02/05/25

L'eau lunaire produite par le vent solaire


Lorsqu'un flux de particules chargées provenant du Soleil, le vent solaire, percute la surface lunaire, il déclenche des réactions chimiques qui sont susceptibles de former des molécules d'eau. Une équipe de chercheurs vient de reproduire ce bombardement de protons en laboratoire sur un échantillon lunaire et ils parviennent effectivement à créer de l'eau dans le régolithe. Ils publient leur étude dans Journal of Geophysical Research.

La plupart des particules solaires n'atteignent pas la surface de la Terre, car notre planète est dotée d'un bouclier magnétique et d'une atmosphère qui les dévient puis les absorbe. Mais la Lune ne bénéficie pas d'une telle protection. Lorsque des protons percutent la surface lunaire, constituée d'un matériau rocheux appelé régolithe, ils entrent en collision avec des électrons et se recombinent pour former des atomes d'hydrogène. Ensuite, les atomes d'hydrogène peuvent migrer à travers la surface et se lier aux atomes d'oxygène abondants déjà présents dans des minéraux comme la silice, pour former des molécules d'hydroxyle (OH), et des molécules d'eau (H2O). Des traces de molécules d'hydroxyle et d'eau ont déjà été découvertes à la surface supérieure de la Lune, à quelques millimètres de profondeur seulement. Ces molécules laissent une empreinte spectrale dans la lumière réfléchie par le régolithe. Mais, avec les outils actuels, il est difficile de distinguer l'hydroxyle de l'eau ; les chercheurs utilisent donc le terme « eau » pour désigner à la fois l'une ou l'autre de ces molécules, ou un mélange des deux.
Pour expliquer l'origine de ces molécules, De nombreux chercheurs pensent que le vent solaire est la principale, bien que d'autres sources comme les impacts de micrométéorites pourraient également aider en créant de la chaleur et en déclenchant des réactions chimiques. En 2016, on a notamment découvert que de l'eau est libérée de la Lune lors des pluies de météorites. Lorsqu'un impacteur frappe la Lune, il se vaporise, créant une onde de choc qui peut percer la couche supérieure sèche du sol et libérer des molécules d'eau d'une couche hydratée située en dessous. 

Des mesures effectuées par des sondes spatiales avaient déjà suggéré que le vent solaire était le principal moteur de l'eau à la surface lunaire. Un indice clé était que le signal spectral lié à l'eau de la Lune évolue au cours de la journée. Dans certaines régions, il est plus intense le matin, plus frais, et s'atténue à mesure que la surface se réchauffe, probablement parce que les molécules d'eau et d'hydrogène se déplacent ou s'échappent plus en fonction de la température. Lorsque la surface se refroidit à nouveau la nuit, le signal atteint à nouveau son maximum. Ce cycle quotidien indique une source active – donc probablement le vent solaire – qui réapprovisionne chaque jour de petites quantités d'eau sur la Lune.


Pour vérifier cette hypothèse, Li Hsia Yeo (Goddard Space Flight Center de la NASA) et ses collaborateurs ont directement examiné des échantillons lunaires rapportés par la mission Apollo 17 en 1972. Il s'agit des échantillons LS 78421 et LS 73131.

Pour la première fois, ils ont utilisé un dispositif à faisceau de protons, une chambre à vide simulant l'environnement lunaire et un détecteur de molécules d'eau, sans avoir besoin de sortir l'échantillon et risquer de l'exposer à la contamination par l'eau présente dans l'air. 

Yeo et ses collègues ont d'abord cuit les échantillons afin d'éliminer toute trace d'eau entre leur stockage hermétique dans le centre de conservation des échantillons spatiaux de la NASA, au Centre spatial Johnson de Houston, et le laboratoire de Goddard. Ils ont ensuite utilisé un minuscule accélérateur de particules pour bombarder la poussière avec un vent solaire simulé, des protons de 1 keV, pendant plusieurs jours, soit l'équivalent de 80 000 ans sur la Lune, compte tenu de la forte dose de utilisée. Ils ont utilisé un spectromètre pour mesurer la quantité de lumière réfléchie par les molécules de poussière, ce qui a montré comment la composition chimique des échantillons changeait au fil du temps.

