provenance de la galaxie naine Reticulum II. Cette émission gamma serait cohérente avec un événement rare de fusion de deux étoiles à neutrons, suivant le processus proposé par les physiciens américains. 
Et les fusions d'étoiles à neutrons sont attendues non seulement dans la région centrale des galaxies mais aussi dans les amas globulaires. Les deux amas globulaires les plus proches de nous (NGC 6121 et NGC 6397 tous deux à 7500 années-lumière environ) pourraient ainsi servir de cibles de choix pour la détection de positrons de fusion via leurs photons de 511 keV, en plus d'autres signaux multimessagers...


Source

Positrons and 511 keV Radiation as Tracers of Recent Binary Neutron Star Mergers
George M. Fuller, Alexander Kusenko, David Radice, and Volodymyr Takhistov
Phys. Rev. Lett. 122, 121101 (29 March 2019)


Illustrations

1) Vue d'artiste de la fusion de deux étoiles à neutrons (LIGO)

2) Diagramme de Feynman de l'annihilation d'un positron et d'un électron en deux photons

3) Calculs des distributions de densité, température et fraction d'électrons 10 ms après la fusion de deux étoiles à neutrons (Fuller et al.) 

2 commentaires :

Youx a dit…

bonjour Eric,
au cas où l'anti-matière aurait une gravité négative,
si deux photons de 511 keV se rencontrent à l'intérieur de l'horizon des événements d'un trou noir, et produisent un couple d'électron et positron, est-ce que le positron ne serait pas violemment éjecté du TN?

Dr Eric Simon a dit…

Oui, ça devrait... mais on n'a même pas besoin d'être derrière l'horizon, la proximité du TN suffit logiquement. Cela dit, l'effet gravitationnel sur une particule comme un positron, même très près d'un trou noir, devrait rester très faible à côté de la force électromagnétique. Le positron sera d'avantage piégé dans le champ magnétique que repoussé par la courbure du TN, je pense.

Petite précision : on n'a pas besoin de photons d'exactement 511 keV pour créer une paire e+/e-, il peuvent avoir une énergie quelconque pourvu que la somme des deux est supérieure à 1022 keV.