Il existe de nombreuses expériences qui ont pour but de détecter des neutrinos, certaines ont des très gros budgets et sont très connues, d’autres sont très peu onéreuses et méritent d’être beaucoup mieux connues, c’est le cas de l’expérience ARIANNA.
Une station radio du réseau ARIANNA (ARIANNA Collaboration) |
ARIANNA (Antarctic Ross Ice Shelf Antenna Neutrino Array) est une expérience pas tout à fait comme les autres, elle est exploitée par une collaboration internationale, à majorité très largement américaine, installée en Antarctique. Quand on parle de neutrinos et d’Antarctique, on pense tout de suite à la grosse expérience IceCube, qui détecte des neutrinos grâce à la lumière Cherenkov que produisent dans la glace les particules qui sont produites quand des neutrinos viennent y interagir de temps en temps. ARIANNA exploite un peu le même principe, mais pas tout à fait. Il s’agit toujours d’interactions de neutrinos dans les kilomètres de glace qui produisent des particules chargées quand ils collisionnent des atomes des molécules d’eau solide, mais ce n’est plus l’effet Cherenkov qui est ici exploité, mais un autre effet, appelé l’effet Askaryan. L’effet Askaryan, du nom du physicien arménien qui l’a découvert théoriquement en 1962, est assez similaire à l’effet Cherenkov. Lorsque des particules chargées se meuvent dans un milieu à une vitesse qui est supérieure à la vitesse de la lumière dans ce milieu, elles émettent des photons de lumière dans un cône d’émission orienté dans la direction du mouvement de la particule. Cet effet Cherenkov produit une lumière dans les longueurs d’onde visible (dans le bleu lorsqu’on est dans l’eau).
L’effet Askaryan, lui, dit que lorsque des particules chargées se meuvent très rapidement dans un milieu diélectrique (comme l’eau par exemple, liquide ou solide), le mouvement des charges électriques qu’elles induisent produit une émission de photons dans le domaine des grandes longueurs d’ondes, les ondes radio. Il a pu être mesuré expérimentalement pour la première fois seulement en 2000. Ce signal est extrêmement faible et dépend de l’énergie de la particule chargée incidente. Faible, mais mesurable dans un environnement où le bruit de fond radio est très bas. Il se trouve que l’Antarctique, avec ces kilomètres cube de glace pouvant servir de masse de détecteur et son environnement relativement préservé de l’activité humaine, offre des conditions idéales pour essayer de capter ce petit signal Askaryan en provenance des interactions de neutrinos dans la glace.
Principe du fonctionnement de la détection du rayonnement radio Askaryan (ARIANNA Collaboration) |
Le gros atout de cette méthode de détection, c’est qu’elle ne nécessite que l’emploi de modestes systèmes de détection, des antennes radio, qui peuvent « écouter » de très vastes étendues (spatialement ou en profondeur), dans la gamme de fréquences entre 100 MHz et 1 GHz. Un réseau d’antennes savamment dimensionné peut ainsi permettre d’exploiter un volume de glace (un volume de détection) sans commune mesure avec ce qui peut se faire ailleurs dans la recherche sur les neutrinos, y compris le "voisin" IceCube.
ARIANNA recherche des neutrinos d’ultra-haute énergie, entre 108
et 1010 GeV, ceux là même qui doivent provenir d’au-delà de notre galaxie, mais dont on ne sait presque rien sur l’origine exacte. Un premier réseau hexagonal d’antennes radio a été testé sur la banquise de Ross au cours de l’été austral 2013-2014 et a permis aux chercheurs, en ne détectant aucun neutrino énergétique, de fixer des premières limites vis-à-vis des modèles de flux.
Le volume de détection effectif de ARIANNA ne sera pas de l’ordre du kilomètre cube comme IceCube, mais de l’ordre de 100 km3 ! C’est probablement le plus gros détecteur terrestre imaginé, un détecteur naturel qui plus est, incluant une surface de 36 x 36 km. Ce gigantesque volume de détection, rendu nécessaire par la très faible probabilité d’une interaction de neutrino et leur faible flux (pour ce qui est des neutrinos ultra-énergétiques extragalactiques), sera parsemé à terme d’un réseau de 1296 petites stations radio indépendantes, alimentées par des panneaux solaires et envoyant leur données par télémétrie, avec quatre antennes placées juste en dessous de la surface de la banquise, épaisse de 580 m environ. Et les physiciens sont rusés : ils utilisent l’interface eau-glace de la partie inférieure de la banquise comme un réflecteur d’ondes radio. Ils ont pu montrer que cette interface agissait comme un miroir quasi parfait pour les ondes radio. De cette manière, les antennes pourront capter les signaux produits par des neutrinos provenant à la fois du ciel et de l’horizon.
Pour le moment, ARIANNA ne comporte encore qu’un seul réseau hexagonal de sept stations qui sert à préparer la construction du futur grand réseau, mais dès l'été (austral) prochain, les stations radios pousseront comme des champignons sur la banquise de Ross, prêtes à traquer les neutrinos en provenance de galaxies lointaines.
Source :
A first search for cosmogenic neutrinos with the ARIANNA Hexagonal Radio Array
S.W. Barwick et al. ARIANNA Collaboration
Astroparticle Physics, Volume 70, October 2015, Pages 12–26
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