Rien ne va plus dans le modèle de formation des galaxies, c’est ce que semble indiquer la très récente découverte d’un trou noir supermassif de 7 milliards de masses solaires dans une petite galaxie, lorsque l’univers n’était âgé que de 2 milliards d’années. La masse de ce trou noir géant fait à lui seul 14% de la masse totale des étoiles de la galaxie…
Vue d'artiste de CID-947 (Michael S. Helfenbein/Yale) |
Le modèle généralement admis est un modèle de coévolution : les trous noirs supermassifs situés au centre des galaxies doivent grossir en même temps que la galaxie hôte produit des étoiles et grossit elle aussi. La masse du trou noir supermassif en fin d’évolution atteint généralement 0,2 à 0,5% de la masse stellaire de la galaxie hôte. On estime que le rayonnement qui est produit indirectement par le trou noir a un effet de rétro-action sur la formation des étoiles dans toute la galaxie. Mais cette nouvelle observation étonnante vient rebattre les cartes de ce modèle de coévolution, au moins à l’époque de l’univers jeune.
Ce qui apparaît, c’est que ce trou noir supermassif a grossi beaucoup plus vite que sa galaxie. Benny Trakhtenbrot de l’institut d’astronomie de l’Ecole Polytechnique fédérale de Zurich et son équipe internationale ont utilisé le télescope Hawaïen Keck de 10 m pour observer la galaxie CID-947 dans le proche infra-rouge grâce au spectrographe MOSFIRE qui leur a permis d’observer la large raie d’émission Hβ de l’hydrogène.
Les signes de la présence d’un trou noir supermassif dans CID-947 avaient été détectés il y a quelques années tout d’abord par le télescope Hubble puis confirmés par des mesures en rayons X grâce à XMM Newton et Chandra. Avec ses 7 milliards de masses solaires, le trou noir de CID-947 est bien supermassif et fait même partie des plus gros trous noirs jamais découverts. Mais ce qui a surpris le plus les astronomes, c’est surtout la masse de la galaxie hôte, CID-947. Alors qu’ils s’attendaient avec un trou noir pareil à trouver une galaxie géante de plusieurs milliers de milliards de masses solaire, au contraire, cette dernière est tout à fait normale. La masse de CID-947 a même dû être vérifiée de plusieurs manières indépendantes pour être sûr qu’il n’y avait pas erreur. Et il n’y a pas erreur, elle ne « pèse » que environ 50 milliards de masses solaires en étoiles.
Dans les galaxies observées à une époque plus récente, on voit pourtant bien une corrélation entre le nombre d’étoiles et la masse du trou noir supermassif central, ce qui a mené les astrophysiciens, grâce également à d’autres effets, à considérer que la croissance des trous noirs supermassifs est liée à la formation d’étoiles. Ce modèle semble d’autant plus raisonnable quand on sait que les étoiles et le trou noir supermassif ont le même réservoir de matière à leur disposition : le gaz froid remplissant les galaxies. Par ailleurs, il a été clairement montré il y a quelques années que le rayonnement produit par le disque d’accrétion d’un trou noir supermassif en cours de croissance contrôlait, voir pouvait stopper la formation d’étoiles en chauffant le gaz froid galactique.
Masses de trous noirs supermassifs en fonction de la masse stellaire de leur galaxie hôte, le cas de CID-947 est figuré par l'étoile rouge (B. Trakhtenbrot et al./ Science) |
Le trou noir supermassif de CID-947 semble être arrivé en fin de croissance d’après des mesures en rayons X obtenues avec le télescope spatial Chandra X-ray Observatory qui permettent d’évaluer son taux d’accrétion, de l’ordre de 10% seulement de la limite d’Eddington (qui est le taux maximal d’accrétion d’un trou noir). Le fait qu’il pèse déjà 14% de la masse stellaire de sa galaxie signifie qu’il a grossi beaucoup plus vite et efficacement que cette dernière (en termes de formation d’étoiles). Cette observation contredit clairement le modèle de formation par coévolution. On pourrait penser que le rayonnement et les flux propulsés par le trou noir empêchent fortement la formation d’étoiles pour une raison encore inconnue, or il n’en n’est rien, la formation d’étoiles dans CID-947 est conforme à ce que l’on attend et se poursuit normalement à un rythme de 400 masses solaires par an.
D’après les auteurs de cette étude, qui paraît dans la revue américaine Science, même si le trou noir s’est arrêté de grossir fortement et que la formation d’étoiles se poursuit, le rapport des masses trou noir/galaxie restera très grand dans le futur et ne pourra jamais atteindre les valeurs habituellement observées.
Benny Trakhtenbrot et ses collaborateurs pensent que CID-947 peut représenter le type de progéniteur des plus grosses galaxies que l’on peut observer dans l’univers proche, qui possèdent environ 500 milliards de masses solaires en étoiles. Ces galaxies auraient tout d’abord connu un fort grossissement de leur trou noir, puis seulement après une augmentation de leur nombre d’étoiles sans effet négatif du trou noir sur leur formation. Le modèle de formation des galaxies par co-évolution serait alors dépendant de la masse initiale du trou noir supermassif.
Les astrophysiciens devraient maintenant essayer d’en savoir d’avantage sur ce monstre et sa galaxie ainsi que sur d’autres spécimens du même type grâce notamment à l’utilisation du réseau de radiotélescopes ALMA.
Source :
An over-massive black hole in a typical star-forming galaxy, 2 billion years after the Big Bang
B. Trakhtenbrot et al.
Science 10 July Vol. 349 no. 6244 (2015) pp. 168-171
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