Un trou noir de masse intermédiaire vient d'être observé, et surtout sa masse mesurée de manière indirecte : 10 000 masses solaires. Ce trou noir se trouve au centre de la galaxie naine NGC 4395, à 14 millions d'années-lumière. Une nouvelle preuve que les trous noirs intermédiaires se trouvent au centre des toutes petites galaxies. L'étude de l'équipe internationale menée par des astrophysiciens coréens vient de paraître dans Nature Astronomy.
On le sait, l'existence des trous noirs de masse intermédiaire (entre 100 et 100000 masses solaires) est un sujet débattu depuis de nombreuses années. Ce ne sont que de maigres indices qui sont décelés à chaque fois, laissant toujours planer le doute sur leur existence. Pourtant, de tels trous noirs doivent exister pour faire le lien entre les trous noirs stellaires et les trous noirs supermassifs.
Cette fois-ci, la preuve risque bien d'être suffisamment robuste. Jong-Hak Woo (Université de Séoul) et ses collaborateurs internationaux ont utilisé une méthode subtile et imparable, même si elle est très indirecte pour mesurer la masse du trou noir. Il s'agit de mesurer une vitesse de rotation de gaz et sa distance du trou noir. Ces deux quantités permettent de trouver la masse centrale qui cause le mouvement de rotation en appliquant les simples équations de Newton. Reste à mesurer la vitesse de rotation et la distance du gaz. Pour ce qui concerne la vitesse de rotation du gaz, les chercheurs ont utilisé la méthode classique en astronomie : les décalages spectraux. La longueur d'onde de la lumière émise par un objet varie en fonction de la vitesse de l'objet par rapport à l'observateur : en observant une raie d'émission connue et en comparant sa longueur d'onde par rapport à celle que l'on observe sur Terre, on en déduit donc la vitesse de la source d'émission. Woo et ses collaborateurs ont utilisé pour ces mesures un spectrographe monté sur le télescope Gemini North situé à Hawaï. La vitesse de rotation du gaz tournant autour du centre de NGC 4395 vaut 426 km/s.
Mais c'est pour la mesure de la distance du gaz par rapport au trou noir que les chercheurs ont exploité une méthode un peu inhabituelle. Ils ont utilisé des échos de lumière. Le voisinage très proche du trou noir émet du rayonnement, qui est observé et suivi dans le temps directement, mais ce rayonnement part dans toutes les directions et va notamment illuminer le gaz qui se trouve un peu plus loin en rotation autour du trou noir. Or, lorsque ce rayonnement atteint le gaz, il excite les atomes d'hydrogène qui vont alors réemettre un nouveau rayonnement. Par chance, l'émission primaire au voisinage proche du trou noir n'est pas stable dans le temps mais montre une variabilité avec des motifs particuliers (des bosses et des creux), et ces motifs se retrouvent donc tels quels dans le rayonnement secondaire réémis par le gaz éloigné, comme un véritable écho. La méthode des échos consiste à mesurer le délai temporel qui existe entre un pic de luminosité de la source primaire (le voisinage très proche du trou noir) et le même pic dans la source secondaire (le gaz en rotation dont on a mesuré la vitesse). Ce délai temporel, connaissant la vitesse de la lumière, donne tout de suite la distance séparant la source primaire et la source secondaire.
Les astrophysiciens ont utilisé plusieurs télescopes de taille relativement modeste pour effectuer ces mesures d'échos de lumière : le télescope MDM de 2,40 mètres, le télescope de 1 m du Lemmonsan Optical Astronomy Observatory (LOAO), et le 1-mètre du Mt. Laguna Observatory (MLO).
Woo et ses collaborateurs ont ainsi mesuré un délai temporel de seulement 83 ± 14 minutes. C'est le plus bref délai temporel jamais mesuré par la méthode des échos de lumière sur un environnement de trou noir. La distance vaut donc 83 minutes-lumière, ou 1,44 milliards de kilomètres. La masse du trou noir central de NGC 4395 qu'ils en déduisent, grâce à la valeur de la vitesse de rotation tangentielle, vaut 10 000 masses solaires. Il s'agit donc bien d'un trou noir de masse intermédiaire. Mais c'est aussi le plus petit trou noir central de galaxie jamais trouvé.
Les auteurs de l'étude notent finalement un point supplémentaire, et non moins intéressant, qui est que, malgré son absence de bulbe et son trou noir central de faible masse, NGC 4395 est une galaxie qui semble rester conforme à la relation empirique reliant masse du trou noir central et vitesse de dispersion des étoiles (du bulbe). Ils on concluent que cette relation ne doit alors pas provenir du processus d'assemblage hiérarchique des galaxies ni du processus de rétroaction des trous noirs, une petite découverte dans la découverte...
Source
A 10,000-solar-mass black hole in the nucleus of a bulgeless dwarf galaxy
Jong-Hak Woo, Hojin Cho, Elena Gallo, Edmund Hodges-Kluck, Huynh Anh N. Le, Jaejin Shin, Donghoon Son & John C. Horst
Nature Astronomy (10 june 2019)
Illustration
Schéma expliquant la méthode des échos de lumière pour mesurer la masse du trou noir de la galaxie naine NGC 4395 (Adam Block/Mount Lemmon SkyCenter/University of Arizona, NASA/Chandra X-ray Observatory/M. Weiss.)
1 commentaire :
Bonjour Eric,
On dirait qu'il y a une donnée qui leur manque dans leur raisonnement: L'inclinaison de l'axe par rapport à la ligne de visée.
Si l'angle est grand, ils vont observer un décalage spectral plus important que si l'angle est petit. Or, ils déterminent la vitesse en fonction de ce décalage.
De plus, le raisonnement du dela t entre les variations du signal ne fonctionne que si on se trouve dans la ligne de visée...
Comment font-ils, alors?
Enregistrer un commentaire