01/12/14

Laboratoires Souterrains : le grand bond en avant Chinois

Le laboratoire souterrain le plus profond du monde, dédié à la recherche en physique des astroparticules est un laboratoire chinois, le China Jinping Underground Laboratory (CJPL). Il est non seulement le plus profond, mais il va devenir dans très  peu de temps le deuxième plus vaste. Des expériences vont pouvoir y accueillir des détecteurs gigantesques pour la recherche de la matière noire (entre autres).


Vue schématique de l'environnement du
laboratoire souterrain de Jinping
(J.Phys.Conf.Ser. 375 (2012) 042061, Yue Qian et al.)

C’est en début d’année 2015 que les ouvriers chinois vont commencer à creuser quatre nouvelles cavernes pour agrandir les halls déjà existants au CJPL, enfouis sous une montagne de 2400 m, dans la province du Sichuan, et qui a été inauguré il y a seulement quatre ans. Cette profondeur est sans égal dans le monde, équivaut à 7500 m d'eau.

Le futur grand laboratoire souterrain chinois aura alors un volume de 120 000 mètres cubes, à peine plus petit que le plus grand laboratoire souterrain, celui du Gran Sasso en Italie (le LNGS), qui offre 180 000 m3 d’aires expérimentales sous 1400 m de roche aux chercheurs du monde entier. Mais le CJPL est bien plus profond que le LNGS, ce qui lui donne un atout certain.

Rappelons que de nombreuses expériences de physique des astroparticules ont besoin de travailler en très grande profondeur de manière à se protéger drastiquement du moindre rayon cosmique parasite, comme des muons qui parviennent à traverser de grandes épaisseurs de roche. Le plus on aura d’épaisseur de montagne au-dessus de nos têtes, le mieux ce sera pour les expériences de détection de matière noire ou de recherche sur les neutrinos notamment.

L’aventure souterraine chinoise est allée très vite, comme souvent en Chine. C’est par hasard à l’été 2008 que le physicien Quian Yue, de l’université de Tsinghua à Pékin vit à la télévision un reportage sur le creusement de tunnels d’accès à travers la montagne du Jinping pour la construction d’un complexe hydroélectrique géant.  Il eut alors l’idée brillante de profiter de ces grands travaux pour demander (via son université) à la Yalong River Hydropower Development Ltd. de creuser en plus deux cavernes au milieu de la montagne, le long d’un des deux tunnels prévus, de manière à créer deux halls d’un total de 4000 m3, ce qui fut fait très vite...
Flux de muons cosmiques dans les différents laboratoires souterrains. Ce flux est 500 fois plus faible
au JinPing par rapport au Gran Sasso.
Dès la mise en route de ce tout nouveau laboratoire souterrain, certes petit à l’époque, deux expériences de recherche de matière noire y furent installées. La première s’appelle PandaX (Particle and Astrophysical Xenon), elle exploite un détecteur à xénon liquide de 37 kg, à la manière de ces concurrents américains LUX ou européens XENON100, pour détecter des collisions directes de particules de matière noire, des WIMPs. Le second hall expérimental, lui, abrite une autre expérience de recherche directe de WIMPs, fondée sur la technologie développée par les américains de CDMS et les européens de EDELWEISS : des détecteurs cryogéniques au germanium. Elle s’appelle tout simplement CDEX (China Dark Matter EXperiment).
Ces deux technologies sont complémentaires l’une de l’autre car assez différentes tout en cherchant la même chose. Ce sont d’ailleurs les deux seules technologies de recherche directe de WIMPs qui ont obtenues un financement pour poursuivre leur quête aux Etats-Unis.
Les premiers résultats obtenus par les chinois sont encourageants vu leurs détecteurs et leur configuration, mais pour améliorer leurs résultats, ils ont besoin désormais de beaucoup plus de volume : des détecteurs plus gros ou en plus grand nombre, des blindages contre la radioactivité naturelle plus gros aussi. C’est entre autres pour ces raisons qu’un agrandissement est devenu nécessaire. A partir de la preuve qu’ils pouvaient obtenir de belles mesures, les physiciens chinois ont réussi à convaincre leur gouvernement de transformer le CJPL en multipliant par 30 son volume, passant de 4000 m3 à 120 000 m3 ! Car tant qu’à agrandir, autant faire du CJPL une destination de rêve pour les physiciens des astroparticules du monde entier. Quatre nouveaux halls vont ainsi être creusés : chacun aura une longueur de 130 m, pour une largeur et une hauteur de 13 m, le tout pour la modique somme de 50 millions de dollars grâce aux travaux préexistants.
Le détecteur PandaX en cours d'installation
(MENGJIAO XIAO/SHANGHAI JIAO TONG UNIVERSITY)

L’exploitation scientifique de ces nouveaux espaces pourrait débuter au début 2016. L’expérience CDEX pense déjà multiplier par 10 la masse de ses détecteurs germanium en y ajoutant des blindages bien plus élaborés que ceux utilisés aujourd’hui, quant à PandaX, ils veulent tout simplement construire le détecteur ultime, encore plus gros que ce qu’avaient pu imaginer les physiciens américains ou européens : un détecteur au xénon liquide de 20 tonnes. Les Chinois pensent tout de même que cette expérience devra se construire par une collaboration internationale.
Mais il n’y a pas que la physique des astroparticules qui s’intéresse de près à la possibilité de pouvoir travailler en très grande profondeur avec de l’espace : il y a aussi l’astrophysique nucléaire. De même que le laboratoire du Gran Sasso abrite un petit accélérateur de particules qui permet d’étudier finement les réactions nucléaires qui se produisent au cœur des étoiles et dans l’univers primordial (l’expérience LUNA), qui a besoin du bruit de fond radioactif le plus bas possible, le CJPL aura lui aussi son accélérateur de particule pour effectuer ces mêmes études. L’expérience chinoise aura d’ailleurs un nom très proche : JUNA (Jinping Underground laboratory for Nuclear Astrophysics). Ne me faites pas dire que les chinois manquent d’imagination pour trouver des noms de manips, hein… PandaX, c’était quand même sympa, non ? J’allais presque oublier : bien sûr, l’accélérateur de JUNA sera plus performant que celui de LUNA, en plus d’être bien plus plus profond…

Pour résumer, les Chinois vont très vite, voient très loin, et ont vraiment l’avenir entre leurs mains. Dommage qu’ils ne connaissent pas la démocratie.


Source :

China Supersizes its underground Physics Lab
Science Vol. 346 no. 6213 pp. 1041 (28 November 2014)

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