23/04/24

A la recherche de planètes violettes


La couleur verte est la couleur que nous associons le plus à la vie sur Terre, où les conditions ont favorisé l'évolution des organismes qui effectuent la photosynthèse produisant de l'oxygène à l'aide du pigment vert de la chlorophylle. Mais une planète pleine de vie, semblable à la Terre en orbite autour d’une autre étoile pourrait avoir un aspect très différent, potentiellement recouverte par des bactéries qui reçoivent peu ou pas de lumière visible ni d’oxygène (comme dans certains environnements sur Terre), ces bactérie qui utilisent à la place un rayonnement infrarouge pour alimenter la photosynthèse seraient munies de pigments violet. Une étude récente parue dans Monthly Notices of the Royal Astronomical Society se penche sur la détectabilité de cette couleur planétaire. 

Avec plus de 5 500 exoplanètes confirmées et actuellement plus de 30 planètes potentiellement semblables à la Terre, la recherche de la vie entre dans une nouvelle étape qui nécessite d'inclure une plus grande diversité de vie et son évolution pour générer les clés pour la trouver ailleurs que sur Terre. Avant l'émergence de la photosynthèse oxygénée basée sur la chlorophylle, c'était la photosynthèse anoxygénique qui prédominait sur Terre, s'appuyant sur les bactériochlorophylles. La photosynthèse oxygénée sur la Terre moderne est très liée aux paysages verdoyants. Mais les phototrophes anoxygéniques, qui peuvent habiter à la fois les milieux aquatiques et terrestres, peuvent colorer leurs environnements, mais d'une autre couleur. La Terre primitive aurait ainsi pu être dominée par des bactéries pigmentées, notamment des bactéries violettes non soufrées (PNSB) et des bactéries violettes soufrées (PSB). 

Les PSB sont des bactéries anoxygéniques phototrophes qui préfèrent les composés de soufre réduit comme donneurs d'électrons plutôt que l'eau, ne produisant donc pas d'oxygène comme sous-produit de la photosynthèse. Les PNSB sont des bactéries photohétérotrophes, ce qui signifie qu'elles utilisent leurs photosystèmes pour produire principalement de l'énergie et du potentiel électrique tout en nécessitant toujours une source externe de carbone organique. Les PNSB sont des organismes polyvalents qui peuvent utiliser certains composés inorganiques (par exemple l'hydrogène) comme donneurs d'électrons et qui sont moins sensibles à l'oxygène et à l'obscurité que les PSB.

Les PNSB et le PSB utilisent des biopigments appelés caroténoïdes pour capter l'énergie lumineuse dans le domaine visible. Ces bactéries utilisent également des bactériochlorophylles, qui servent à la fois de pigments et de centres de réaction et peuvent exploiter le rayonnement infrarouge, absorbant et réfléchissant de 750 à 1100 nm. Cette polyvalence spectrale offre sans doute un avantage concurrentiel, permettant aux organismes dotés de bactériochlorophylles de prospérer dans des niches écologiques diverses et souvent difficiles à travers notre planète, jusque dans les sources hydrothermales des grands fonds.
Dans des conditions en haute mer, ces organismes s’appuient sur l’énergie du rayonnement infra-rouge pour générer une phototrophie anoxygénique, où un rayonnement d’une longueur supérieure à 850 nm peut servir de source d’énergie standard. Ces caractéristiques pourraient permettre aux bactéries PNSB et PSB de prospérer sur des exoplanètes en orbite autour d'étoiles naines rouges (de type M), car la distribution spectrale d'énergie des étoiles M chevauche la plage spectrale optimale pour l'absorption et la réflectance des molécules BChl- a et -b des pigments des PNSB et des PSB.

Même les planètes analogues à la Terre en orbite autour d’étoiles analogues au Soleil peuvent favoriser la prolifération de bactéries violettes. Sanromá et al. en 2014,  ont mesuré la réflectivité d'une seule bactérie non soufrée, Rhodobacter sphaeroides, et ont modélisé à partir de celle-ci ce que serait le spectre d'une Terre archéenne : elle apparaîtrait violette.
Sur la Terre moderne, les cyanobactéries violettes, PNSB et PSB, colorent les paysages de surface des eaux peu profondes, des côtes et des marais. Leur couleur s'intensifie lorsque la lumière se raréfie et la production de pigments augmente, faisant des bactéries violettes des candidates particulièrement intéressantes pour les évaluations de biopigments dans le but de tester l'habitabilité exoplanétaire. Cependant, à ce jour, il n’existe aucune base de données de référence sur les spectres de réflectance des divers biopigments du biote violet.

