14/11/23

Une étoile à neutrons de 0,77 masse solaire, vraiment ?


HESS J1731-347  est un objet compact, mais on ne sait pas vraiment ce que c'est. Il a une masse de seulement  0,77 masse solaire et un rayon de 10,4 km. Etoile à neutrons un peu bizarre ? Etoile de quarks ? Etoile hybride ? ou étoile à neutrons contenant de la matière noire ? Une équipe d'astrophysiciens a étudié différents modèles pour essayer de dénouer la pelote. Leur étude est parue dans The Astrophysical Journal.

Lors de l'explosion d'une étoile en supernova qui produit une étoile à neutrons résiduelle, l'étoile à neutrons ne peut avoir n'importe quelle masse. Il existe une masse maximale fixée par la théorie associant mécanique quantique et relativité générale. Cette masse maximale est d'environ 2,5 masses solaires. Mais l'astrophysique nous dit aussi qu'il existe une masse minimale de production d'une étoile à neutrons. Cette masse minimale est théoriquement comprise entre 0,88 à 1,28 masses solaires, mais les simulations d'explosions de supernovas trouvent une masse minimale de 1,17 masses solaires.

Les caractéristiques masse, rayon et température de HESS J1731-347 ont été mesurées par Doroshenko et al. en 2022 (voir épisode 1404). Ils ont obtenu une masse de 0,77 (+0,20 -0,17) masse solaire, un rayon de 10,40 (+0,86 -0,78) km et une température de surface de 2,05 (+0,09 -0,06) MK. Cet objet serait âgé de 27 000 ans et est situé à 2,5 kpc.

Violetta Sagun (Université de Coimbra) et ses collaborateurs se sont intéressés à cet objet astrophysique qui serait l'objet compact le plus léger et le plus petit jamais détecté. Il soulève en effet de nombreuses questions et ouvre la voie à différentes théories qui pourraient expliquer les observations. Dans leur article, Sagun et ses collaborateurs utilisent les informations obtenues par Doroshenko et al. sur la masse, le rayon et la température de surface de HESS J1731-347 et des données multimessagers sur d'autres étoiles à neutrons. Ils étudient quatre scénarios possibles pour expliquer HESS J1731-347 : une étoile à neutrons ayant une masse inférieure à la limite basse théorique, une étoile à quarks, une étoile hybride avec une transition de phase précoce de déconfinement, et enfin une étoile à neutrons incorporant de la matière noire dans son noyau.

Pour tester ces différents scénarios, les chercheurs modélisent la matière nucléaire et celle des quarks au sein d'équations d'états (EOS) réalistes avec un calcul des écarts d'appariement dans les quarks. L'équation d'état de la matière nucléaire permet de déterminer comment doit évoluer le rayon d'une étoile à neutrons en fonction de sa masse. Les chercheurs effectuent l'analyse conjointe de l'évolution thermique et de la contrainte masse-rayon de HESS J1731-347, ce qui leur permet de confronter les données avec les différents modèles.

Sagun et ses collaborateurs trouvent qu'une équation d'état nucléonique qui serait particulièrement "molle" est capable de reproduire simultanément les mesures de masse et de rayon et de donner une bonne description de la température de surface de HESS J1731-347 (courbe bleue sur la figure ci-dessus). Mais ils montrent que le deuxième scénario d'une étoile à quarks peut également très bien reproduire la masse, le rayon et surtout la température de surface de HESS J1731-347, car les quarks appariés suppriment l'émission de neutrinos et l'émission de photons depuis la surface sera également plus faible en raison du rayon de l'étoile plus petite, ce qui a pour effet de réduire le refroidissement et donc au final de produire une température de surface très élevée. 
Quant au scénario de l'étoile hybride, et bien Sagun et ses collaborateurs démontrent qu'il pourrait lui aussi expliquer les caractéristiques de HESS J1731-347. Il s'agirait dans ce cas d'une étoile hybride avec une transition de phase de déconfinement précoce, qui se produit en dessous de deux fois la densité de saturation nucléaire. Une telle étoile hybride contiendrait un gros noyau de plasma quark-gluon, ce qui pourrait potentiellement conduire à un refroidissement rapide, mais les chercheurs montrent comment une dérivation auto-cohérente de l'écart d'appariement des quarks les amène à conclure que les quarks existeraient dans une certaine phase (2SC), qui supprime un refroidissement rapide et fournit alors un accord avec la mesure de la température de surface de HESS J1731-347.
Le quatrième scénario, qui est traité comme un scénario alternatif, plus spéculatif, considère qu'il s'agirait d'une étoile à neutrons qui est formée pour une fraction d'environ 5% de matière noire sous la forme de particules massives n'interagissant que par gravité. Ce scénario laisse l'évolution thermique inchangée et a pour effet de produire des objets plus compacts. En terme de fonction d'état, la présence d'une certaine fraction de matière noire a pour effet de ramollir la fonction d'état de l'étoile à neutrons : le rayon bouge plus facilement en fonction de la masse. Sur la base de l'analyse effectuée sur les paramètres de ce modèle, les chercheurs constatent que les particules de matière noire fermioniques ayant une masse supérieure à 1,15 GeV et une fraction supérieure à 4,2% dans l'étoile à neutrons fournissent un accord complet avec les mesures de HESS J1731-347 à 2σ, pour des équations d'état rigides et molles. L'analyse effectuée sur la masse des particules de matière noire et leur fraction au sein de l'étoile à neutrons montre que le même effet pourrait être observé en augmentant la masse de la particule de matière noire et en diminuant sa fraction.

Les quatre scénarios qui ont été testés fonctionnent donc tous pour expliquer HESS J1731-347. Certes, Violetta Sagun et ses collaborateurs n'ont pas réussi à dire ce que HESS J1731-347 était ou n'était pas. Ils n'ont pas pu exclure l'un ou l'autre des scénarios envisagés, mais ils ont pu contraindre pour chacun d'eux certains de leurs paramètres, et c'est déjà important. 

La faible masse de HESS J1731-347 garde sa part de mystère et toutes les possibilités sont donc encore ouvertes. Au moins quatre modèles différents permettent de produire un objet de 0,77 masse solaire et de 10,4 km de rayon, en forte tension avec la masse minimale de 1,17 masses solaires des simulations astrophysiques de supernovas. Les chercheurs rappellent toutefois que la masse estimée de 0,77 masse solaire repose sur le fait que l'objet possèderait une atmosphère de carbone à température uniforme et qu'il est situé à une distance de 2,5 kpc. D'autres études seront donc nécessaires pour réduire les incertitudes et tester la validité des résultats obtenus. Parmi les futures observations de l'objet HESS J1731-347 qui seraient nécessaires, il y a la recherche de l'existence d'éventuels points chauds/froids à la surface de l'étoile, la détermination plus précise de la composition de son atmosphère, et bien sûr de sa distance.  

Source

What Is the Nature of the HESS J1731-347 Compact Object?
Violetta Sagun et al.
The Astrophysical Journal, Volume 958, Number 1 (10 November 2023)


Illustrations 

1. Vue d'artiste d'une étoile à neutrons isolée (Casey Reed - Penn State University - Casey Reed - Penn State University)
2. Relation masse-rayon pour différentes équations d'état et différentes contraintes (Sagun et al.)
3. Violetta Sagun 

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