Une équipe d'astrophysiciens à découvert un trou noir supermassif situé 470 millions d'années après le Big Bang. Et ce petit monstre fait déjà entre 10 et 100 millions de masses solaires. Ses caractéristiques, dévoilées grâce aux télescopes spatiaux Webb et Chandra mènent sur la piste de l'origine de ces trous noirs supermassifs précoces... L'étude est parue dans Nature Astronomy.
Akos Bogdán (Harvard-Smithsonian Center for Astrophysics) et ses collaborateurs ont déniché ce nouveau trou noir dans une galaxie très déformée par lentille gravitationnelle d'une image du télescope Webb. Ils ont spécifiquement cherché la présence de sources de rayons X à fort redshift lentillées par l'amas de galaxies Abell 2744. Ils ont étudié un échantillon de 11 galaxies lentillées détectées par le télescope Webb avec un signal/bruit élevé et un redshift supérieur à 9. En utilisant les positions déterminées avec Webb, ils ont ensuite effectué des images en rayons X avec le télescope Chandra. Les rayons X signent la présence d'un trou noir supermassif actif.
Sur ces 11 galaxies, une seule montrait une émission de rayons X. Il s'agit de la galaxie nommée UHZ1, qui est en fait un quasar, et qui apparaît dans le champ de la lentille formée par l'amas de galaxie très massif Abell 2744 avec un facteur de grandissement de 3,81.
Bogdan et ses collaborateurs ont détecté avec Chandra un total de 42 photons (d'énergie entre 2 et 7 keV, ce qui fait une plage d'énergie entre 22,6 et 79,1 keV au niveau du quasar) pour un bruit de fond attendu de 21,4 photons, ce qui laisse donc 20,6 photons en signal net. Webb a pour sa part collecté de nombreux photonsinfra-rouge et pu produire une véritable image de la galaxie. La probabilité de trouver un tel signal de rayons X est de 2,73 × 10−5, ce qui correspond a une signifiance statistique de 4,2σ. La réalité de cette émission de rayons X est donc claire. Les chercheurs précisent que dans le plage énergétique entre 0,5 et 2 keV (11,3−22,6 keV dans le référentiel du quasar), la source n'est pas détectée. Ils expliquent cela par le fait que la lumière de ce quasar serait fortement absorbée par la matière environnante.
Et ce quasar est vraiment très lointain, puisqu'il arbore un redshift de 10,3, ce qui le situé moins de 500 millions d'années après le Big Bang, 470 millions pour être exact. Les nombreuses observations de quasars ont déjà révélé que de nombreux trous noirs supermassifs étaient en déjà place moins de 700 millions d'années après le Big Bang. Mais l’origine de ces premiers trous noirs très massifs reste encore mystérieuse. La découverte du trou noir de UHZ1 avec sa masse de plusieurs dizaines de millions de masses solaires n'arrange pas les choses...
Il existe deux voies distinctes pour produire les graines de trous noirs qui pourront devenir des trous noirs supermassifs dans l'Univers très jeune. La première est celle des graines "légères" : des trous noirs d'origine stellaire issus des toutes premières étoiles, et qui auraient une masse d'environ 100 masses solaires et la seconde est celle des graines "lourdes" : des trous noirs provenant de l'effondrement direct de nuages de gaz massifs, et qui auraient une masse pouvant atteindre 100 000 masses solaires.
La masse du trou noir énergisant le quasar UHZ1 a pu être déterminée par Bogdan et ses collaborateurs à partir de sa luminosité bolométrique qui vaut 5 × 1045 erg s-1. En supposant un taux d'accrétion égal à la limite d'Eddington (limite au delà de laquelle l'accrétion de matière est stoppée par le rayonnement du disque d'accrétion), les chercheurs trouvent une masse comprise entre 10 et 100 millions M⊙. Mais le plus surprenant, c'est que les astrophysiciens peuvent mesurer (ou estimer) également la masse d'étoiles de cette galaxie et ils trouvent que la masse du trou noir est du même ordre que la masse des étoiles ! Les chercheurs donnent une fourchette entre 10% et 100% de la masse des étoiles. C'est considérable puisque dans une galaxie de l'Univers local, la masse d'un trou noir supermassif est plutôt de l'ordre de 0,1 % de la masse stellaire de sa galaxie hôte.
Bogdan et ses collaborateurs rappellent que la combinaison d'une masse de trou noir aussi élevée et d'un rapport de masse trou noir/étoiles élevé à peine 500 Mégannées après le Big Bang a été théoriquement prédite et serait cohérente avec le scenario des graines lourdes. Mais pas avec le scénario des graines légères. En effet, 470 millions d’années après le Big Bang, c'est seulement environ 300 millions d'années après la naissance des premières étoiles et des premières graines de trous noirs, et ce laps de temps ne suffit pas pour que les étoiles se forment et meurent, et pour que les trous noirs en résultant grossissent suffisamment jusqu'à atteindre plusieurs dizaines de millions de masses solaires en quelques dizaines de millions d'années.
