Les mesures de la distance, en astronomie, sont le plus souvent fondées sur l’observation de la luminosité apparente d’objets dont on connaît par ailleurs la quantité de lumière qu’ils émettent. La quantité de lumière que nous observons est en effet proportionnelle à la quantité de lumière émise, et inversement proportionnelle à la distance au carré. L’exemple le plus connu de cette méthode de mesure de distance est l’utilisation des supernovas de type Ia.
Mais cette méthode a aussi ses défauts et peut être une source d’incertitudes ou imprécisions assez grandes. La méthode la plus efficace pour mesurer une distance est encore de recourir à la géométrie.
Principe de la mesure de parallaxe exploitée par Hönig et al. (Nature) |
La petite variation angulaire observée à 6 mois d’intervalle permet très facilement par une simple formule trigonométrique de base, connaissant le diamètre (le grand-axe de l’ellipse) de l’orbite terrestre, d’en déduire la distance séparant le Soleil de l’étoile observée.
Une variation d’1 seconde d’arc observée est ainsi équivalente à une distance de 1 parsec (pc), 3,26 années-lumière.
Cette méthode fonctionne très bien jusqu’à une certaine précision angulaire, qui est aujourd’hui plus une contrainte technologique que méthodologique. Le satellite Gaïa dédié à des mesures astrométriques de précision (mesures de positions et de vitesses d’étoiles de la galaxie) peut atteindre des précisions de mesure de parallaxe inégalées, atteignant jusqu’à quelques microarcsecondes. Il ne permet donc pas de mesurer des distances de plus de 2 ou 3 millions d’années-lumière par cette méthode. A peine la distance de notre galaxie voisine, la galaxie d’Andromède…
Des astrophysiciens danois et japonais viennent pourtant de proposer une méthode dérivée de la méthode du parallaxe pour évaluer des distances beaucoup plus lointaines, qui se chiffrent en dizaines de millions d’année-lumière. Elle concerne des objets très particuliers, qui ont le bon goût d’être très lumineux, et d’avoir une certaine étendue spatiale. Il s’agit de noyaux actifs de galaxies (AGN), des sortes de petits quasars, qui contiennent eux-aussi un trou noir supermassif.
Les télescopes du Keck Observatory au Mauna Kea à Hawaï (Swinburne University of Technology) |
L’idée de Sebastian Hönig et ses collègues, qui est publiée dans la revue Nature du 27 novembre, est d’inverser le triangle de la méthode du parallaxe en considérant que la base n’est plus le diamètre de l’orbite de la Terre, mais le diamètre de la source d’émission formant le noyau actif entourant le trou noir supermassif. Il se trouve que l’on peut connaître la valeur de cette base du triangle par l’observation, d’une manière indirecte. Cette méthode est appelée la cartographie de réverbération : la zone émissive entourant le trou noir supermassif produit des sauts d’émission, qui fluctuent dans le temps, lumière émise dans toutes les directions. Ces sauts de luminosité sont observés d’une part directement pour les photons qui sont produits dans notre direction, mais aussi par réverbération sur des nuages de gaz et de poussières situés à 90° de part et d’autre du disque d’accrétion du trou noir supermassif et qui renvoient une partie de la lumière vers nous.
Mais cette lumière qui va se réverbérer sur cette matière dense se meut à une vitesse bien connue, la vitesse de la lumière. Donc, lorsque l’on compare la différence temporelle entre les sursauts de luminosité qui nous arrivent tout droit du trou noir supermassif (de son disque d’accrétion en fait) et les mêmes sursauts (reconnaissables par leur structure temporelle identique) réverbérés à 90° sur des nuages de gaz, on en déduit le diamètre de la coquille de gaz entourant le trou noir supermassif accrétant…
Mais cette lumière qui va se réverbérer sur cette matière dense se meut à une vitesse bien connue, la vitesse de la lumière. Donc, lorsque l’on compare la différence temporelle entre les sursauts de luminosité qui nous arrivent tout droit du trou noir supermassif (de son disque d’accrétion en fait) et les mêmes sursauts (reconnaissables par leur structure temporelle identique) réverbérés à 90° sur des nuages de gaz, on en déduit le diamètre de la coquille de gaz entourant le trou noir supermassif accrétant…
Mais la méthode du parallaxe impose de connaître 2 paramètres géométriques pour en déduire le troisième. Nous connaissons désormais la longueur de la base du triangle, il faut maintenant connaitre l’angle que fait le sommet du triangle, c’est-à-dire la distance angulaire de la coquille de gaz où a lieu la réverbération.