Lígia Fonseca Coelho et ses collaborateurs (Cornell University) ont donc cultivé spécifiquement une large gamme de bactéries de type PNSB et PSB violettes pour mesurer leurs spectres de réflectance. Ils développent la mesure qui avait été effectuée par Sanromá et al. en 2014, en mesurant cette fois la réflectance d'un large éventail de bactéries violettes, notamment Blastochloris viridis, qui élargit la plage de photosynthèse jusqu'au proche infrarouge. Jusqu'à présent, la plupart des modèles d'exoplanètes terrestres qui intègrent le biote de surface présentaient un biais en faveur des pigments verts. Ce biais était principalement dû aux données limitées sur les spectres de réflectance des bactéries violettes, qui n'avaient pas été mesurées de manière approfondie.

Fonseca Coelho et ses collègues ont collecté et cultivé des échantillons de plus de 20 bactéries violettes soufrées et non soufrées qui peuvent être trouvées dans divers environnements, allant d'un étang du campus de Cornell, ou dans les eaux au large de Cape Cod. Ce que l'on appelle collectivement les "bactéries violettes" ont en réalité une gamme de couleurs, notamment le jaune, l'orange, le marron et le rouge, en raison de pigments de type caroténoïdes. Selon les chercheurs, elles étaient probablement répandues au début de la Terre avant l'avènement de la photosynthèse de type végétal et pourraient être particulièrement bien adaptées aux planètes qui entourent des étoiles naines rouges plus froides, le type le plus courant dans notre galaxie. Un soleil rouge pourrait leur offrir les conditions les plus favorables à la photosynthèse.

Après avoir mesuré les biopigments et les empreintes lumineuses des bactéries violettes, les chercheurs ont créé des modèles de planètes semblables à la Terre, avec des conditions et une couverture nuageuse variables. Dans une gamme d'environnements simulés, les bactéries violettes humides et sèches ont produit des biosignatures intensément colorées. Selon les chercheurs, la détection d'un "point violet pâle" dans un autre système solaire devrait déclencher des observations intensives de la planète pour tenter d'exclure d'autres sources de couleur, telles que les minéraux colorés. Les bactéries violettes peuvent survivre et prospérer dans une telle variété de conditions qu'il est facile d'imaginer que dans de nombreux mondes différents, le violet pourrait bien être le nouveau vert.

Les recherches de Fonseca Coelho et ses collaborateurs fournissent ainsi une nouvelle ressource pour guider la détection des bactéries violettes et améliorer nos chances de détecter la vie sur les exoplanètes avec les prochains télescopes. La base de données sur les pigments biologiques pour les bactéries violettes et les spectres à haute résolution pour des planètes semblables à la Terre, y compris les mondes océaniques, les planètes boules de neige, les mondes gelés et les analogues de la Terre, sont désormais disponibles en ligne, fournissant un outil permettant aux modélisateurs et aux observateurs de former des algorithmes et d'optimiser leurs stratégies de recherche sur des planètes semblables à la Terre, où le violet remplace le bleu et le vert. 

Source

Purple is the new green: biopigments and spectra of Earth-like purple worlds 
Lígia Fonseca Coelho, Lisa Kaltenegger, Stephen Zinder, William Philpot, Taylor L Price, Trinity L Hamilton
Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, Volume 530, Issue 2 (May 2024)

Illustrations

1. Vue d'artiste d'une planète peuplée de bactéries violettes (M.Aurelius)
2. Spectres de réflectance de différentes bactéries soufrées (Lígia Fonseca Coelho et al.)
3. Ligia Fonseca Coelho

1 commentaire :

Anne-Sophie a dit…

Très intéressant, nous découvrons à travers ton article une panoplie de bactéries responsables des colorations.