Les trois galaxies principales du Groupe Local : la Voie Lactée, Andromède (M31) et Triangulum (M33) montrent une corrélation entre leur nombre de galaxies naines satellites (Nsat) et leur ratio masse de bulbe/masse baryonique totale (noté B/T), un effet observé à partir de 2010. Aujourd'hui, deux chercheurs, à l'observatoire de Paris et à l'Université de Bonn se penchent sur trois autres galaxies situées en dehors du Groupe Local et trouvent la même corrélation. Or, les simulations fondées sur le modèle cosmologique standard ΛCDM ne prédisent aucune corrélation entre Nsat et B/T... Une étude publiée dans Monthly Notices of the Royal Astronomical Society.
Il y a deux raisons qui rendent bizarre l'existence d'une corrélation entre Nsat (le nombre de galaxies satellites) et B/T (le rapport masse du bulbe sur masse baryonique totale) : la première est que dans le modèle ΛCDM, Nsat doit être corrélé uniquement avec la masse du halo de matière noire, et donc avec la vitesse de rotation du disque galactique. La seconde est qu'on observe des galaxies qui ont des vitesses de rotation très similaires mais avec des masses de bulbe très différentes, donc on ne s'attend pas à voir une corrélation entre Nsat et la masse du bulbe. Les simulations de formation galactique fondées sur le modèle ΛCDM montrent clairement une absence de corrélation entre Nsat et B/T pour des galaxies dont la masse stellaire s'étend entre 10 milliards et 100 milliards de masses solaires.
Behnam Javanmardi et Pavel Kroupa ont utilisé les données publiées sur trois galaxies étudiées depuis de longues années et dont les galaxies naines satellites sont bien identifiées : M81, Centaurus A et M101. Les ratios B/T de ces trois galaxies se distribuent entre 0,05 (M101) et 1,0 (Cen A) , cette dernière étant un peu atypique car étant une galaxie lenticulaire qui n'est donc formée que d'un bulbe. Leur nombre de galaxies satellites Nsat (présentes dans un rayon de 250 kpc) varie quant à lui entre 8 (pour M101) et 29 (pour Cen A). On voit déjà que plus B/T est élevé, plus Nsat est grand. Mais quand on trace les points dans un graphe avec B/T en abscisse et Nsat en ordonnée, et que l'on trace aussi les galaxies du Groupe Local (dont la Voie Lactée), on constate que les 6 points forment une belle corrélation quasi linéaire. La galaxie M33 a par exemple un B/T=0,01 et 0 satellites et notre galaxie a un ratio B/T=0,2 et un Nsat=12.
Le coefficient de corrélation linéaire que Javanmardi et Kroupa obtiennent vaut 0,94 et la probabilité de signifiance de cette corrélation est de 99,5% (soit autour de 3 sigmas).
Selon le modèle standard ΛCDM, Nsat est directement relié à la masse du halo de matière noire : plus le halo est massif, plus le nombre de sous-halos accrétés est important (id est le nombre de galaxies satellites), et les halos les plus massifs accrètent aussi plus de matière baryonique, formant donc des galaxies avec plus de masse stellaire. Et le modèle stipule aussi que plus les galaxies ont une grosse masse stellaire, plus elles ont une forte probabilité de développer un bulbe massif. Donc, le modèle ΛCDM prédit une corrélation faible entre Nsat et Mbulbe (B) mais aucune corrélation entre Nsat et B/T.... Pour qu'une telle corrélation existe telle qu'observée par Javanmardi et Kroupa, il faudrait selon eux que la formation des bulbes galactiques soit différente de ce qu'on pense, peut-être avec une connexion plus profonde avec l'environnement galactique à grande échelle.
Les auteurs notent en effet que les galaxies satellites de M81 et Cen A se répartissent en disque comme ce qui est observé pour la Voie Lactée et Andromède et que des galaxies comme M101 ou M94 ont une pauvre population de satellites, en conflit avec le modèle standard. Des astrophysiciens ont alors évoqué un possible lien entre la présence d'un grand nombre de satellites (Nsat) et l'environnement proche des galaxies (l'effet gravitationnel qu'elles exercent entre elles) : en effet, si les galaxies satellites sont des galaxies naines impactées par des effets de marée gravitationnelle, la croissance du bulbe galactique des spirales peut être boostée par des rencontres avec elles, et cela expliquerait aussi la formation de structures en disques pour les galaxies satellites.
Mais pour retrouver une corrélation entre Nsat et B/T il "suffirait" aussi qu'il existe une forte corrélation entre masse baryonique totale et masse du halo de matière noire... Ou que la formation d'étoiles soit augmentée d'une manière ou d'une autre par la matière noire... Mais Javanmardi et Kroupa relèvent un point intéressant dans les différentes galaxies étudiées : M81, M101 et le Voie Lactée ont une masse stellaire (masse en étoiles) très similaire, mais en revanche des valeurs très différentes de Nsat et de B/T. Il apparaît donc qu'il n'y a pas de corrélation entre ces paramètres et la masse en étoiles (donc entre la masse du halo noir (liée à Nsat) et la masse baryonique en étoiles...).
Ces nouvelles analyses apportent donc plus de questions sur les liens entre matière noire et matière baryonique qu'elles n'apportent de réponses. Comme souvent, de nouvelles observations sont indispensables pour obtenir plus de cas et renforcer la corrélation qui est observée et montrer son universalité. Le point fort de cette étude est en tous cas de montrer que l'effet ne se limite pas aux galaxies du Groupe Local mais semble exister au-delà, dans d'autres groupes de galaxies de l'Univers local (jusqu'à une distance de 7 Mpc). Une étude publiée en préprint à la fin de l'année dernière indique déjà la découverte de plus de 120 galaxies satellites autour de 10 grosses galaxies, dont la célébrissime M104, la Galaxie du Sombrero (située à 9,5 Mpc), qui en arbore 27 dans un rayon de 150 kpc. Et on connaît approximativement son rapport B/T, qui est supérieur à 0,7 : la corrélation semble se confirmer...
Source
A correlation between the number of satellites and the bulge-to-total baryonic mass ratio extending beyond the Local Group
Behnam Javanmardi, Pavel Kroupa
Monthly Notices of the Royal Astronomical Society: Letters, Volume 493, Issue 1, (March 2020)
Illustrations
1) M81 imagée par le télescope Hubble (NASA, ESA, and The Hubble Heritage Team (STScI/AURA))
2) Corrélation entre nombre de satellites (Nsat) et rapport masse Bulbe/masse baryonique Totale (B/T) (Javanmardi et Kroupa)
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