Les caractéristiques et la position de la bande à 3 µm (raie d'absorption de l'eau) sont mesurées entre LS 78421, LS 73131 et un témoin de silice broyée, reflétant les structures cristallines et les environnements chimiques uniques de chaque échantillon. En cyclant la température de l'échantillon jusqu'à 400 K (le maximum lunaire diurne), les chercheurs mettent en évidence le rôle de la diffusion de l'hydrogène dans la dynamique de OH/H2O dans le sol lunaire : l'eau disparaît un peu. Cela permet à Yeo et a. de calculer les énergies d'activation de la diffusion de l'hydrogène : 0,66 à 0,75 eV et de 0,72 à 0,81 eV sont obtenues respectivement pour LS 78421 et LS 73131.

Les résultats révèlent que ce processus d'hydroxylation, crée des caractéristiques spectrales uniques pour les deux échantillons lunaires étudiés. Yeo et al. montrent que les caractéristiques spectrales sont fortement influencées par la capacité de l'hydrogène à diffuser dans le sol lunaire. Les résultats montrent aussi que si ces liaisons OH nouvellement créées sont relativement stables à température ambiante, des températures plus élevées, comme à la surface lunaire éclairée par le jour, entraînent un dégazage et une diffusion accrus de l'hydrogène plus profondément dans le régolithe lunaire, exactement ce qui avait été observé par les sondes spatiales. Mais les chercheurs précisent que l'effet d'hydroxylation observé dans cette étude qui est de l'ordre de 100 ppm sur l'équivalent de 80 000 ans de rayonnement solaire, ne suffit pas à expliquer quantitativement les variations diurnes de OH/H20 qui avait été observées par la sonde EPOXI  et qui valaient plusieurs centaines de ppm par jour lunaire). D'autres études sur la relation entre la température du régolithe et l'hydroxylation sont nécessaires.

Tout en démontrant l'hydroxylation du sol lunaire par les protons du vent solaire, ces travaux ouvrent de nombreuses pistes de recherche. Premièrement, les réponses spectrales uniques de chaque échantillon lunaire au même traitement expérimental suggèrent que des différences dans des facteurs tels que la minéralogie et les fractions granulométriques pourraient jouer un rôle important dans l'hydroxylation et donc dans la quantité d'hydratation contenue dans le sol lunaire. Il a été suggéré que sous un bombardement intense et constant de plasma énergétique, de rayonnement et de micrométéoroïdes, la formation de défauts et de liaisons pendantes à la surface des grains de poussière permet l'hydroxylation (Farrell et al.,  2017 ; Fink et al.,  1995 ). 

Deuxièmement, le rôle de la température et du temps sur le mouvement et la distribution de l'hydrogène au sein du sol lunaire est un point important à considérer. Le régolithe lunaire est soumis à des températures variables et extrêmes sur toute la surface lunaire, notamment des pics importants et soudains causés par le bombardement de micrométéoroïdes. Il est donc probable que les températures locales jouent un rôle important dans la détermination du degré d'hydratation d'un site ainsi que de la migration globale de l'hydrogène sur la Lune. Ces effets thermiques interagissent probablement avec les processus de radiation et de formation de défauts. Une prise en compte complète de ces processus concurrents est donc nécessaire pour bien comprendre les durées de vie et les échelles de survie de H20 et OH à la surface lunaire. 

Source

Hydroxylation and Hydrogen Diffusion in Lunar Samples: Spectral Measurements During Proton Irradiation
Li Hsia Yeo et al.
Journal of Geophysical Research:Planets (17 March 2025)


Illustrations

1. Evolution de la concentration en eau en fonction de la fluence de protons et effet de la température (Yeo et al.)
2. Montage expérimental utilisé pour l'expérience (Yeo et al.)
3.  Li Hsia Yeo


Aucun commentaire :