Une analyse des images profondes du télescope Chandra (rayons X) a permis à une équipe d'astrophysiciens de trouver une source de rayons X très brève, très éloignée, qui correspondrait à la fusion de deux étoiles à neutrons ayant formé un magnétar, une grosse étoile à neutron très fortement magnétisée.
Yongquan Xue (Université de Hefei, Chine) et ses collaborateurs américains et européens ont exploité ce qu'on appelle le champ profond Sud du télescope spatial Chandra (le Chandra Deep Field South Survey, ou CDF-S), qui est une région du ciel observée sur une longue durée à chaque observation de manière à imager les sources les plus faibles, et donc les plus lointaines, avec des observations répétées de multiples fois depuis plus de 15 ans. En tout plus de 100 observations ont été effectuée dans cette région.
L'intérêt d'effectuer des observations répétées quasi tous les mois est de pouvoir détecter l'apparition ou la disparition de certaines sources de rayons X d'une image à l'autre. On appelle ces sources des sources transitoires.
Faire le lien entre une source de rayons X transitoire et la fusion de deux étoiles à neutrons n'est pas aisé. On sait que la fusion de deux étoiles à neutrons est étroitement liée avec une bouffée de rayons gamma courte. On sait par ailleurs que la moitié des bouffées de rayons gamma courtes sont suivies par un plateau de rayonnement X, et que ces rayons X peuvent être le produit d'un magnétar, une étoile à neutrons tournant très rapidement sur elle-même avec un champ magnétique démesuré. Or, une fusion de deux étoiles à neutrons ne génère pas forcément directement un trou noir, mais elle peut aussi donner naissance à une "grosse" étoile à neutrons, dans le cas où l'équation d'état de l'étoile à neutron est suffisamment "rigide", c'est à dire si la pression augmente fortement quand la densité augmente). Mais d'autres sources X transitoires estimées être produites par des fusions d'étoiles à neutrons ne seraient pas associées à des bouffées de rayons gamma courtes...
Une première source X transitoire, CDF-S XT1, avait été observée récemment et avait pu être associée à une galaxie de faible luminosité, de distance indéterminée. Ces propriétés laissaient plusieurs possibilités d'explication : une bouffée de rayons gamma courte vue très en décalé par rapport à son axe d'émission, une bouffée de rayons gamma de très faible luminosité, donc extrêmement éloignée, ou bien la destruction d'une étoile naine blanche par un trou noir de masse intermédiaire.
La seconde source X transitoire que Xue et ses collaborateurs viennent de mettre en évidence est beaucoup mieux comprise car sa distance a pu être évaluée précisément. Le redshift de la galaxie hôte de CDF-S XT2 vaut z = 0,738, ce qui fait une distance de trajet lumière de 6,5 milliards d'années-lumière. La courbe de luminosité que les astrophysiciens mesurent est tout à fait cohérente avec le plateau de rayonnement X associé à un magnétar milliseconde. De plus, les chercheurs montrent que CDF-S XT2 se situe à la périphérie de sa galaxie (qui forme beaucoup d'étoiles), ce qui est souvent observé pour les bouffées de rayons gamma courtes.
Mais avant de conclure sur cette origine, les astrophysiciens ont soigneusement testé (et éliminé) toutes les autres possibilités pour cette source X transitoire. Il faut dire que la forme de l'émission X dans le temps était très caractéristique : une montée rapide, suivi d'un plateau puis une chute très particulière qui ne peut être expliquée que par un système qui perd rapidement son champ magnétique par rayonnement.
A partir de cette observation, Yongquan Xue et ses collaborateurs, dont l'étude est publiée cette semaine dans Nature, en déduisent finalement quel doit être le taux d'occurrence de telles fusions d'étoiles à neutrons : ils trouvent le nombre de 20 par an dans un volume d'Univers de 1 milliard d'années-lumière cube. Ce taux d'occurrence apparaît être tout à fait du même ordre que celui qui a pu être déduit de la première détection directe d'une fusion d'étoiles à neutrons par LIGO et Virgo en 2017 grâce à l'événement gravitationnel GW170817. Les sources X transitoires peuvent donc être utilisées pour trouver des fusions exotiques d'étoiles à neutrons.
Source
A magnetar-powered X-ray transient as the aftermath of a binary neutron-star merger
Y. Q. Xue, X. C. Zheng, Y. Li, W. N. Brandt, B. Zhang, B. Luo, B.-B. Zhang, F. E. Bauer, H. Sun, B. D. Lehmer, X.-F. Wu, G. Yang, X. Kong, J. Y. Li, M. Y. Sun, J.-X. Wang & F. Vito
Nature volume 568, pages198–201 (10 april 2019)
Illustration
Le champ profond Sud de Chandra : chaque point est une source de rayons X, les couleurs correspondent à l'énergie des photons X (Chandra X Ray Observatory)
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