Hönig et ses collègues ont exploité le fait que les nuages de poussière chaude qui rayonnent en infra-rouge et qu’on trouve autour des noyaux actifs de galaxie, étaient suffisamment étendus pour pouvoir être résolus angulairement par un interféromètre, notamment celui du télescope Keck à Hawaï. L’ordre de grandeur de la résolution angulaire atteinte est de 0,5 milli-arcseconde, soit bien moins que ce que fait Gaia, mais 100 fois mieux que ce que propose le télescope spatial Hubble.
NGC 4151 (NASA/Sloan Digital Sky Survey Collaboration) |
Ils ont donc cherché un signal de réverbération de lumière sur de tels nuages d’AGN en provenance du centre, à partir des données du projet japonais MAGNUM, et l’ont trouvée.
Avec la mesure angulaire obtenue avec Keck et la mesure de distance obtenue avec MAGNUM, les chercheurs danois et japonais sont en mesure de déterminer la distance d’un AGN nommé NGC 4151 : 19 Mpc, soit 62 millions d’années-lumière. La valeur d’incertitude qu’ils obtiennent (2,5 Mpc) est tout à fait intéressante pour des mesures à aussi grande distance.
Et cette nouvelle mesure de distance de cet AGN NGC 4151 a des conséquences importantes. Car NGC 4151 est un très bel exemple d’AGN produisant une réverbération de la lumière issue du trou noir supermassif. Or, NGC 4151 est aussi très bien adapté à la mesure de la masse du trou noir supermassif par mesure dite « cinématique », mesure des vitesses du gaz et des étoiles proches du trou. On connaît donc la masse du trou noir supermassif de l’AGN et on connaît bien la réverbération associée à ce trou noir. Grâce à ses caractéristiques, NGC 4151 est ainsi devenu un étalon pour la mesure de la masse des trous noirs supermassifs dans les AGN dont on ne peut voir qu’un signal de réverbération. Les AGN ou quasars dans ce cas se comptent par dizaines de milliers ! Il ne suffirait donc que la masse de l’étalon soit modifiée pour que des dizaines de milliers d’autres trous noirs supermassifs voient leur masse modifiée aussi.
Or, la mesure cinématique de la masse dépend de … la distance du trou noir. Et c’est là qu’intervient la nouvelle mesure de distance de Hönig et al. Car la nouvelle valeur, plus précise, qui vient d’être obtenue, est légèrement plus grande qu’estimée auparavant (19 Mpc contre 13,2 Mpc). La masse du trou noir doit donc être revue à la hausse d'un facteur 1,4, pour passer de 38 à 54 millions de masses solaires (lorsqu'elle est calculée à partir de la cinématique des étoiles) ou de 30 à 43 millions de masses solaires lorsqu'elle est calculée à partir de la cinématique du gaz. Avec elle, c'est donc la masse de dizaines de milliers de trous noirs supermassifs dont la masse est déduite par des mesures de réverbération associées aux valeurs de l’étalon NGC 4151, qui doit être réevaluée de 40%.
Cette nouvelle méthode de mesure de distances montre toute la puissance de l’interférométrie, que ce soit dans le visible ou l’infra-rouge. Les progrès futurs dans ce domaine permettront sans nul doute d’atteindre des mesures géométriques de distances, très précises sur des échelles toujours plus grandes, peut-être même au-delà de ce que permettent aujourd’hui les chandelles standard que sont les supernovas Ia.
Référence :
A dust-parallax distance of 19 megaparsecs to the supermassive black hole in NGC 4151
S. Hönig,et al.
Nature 515, 528–530 (27 November 2014)
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