Des galaxies en rotation et de belles spirales par dizaines... mais dans l'Univers âgé de moins de 1,5 milliards d'années. C'est ce que vient de révéler un grand relevé galactique effectué en multi-longueurs d'ondes avec ALMA associé à d'autres télescopes terrestres et spatiaux. Un tel nombre de galaxies déjà bien formées, aussi tôt dans l'histoire cosmique n'était pas vraiment attendu. Une étude parue dans The Astrophysical Journal Supplement Series.
Cet ambitieux relevé à multiples observations est appelé ALPINE (ALMA Large Program to Investigate C+ at Early Times). Il a pour pièce maîtresse le réseau de radiotélescopes ALMA qui a offert 70 heures d'observations pour imager à haute résolution l'émission du carbone ionisé (la raie du carbone C II à 158 µm). Les astrophysiciens ont ensuite ajouté à ces données des observations archivées des télescopes Keck à Hawaï (visible) et Hubble (UV) et Spitzer (infra-rouge).
Le relevé ALPINE a catalogué 118 galaxies très lointaines (un redshift compris entre 4,4 et 5,9), des galaxies poussiéreuses à haut taux de formation d'étoiles. Elles sont toutes situées dans l'Univers âgé entre 1 milliard et 1,5 milliards d'années seulement. Pour rappel, les premières galaxies apparaissent environ 0,3 milliard d'années après le Big Bang.
Andreas Faisst (Caltech) et ses nombreux collaborateurs européens, américains, japonais et chiliens ont ainsi produit le premier catalogue de galaxies lointaines observées dans quasi tout le spectre électromagnétique, des ondes radio aux ultra-violets. La raie du carbone ionisé qui est observée par ALMA provient de l'ionisation des nuages de poussière des galaxies par l'émission UV des étoiles nouvelles-nées. C'est grâce à l'observation de cette raie d'émission caractéristique du carbone ionisé que les astrophysiciens peuvent "voir" les mouvements internes des galaxies et notamment leur rotation, par l'effet Doppler qui décale les raies spectrales vers les petites ou les grandes longueurs d'ondes en fonction de leur vitesse (rapprochement ou éloignement de l'observateur).
Et les chercheurs ne se contentent pas d'évaluer la rotation de ces 118 galaxies, ils mesurent également la densité du gaz qu'elles contiennent, le nombre d'étoiles qu'elles sont en train de former, leur masse en étoiles et leur aspect global.
Ce que montrent Faisst et ses collaborateurs, c'est une population de galaxies déjà bien formées, certaines étant clairement en train de fusionner par deux, et même par trois. Mais ils voient également ce qui n'était pas attendu à cette époque reculée : 15% des galaxies qu'ils ont observées ressemblent à de belles galaxies spirales, avec une rotation très ordonnée. Les chercheurs estiment que ces galaxies ont dû se former par un processus "doux" en accrétant lentement du gaz et n'auraient tout simplement pas encore subi de collision avec d'autres galaxies. Les données des autres télescopes ont permis aux chercheurs d'évaluer la masse et le taux de formation stellaire de ces galaxies et ainsi de mieux situer leur niveau de maturation. Ils montrent que ces galaxies ont grossi très vite. Leur masse stellaire s'étale entre un peu moins de 1 milliard de masses solaires et presque 100 milliards de masses solaires. Quant à leur taux de formation d'étoiles, il s'étale entre 10 et 300 masses solaires par an. En traçant le taux de formation d'étoiles en fonction de la masse stellaire, une nette corrélation apparaît : plus les galaxies sont massives, plus leur taux de formation stellaire est élevé. En revanche, l'intensité de la raie du carbone ionisé CII (qui trace la quantité de poussière) ne semble pas indiquer de corrélation forte avec la masse galactique ou le taux de formation stellaire.
Les chercheurs notent également, lorsqu'ils regardent le spectre UV dans le référentiel de la raie du carbone ionisé (donc lorsqu'ils regardent la vitesse relative du gaz par rapport à la poussière), que les raies d'absorption sont plus décalées vers le bleu (les courtes longueurs d'ondes) pour les galaxies qui montrent par ailleurs les taux de formation d'étoiles les plus élevés. Ce détail subtil serait un indice de vents stellaires et d'éruptions plus intenses.
Le relevé ALPINE n'est que le début d'une exploration systématique des populations de galaxies très lointaines. Il pose aussi les bases de futures observations de galaxies montrant des caractéristiques un peu particulières. Le télescope spatial James Webb devrait notamment permettre de démultiplier les observations sur ces galaxies parmi les plus lointaines de l'Univers.
Source
The ALPINE-ALMA [CII] Survey: Multi-Wavelength Ancillary Data and Basic Physical Measurements
A. L. Faisst et al.
The Astrophysical Journal Supplement Series, Volume 247, Number 2 (3 April 2020)
Illustrations
1) Collage de 21 galaxies observées par ALMA dans le relevé ALPINE, la Voie Lactée est illustrée pour indiquer l'échelle (Michele Ginolfi (ALPINE collaboration); ALMA(ESO/NAOJ/NRAO); NASA/JPL-Caltech/R. Hurt (IPAC))
2) Relation entre la masse stellaire et le taux de formation stellaire des 118 galaxies observées (A. L. Faisst et al.)
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