Les chercheurs retracent l'historique de l'assemblage de masse des graines de trous noris initiales à partir des graines légères et lourdes depuis un redshift z = 25 jusqu'à la masse de trou noir finale déduite pour UHZ1 de 10 à 100 millions M⊙. L'histoire de la croissance des graines est suivie depuis la naissance jusqu'à l'époque à laquelle UHZ1 est détecté, à savoir z = 10,3. Les astrophysiciens montrent qu'une graine initialement légère avec une masse de 10 à 100 M⊙ doit grossir de manière constante à plus de deux fois le taux d'Eddington tout au long de la période; tandis qu'une graine lourde avec une masse initiale de 10 000 à 100 000 M⊙ atteint la masse finale du trou noir alimentant UHZ1 en s'accrétant juste au taux d'Eddington. Les chercheurs notent en passant qu'en raison de sa masse déduite et de son redshift, UHZ1 offre actuellement un pouvoir plus discriminant en termes de modèles de graines et donc des preuves plus convaincantes de graines initiales lourdes que les trois quasars à z ≈ 7,5 actuellement connus (J0313-1806, J1342+0928 et J1007+2125) .
Selon les chercheurs, la détection d'UHZ1, et potentiellement d'autres sources, pourrait probablement ne représenter que la pointe de l'iceberg en termes de découverte de la population de trous noirs supermassifs en croissance à ces premiers temps cosmiques. Et on rappelle que comme le démontrent les simulations cosmologiques, les trous noirs les plus massif situés à des époques très précoces ne produisent pas nécessairement les trous noirs de masse la plus élevée à des époques ultérieures, car l'histoire de la croissance dépend fortement des détails de l'environnement de ces objets. Par conséquent, un trou noir comme UHZ1 n'est pas nécessairement un ancêtre des quasars vus plus proches de nous et hébergeant des monstres de plusieurs milliards de masses solaires (à des redshifts z de 6 ou 7).
Pour que le scénario de la graine légère fonctionne, Bogdan et al. montrent qu'il faudrait une accrétion régulière à plus de deux fois le taux d'Eddington pendant 300 mégannées et cela nécessiterait que du gaz soit continuellement délivré au trou noir après une suppression efficace de son moment cinétique. Un réservoir de gaz supérieur à 100 millions de M⊙ serait nécessaire pour alimenter continuellement le trou noir à ce rythme pendant plusieurs centaines de millions d'années. En retraçant l'historique de croissance d'environ 15 000 graines légères par simulation, dans trois régions de surdensité différentes avec une résolution à l'échelle du parsec, peuplées de mini-halos dont la masse varie de 1 million à 1 milliard M⊙, aucune croissance substantielle par accrétion n'a été trouvée. Même les trous noirs les plus actifs ont augmenté en masse d'au plus de 10 % par rapport à la masse des graines sur plusieurs centaines de millions d'années... En fait, il a été constaté que la formation d’étoiles rivalisait avec l’accrétion de trous noirs en termes de consommation de gaz ; et les processus de rétroaction qui en résultent à leur tour suppriment efficacement la croissance des trous noirs.
Pendant ce temps, comme Bogdan et al. le démontrent, une graine initialement lourde, grossissant même modestement au taux d'Eddington voire légèrement en dessous, peut facilement atteindre la masse déduite de UHZ1 en 300 mégannées... Cette découverte conforte donc l'idée selon laquelle les premiers trous noirs massifs seraient nés lors de l’effondrement de nuages de gaz massifs.
Source
Evidence for heavy-seed origin of early supermassive black holes from a z ≈ 10 X-ray quasar
Bogdán, A. et al.
Nature Astronomy (6 november 2023)
Illustrations
1. Image composite de l'amas Abell 2744 par Webb et Chandra (Chandra/JWST/NASA/ESA)
2. Zoom de Webb et de Chandra sur le quasar UHZ1 (Bogdan et al.)
3. Evolution de la masse des trous noirs en fonction du redshift par accrétion de matière à partir d'une graine à z=25.
4 Akos Bogdan
2 commentaires :
Bonjour,
Les taux d'accrétion des TN supermassifs pourraient être sous estimés, selon Nicholas Kaaz et al.Il a réalisé une simulation à haute résolution sur un supercalculateur, en tenant compte d'une possible angulation entre plan du disque d'accrétion et plan de rotation du TN ; l'instabilité du disque le fait se scinder en 2 et l'effet Lens Thirring incline alors fortement le sous disque interne ; tout cela amène à un taux d'accrétion bien plus rapide que celui envisagé classiquement, et pourrait expliquer, au moins partiellement, la précocité de certains TNSM.
N. Kaaz et al., Nozzle Shocks, Disk Tearing, and Streamers Drive Rapid Accretion in 3D GRMHD Simulations of Warped Thin Disks, The astrophysical journal, 2023
Merci Pascal pour cette référence!
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