jeudi 2 janvier 2020

Galaxies naines déficientes en matière noire ? Pas si vite !

Souvenez-vous, le 25 novembre dernier je vous avais parlé de la découverte par une équipe d'astronomes chinois de 19 galaxies naines qui semblaient dépourvues de matière noire (voir le numéro 938 ici). Mais aujourd'hui, deux chercheurs espagnol et portugais montrent que les astronomes chinois ont peut-être oublié un élément essentiel : la forme en trois dimensions des galaxies naines, ce qui amène à une conclusion toute différente... Un article paru dans Research Notes of the American Astronomical Society.




Qi Guo et ses collaborateurs avaient trouvé que dans un échantillon de 324 galaxies naines, 6% d'entre elles semblaient montrer une quantité de matière noire relative très inférieure aux autres cas.  Parmi elles, la galaxie nommée AGC 213086 paraissait même contenir 27% de matière ordinaire alors qu'on s'attendait à y trouver seulement 2%... Ces 19 nouvelles galaxies naines selon eux fort dépourvues de matière noire faisaient écho à l'annonce un peu controversée de la découverte de deux autres galaxies naines très pauvres en matière noire en 2018 et en mars 2019 (NGC1052-DF2 et NGC1052-DF4). Pour tenter d'expliquer ces étrangetés, les chercheurs chinois proposaient des scénarios un peu spéculatifs pour ne pas dire peu probables.

Mais voilà que deux astronomes, Jorge Sanchez Almeida (Instituto de Astrofísica de Canarias) et Mercedes Filho (Université de Porto) publient aujourd'hui une courte étude incisive, après s'être penchés sur les résultats des astrophysiciens chinois et démontent très simplement leur conclusion. Almeida et Filho relèvent que Guo et ses collaborateurs ont estimé la masse totale des galaxies à partir des décalages spectraux de la raie d'émission de l'hydrogène HI, qui tracent la dispersion des vitesses du gaz, de laquelle le potentiel gravitationnel est déduit. Mais pour faire cela, les astrophysiciens chinois doivent faire une correction de l'inclinaison (l'angle i) selon laquelle est vu le disque de gaz. Et l'angle i, inconnu a priori, a été estimé par Guo à partir du ratio des dimensions des axes des galaxies sur les images, le rapport b/a (axe mineur/axe majeur), projetés sur le ciel. 
Mais Sanchez Almeida et Filho remarquent que les chercheurs chinois oublient que les galaxies naines possèdent trois axes, ce sont des objets en trois dimensions qui ne sont pas des disques quasi parfaits comme les grosses galaxies spirales comme la Voie Lactée, et la formules qu'il utilisent pour déduire la masse dynamique fait l'hypothèse d'une symétrie axiale parfaite. Avec des galaxies de type disques, lorsqu'elles sont vues quasi de face (inclinaison i tendant vers 0), le rapport b/a tend vers 1. Mais en considérant que ces galaxies sont triaxiales, ce n'est plus le cas : pour une inclinaison i tendant vers 0, le rapport b/a n'est plus égal à 1, ce qui induit une masse dynamique réelle très inférieure. Les deux astronomes européens, pour appuyer leur démonstration, ont effectué des simulations pour étudier l'impact de la triaxialité sur l’évaluation de la masse dynamique des galaxies naines telle que l'ont faite les chercheurs chinois. 
Ils modélisent un grand nombre de galaxies dont la masse dynamique et la masse baryonique suivent la distribution de l'échantillon "parent" de l'étude chinoise (324 galaxies) mais cette fois en considérant une forme ellipsoidale à trois axes (avec un rapport fixe A:B:C = 1: 0,62 : 0,3) en leur donnant une inclinaison i aléatoire. Puis Sanchez Almeida et Filho calculent analytiquement pour chaque cas le rapport b/a correspondant tel qu'il est utilisé par Guo et al. pour ensuite le réinjecter dans leur formule de détermination de la masse dynamique totale. Il ne leur reste plus qu'à représenter graphiquement comment se distribue le rapport (M dynamique/M baryonique) (ou son logarithme, en l’occurrence), et le comparer à ce qu'obtenaient les chercheurs chinois. 
Le résultat est on ne peut plus clair et net : la distribution obtenue par Sanchez Almeida et Filho colle quasi parfaitement aux points obtenus par Guo et ses collaborateurs ! Dit autrement : Sanchez Almeida et Filho viennent de montrer que la prise en compte du fait que les galaxies naines possèdent trois axes induit un gros biais dans le résultat de la formule utilisée par les astrophysiciens chinois, un gros biais vers les faibles masses dynamiques. 

