Une étude australienne publiée dans Nature Astronomy vient de trouver dans les archives un sursaut gamma qui a subi une distorsion par une lentille gravitationnelle, et celle-ci est très probablement un trou noir de plusieurs dizaines de milliers de masses solaires, un trou noir de masse intermédiaire...
Tous les types de photons peuvent subir un effet de lentille gravitationnelle, avec à la clé une déflection de leur trajectoire et une amplification. C'est vrai pour la lumière visible, UV, infra-rouge, radio, mais aussi c'est aussi vrai pour les photons gamma et même lorsqu'ils sont émis sous la forme de sursauts très brefs. L'effet des trous noirs de masse intermédiaire (de 100 à 100000 masses solaires) sur des sursauts gamma qui sont originaires de beaucoup plus loin en arrière plan devrait produire une démultiplication de l'image du sursaut gamma avec un délai temporel de quelques millisecondes à quelques secondes entre les "images". Mais la démultiplication de l'image peut souvent être si peu espacée que la source gamma semble provenir du même endroit, d'autant que la résolution spatiale des télescopes gamma n'est pas très bonne. reste néanmoins le décalage temporel.
La signature d'une telle lentille gravitationnelle produite par un trou noir de plusieurs milliers de masses solaires sur un sursaut gamma doit alors se voir dans sa courbe de luminosité, l'évolution de la luminosité gamma en fonction du temps, qui doit se retrouver étalée d'une certaine façon.
James Paynter et ses collègues de l'Université de Melbourne ont recherché des milliers de GRB (des sursauts gamma) dans les archives (le catalogue de GRB produit par le détecteur BATSE (Burst and Transient Source Experiment) du satellite Compton Gamma Ray Observatory), pour lesquels on disposait de la courbe de luminosité. Ils ont analysé en tout 2700 GRB, et en ont trouvé un seul parmi eux qui montrait une courbe très particulière pouvant se comprendre par la somme de plusieurs motifs identiques mais amplifiés et décalés dans le temps. Ils ont utilisé une méthode statistique Bayésienne pour identifier formellement le phénomène de lentille gravitationnelle dans la courbe de luminosité de GRB950830, un sursaut gamma datant de plus de 20 ans.
Les caractéristiques du signal de délai temporel produit par la lentille gravitationnelle (délais temporels en fonction de l'amplification du signal) permettent aux chercheurs de déterminer quelle est la masse de l'objet compact qui en est à l'origine. La masse M dépend de la distance à laquelle se trouve cet objet massif (son redshift z). La valeur obtenue vaut : (1+z)×M=5,5 [+1,7−0,9]×104 M⊙. Avec un redshift typique de 1, on arrive donc à une masse M de 27500 M⊙ et même pour des redshifts très grands, la masse serait toujours bien supérieure à 100 masses solaires.
James Paynter et ses collègues concluent donc qu'ils ont mis la main sur un trou noir de la classe des intermédiaires. Ensuite, en faisant une hypothèse cette fois sur la distance à laquelle devait se trouver la source ayant produit le sursaut gamma, un redshift estimé à 2, les chercheurs dérivent le nombre de trous noirs de masse intermédiaire qui doivent se cacher par unité de volume d'Univers. Ils arrivent à une densité de 2300 par Mpc3. Une grande population de trous noirs de masse intermédiaire, selon Paynter et ses collaborateurs pourrait fournir les graines nécessaires à l'apparition des trous noirs supermassifs dans l'Univers jeune.
Et une telle densité de trous noirs de masse intermédiaire (plusieurs milliers de masses solaires, ce qui leur fait une taille de quelques milliers ou dizaines de milliers de kilomètres de rayon, soit la taille de planètes) signifie que dans le voisinage de la Voie Lactée s'en trouveraient pas moins de 46000. Il faut se rappeler que notre galaxie, outre le gros trou noir supermassif central Sgr A*, possède environ 100 millions de trous noirs de quelques masses solaires (des trous noirs stellaires, qui eux ont un rayon d'à peine quelques kilomètres). Sachant que la densité en nombre de galaxies est d'environ 0,04 par Mpc3, alors la densité des trous noirs stellaires est de l'ordre de 107 par Mpc3 et comme la densité en nombre des trous noirs doit évoluer comme l'inverse de leur masse, on voit que pour des trous noirs de 10000 masses solaires, on arrive à une densité qui suit la même "loi" que celle des trous noirs stellaires.
Les chercheurs notent que les catalogues de sursauts gamma plus récents comme ceux de Fermi ou de Konus-Wind ont une taille similaire à celle de BATSE et ils auraient selon eux une probabilité de 50% de contenir un autre GRB ayant subi une lentille gravitationnelle par un trou noir massif. Avis aux amateurs...
D'autres détections de ce type sont bien évidemment attendues avec impatience pour pouvoir affermir les chiffres qui ont été déterminés ici pour la première fois et sur la base d'un seul spécimen. La connaissance du nombre de trous noirs de masse intermédiaire doit nous mener vers des réponses à la grande question de l'apparition des trous noirs supermassifs dans l'Univers jeune. C'est donc tout sauf anodin.
Source
Evidence for an intermediate-mass black hole from a gravitationally lensed gamma-ray burst
James Paynter, Rachel Webster & Eric Thrane
Nature Astronomy (29 march 2021)
Illustration
Distribution des délais temporels en fonction des ratios d'amplification pour le sursaut gamma GRB 950830 (Paynter et al, Nature Astronomy)
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