jeudi 18 mars 2021

Jupiter : la Grande Tache Rouge attaquée et sauvée par une série d'anticyclones


La Grande Tache Rouge (GTR) de Jupiter, cet énorme anticyclone vieux de plusieurs siècles s'est fait attaquer par plusieurs plus petits anticyclones ces dernières années. une équipe d'astronomes vient d'étudier ce phénomène en détail et montre comment la GTR, bien que perturbée, a surmonté les coups de boutoir et pourrait même en profiter. Une étude publiée dans Journal of Geophysical Research.   

On ne présente plus la Grande Tache Rouge. Mais de grande elle n'aura bientôt plus que le nom. Alors qu'elle faisait 40000 km de diamètre en 1879, elle n'en fait plus aujourd'hui que 15000. 
Rappelons que la grande tache rouge n'est pas un cyclone comme on l'entend souvent, mais un anticyclone, c'est à dire que cette tempête tourne dans le sens inverse des aiguilles d'une montre puisqu'elle est dans l'hémisphère sud (ça serait dans le sens des aiguilles dans l'hémisphère nord). Les anticyclones sont surtout caractérisés par les hautes pressions qui y règnent (à l'opposé des cyclones qui tournent autour de basses pressions). 
Et on ne ne sait toujours pas pourquoi ce grand anticyclone multicentenaire se rétrécit aussi vite en ce moment. Ce qui est sûr en revanche, c'est qu'une série de petites tempêtes anticycloniques (5 à 6 fois plus petites que la GTR) sont entrées en collision avec la GTR ces deux dernières années avec des effets bien visibles. Elles ont eu pour effet d'éroder la GTR et de la rétrécir un peu plus. Dans leur étude, Agustin Sanchez Lavega (Université du Pays Basque à Bilbao) et ses collaborateurs ont observé l'environnement proche de la Grande Tache Rouge à l'aide du télescope de 2,2 m de l'Observatoire de Calar Alto, ainsi qu'à partir d'images du télescope Hubble et de l'instrument JunoCam à bord de la sonde Juno (toujours actuellement en orbite autour de Jupiter) qui ont été obtenues entre 2018 et 2020. Il faut dire que c'est dans les premiers mois de 2019 qu'une alerte a été donnée par la communauté des astronomes amateurs qui avaient détecté du changement dans la GTR. 

Avant 2019, le grand anticyclone était frappé en moyenne par un petit anticyclone par an. Mais depuis le début 2019, ce nombre a été multiplié par 20 ! Les chercheurs espagnols et leurs collègues britanniques, sud-africain, américains et japonais voulaient savoir quel était l'impact de ces attaques anticycloniques répétées sur l'emblème jovien. Ils trouvent que la GTR résiste finalement pas si mal, et ce grâce à son intense vorticité, à sa grande taille et surtout à sa grande profondeur. comparé aux autres anticyclones. Les chercheurs montrent que les "petits" anticyclones perturbent la GTR mais sont finalement absorbés par elle, qui récupère ainsi leur énergie de rotation (dans le même sens). La vitesse de rotation à la périphérie de la Grande Tache est de l'ordre de 540 km/h. Mais avant d'être absorbés, les astronomes ont observé que les petits anticyclones tournaient autour du grand, provoquant des zones chaotiques sur les bords et pouvaient produire des variations dans l'oscillation en longitude qui existe dans la GTR (avec une période de 90 jours). 
Des phénomènes d'élongation des nuages rouges sortant de l'ovale ont ainsi pu être observés. Mais ce qui paraît surprenant dans les observations détaillées qu'ils ont pu faire notamment grâce à Juno, c'est que ces perturbations importantes ne sont que superficielles. Les couches profondes du Grand Anticyclone Rouge restent relativement épargnées. A 200 km de profondeur, la GTR reste quasi intacte. Les interactions dynamiques qui sont observées offrent par ailleurs aux chercheurs l'opportunité d'estimer quelle est la profondeur de la Grande Tache Rouge, grâce à une série de modélisations. Ils trouvent une fourchette comprise entre 290 et 1450 km. Or la sonde Juno avait permis d'autres estimations de cette profondeur par différentes méthodes, une première en 2017 par l'observation de sa radiance en infra-rouge et la seconde en 2019 par l'analyse des anomalies du champ gravitationnel. Toutes deux convergeaient vers une valeur de 350 km par rapport au sommet des nuages d'ammoniac où la pression est de 1 bar. L'estimation de Sanchez Lavega et son équipe est donc cohérente avec les mesures antérieures, même si assez large.

Agustin Sanchez Lavega, qui s'est spécialisé depuis plus de 20 ans dans les vortex planétaires et plus particulièrement sur le plus majestueux du système solaire, tire la conclusion avec ses collaborateurs  que les multiples interactions d'anticyclones de plusieurs milliers de km de diamètre qu'elle a subis maintiennent en "vie" la Grande Tache en lui apportant de l'énergie de rotation supplémentaire. Ils déforment certes ces contours mais ce n'est qu'en surface et transitoire, et la GTR aurait encore de belles années devant elle grâce à eux...


Source

Jupiter’s Great Red Spot: strong interactions with incoming anticyclones in 2019
A. Sánchez‐Lavega  et al.
Journal of Geophysical Research : Planets  (17 March 2021)


Illustrations

1) La Grande Tache Rouge perturbée par une interaction, imagée par Juno (Sánchez‐Lavega  et al.)

2) Un petit anticyclone en train de perturber la structure nuageuse de la Grand tache Rouge (à gauche), imagé par Juno (Sánchez‐Lavega  et al.)

Aucun commentaire :