La conclusion des chercheurs espagnol et portugais est que le rapport biaxial b/a ne doit pas être utilisé pour estimer l'inclinaison des galaxies naines. Au contraire, trois axes doivent être considérés pour la mesure de la masse dynamique totale. Pour eux, la conclusion de Guo et ses collaborateurs indiquant une population de galaxies naines déficientes en matière noire est erronée : il s'agirait juste d'une population de galaxies vues quasi de face mais avec une inclinaison très surestimée, et donc avec une quantité de matière noire normale.


Sources

Triaxiality can Explain the Alleged Dark Matter Deficiency in some Dwarf Galaxies
J. Sánchez Almeida and M. Filho
Research Notes of the AAS, Volume 3, Number 12 (17 december 2019)

Further evidence for a population of dark-matter-deficient dwarf galaxies
Qi Guo, Huijie Hu, Zheng Zheng, Shihong Liao, Wei Du, Shude Mao, Linhua Jiang, Jing Wang, Yingjie Peng, Liang Gao, Jie Wang & Hong Wu
Nature Astronomy (25 november 2019)


Illustration

Distribution calculée par simulation Monte Carlo du nombre de galaxies en fonction du ratio Mdyn/Mbaryonique (en log) en considérant une triaxialité (J. Sánchez Almeida and M. Filho)

4 commentaires :

Yves a dit…

Bonjour,

Si l'étude des chercheurs chinois est entachée d'une erreur aussi basique, n'est-il pas choquant que leur papier ait pu être publié dans un journal peer-reviewed ?

moijdik a dit…

La question n'est peut-être pas de dire que les chinois se sont plantés mais de dire que si l'on fait l'hypothèse de seulement deux axes pour les galaxies, on constaterait que les galaxies isolées sont moins pourvues de l'effet dit de matière noire, nuance.
Comme beaucoup de cas en physique, le point de vue diffère selon les équipes de travail. Certaines d'entre elles cherchent à trouver des failles dans les théories (comme l'équipe chinoise qui semble conclure que les galaxies isolées ont un déficit en MN, ce qui conforterait leur propre théorie qui chercherait par exemple à supposer que l'effet MN est variable selon certain critères comme celui d'être isolé), d'autres qui cherchent à les conforter (comme l'équipe portugaise qui, pour conforter la théorie standard, a trouvé un paramètre que l'on peut faire varier à l'envie pour coller aux observations, ce qui a, il faut l'avouer, cet éternel goût de soupe aux bouts de scotch que l'on nous sert depuis quelques temps).
Comme souvent donc, on apprend que tel ou tel effet est ajustable par un paramètre et on n'arrive plus du coup à y voir clair puisque les théories s'affrontent de tout bord. On attend donc une observation qui ne serait pas ajustable par des paramètres, mais par un seul mécanisme, en tout cas le plus probant.
En attendant les bouts de scotch s'accumulent et la matière noire ne doit visiblement rien avoir avec ce qu'on prétend lui coller comme étiquette.

Dr Eric Simon a dit…

C'est un procès d'intention : l'équipe chinoise n'a aucune veleité à trouver des failles dans le modèle standard ni à démontrer que les galaxies isolées se comportent différemment des autres, et à l'inverse, les chercheurs mentionnés ici n'ont aucune intention sous jacente de "sauver" lambdaCDM. Ils montrent simplement ce qui se passe et qu'une analyse peut conduire à différents résultats aux conclusions bien différentes. Les chercheurs ne sont pas tous des dogmatiques adeptes d'une "religion" (Lambda CDM, MOND ou je ne sais quoi) comme vous semblez l'insinuer. Il y aura toujours des paramètres qui devront être ajustés car il y aura toujours une ou plusieurs inconnues dans les observations. Il faut être bien présomptueux pour penser que l'on trouvera l'explication du tout rapidement. On recherche la matière noire seulement depuis 35 ans, c'est que dalle par rapport au temps qu'on a mis pour trouver le boson de Higgs. Quant à une nouvelle théorie de la gravitation, celle de Newton a tenu 228 ans, alors celle d'Einstein peut bien tenir 400 ans... Il n'y a rien de choquant ici.

Anonyme a dit…

Il est bon de rappeler ce que einstein disait :

"Vous imaginez que je regarde en arrière sur le travail de ma vie avec une satisfaction calme. Mais de près, il semble tout à fait différent. Il n'y a pas un seul concept dont je suis convaincu qu'il tiendra bon, et je ne sais pas si je suis en général sur la bonne voie.
— Albert Einstein, le jour de son 70e anniversaire, dans une lettre à Maurice Solovine, le 28 mars 1949

Eisntein a la difference de beaucoup avait le merite d'etre integre :)