jeudi 9 février 2017

Un trou noir de masse intermédiaire mis en évidence au centre de l'amas globulaire 47 Tucanae


La présence d’un trou noir de masse intermédiaire vient d’être détectée indirectement au centre de l’amas globulaire 47 Tucanae (NGC 104). Ces trous noirs sont recherchés depuis longtemps et c’est la première fois qu’un trou noir aussi massif et observé (indirectement) dans un amas globulaire.




On connaît de nombreux trous noirs de masse stellaire (quelques masses solaires) et de nombreux trous noirs supermassifs (entre 100 000 et quelques dizaines de milliards de masses solaires) mais curieusement très très peu de trous noirs intermédiaires, dont la masse serait comprise entre 100 et 100 000 masses solaires : à peine quelques candidats non confirmés. On peut citer le cas de Omega Centauri, objet mal défini entre amas globulaire et galaxie naine dépouillée, dans lequel une étude de 2008 trouvait un trou noir de 40 000 masses solaires par des mesures dynamiques.
Certains modèles d’évolution des trous noirs disent pourtant que les trous noirs supermassifs se seraient formés en grossissant progressivement à partir de graines de trou noir déjà assez massives, de quelques milliers de masses solaires au moins, et on devrait donc trouver des spécimens de cette masse. C’est donc une découverte très importante qui vient d’être publiée aujourd’hui dans Nature. Pour la première fois, un trou noir de masse intermédiaire, qui aurait une masse de 2200 masses solaires vient d’être mis en évidence au centre d’un véritable amas globulaire, et pas n’importe lequel, car il s’agit de 47 Tucanae, le deuxième plus gros amas globulaire de notre galaxie, visible dans l’hémisphère sud dans la constellation du Toucan. 47 Tucanae est un gros amas d’étoiles sphérique très dense de 140 années-lumière de diamètre, qui contient plusieurs centaines de milliers d’étoiles, peut-être un million, étoiles très vieilles et très resserrées, liées entre elles gravitationnellement. L’âge de cet amas globulaire est estimé être de 12 milliards d’années, pour une masse totale d’environ 700 000 masses solaires et une distance de 16 000 années-lumière.
Observer le centre des amas globulaires est un véritable challenge, tant la densité en étoiles y est imposante. L’équipe de Bülent Kiziltan (Harvard Smithonian Center for Astrophysics) a donc utilisé des méthodes innovantes. Ils ont observé comment évoluait la dynamique des étoiles de l’amas... mais pas n’importe quelles étoiles : ils ont exploité les pulsars qui se trouvent dans 47 Tuc. Le suivi de la pulsation des pulsars permet de déterminer leurs mouvements au cours du temps au sein de l’amas. Ce que découvrent les astrophysiciens, c’est que les pulsars de 47 Tucanae ne se répartissent  pas normalement. Ils se trouvent tous plus loin du centre de l’amas globulaire que ce qu’ils devraient. Ils montrent aussi que les pulsars subissent une accélération qui ne peut pas être expliquée par l’accélération gravitationnelle des étoiles de l’amas seules.


En simulant les interactions multiples qui se déroulent dans un tel amas globulaire, Bülent Kiziltan et ses collaborateurs en déduisent que les mouvements et positions des pulsars observés ne peuvent être cohérents que si une masse compacte de 2200 masses solaires (masse la plus probable) et en tous cas supérieure à 850 masses solaires, se trouve au centre de l’amas globulaire.
Tous les trous noirs ne sont pas entourés de gaz en train de tomber dans leur puits gravitationnel, et donc ne rayonnent pas forcément des rayons X ou des ondes radio. Ce trou noir serait de ce genre, tranquille, juste entouré d’étoiles suffisamment éloignées de lui pour ne pas être détruites et  surtout sans gaz dans ses environs. Il apparaît ainsi indétectable par les émissions électromagnétiques indirectes que beaucoup de trous noirs produisent.
Plusieurs candidats au titre de trou noir de masse intermédiaire ont été identifiés dans le passé et se sont révélés être d’autres objets, comme par exemple la source X M82 X-2 en 2014 qui est apparue n’être finalement qu’une étoile à neutrons. Cependant la catégorie des sources X dites ultra-lumineuses reste assez conforme à ce que pourrait être l’émission de trous noirs intermédiaires, mais leur interprétation butait souvent sur l’existence non avérée de tels trous noirs. Les choses pourraient donc s’accélérer.
Si l’existence de trous noirs de plusieurs milliers de masses solaires se confirme, qu’ils résident au centre d’amas globulaires ou en périphérie de galaxies, c’est un résultat crucial pour la compréhension de l’évolution des trous noirs en général. Pour faire le lien entre des trous noirs de masse intermédiaire observés dans l’Univers actuel et ceux qui auraient pu être les graines à partir desquelles se seraient formés les trous noirs supermassifs, il reste néanmoins quelques difficultés à lever dont le fait que les amas globulaires ne contiennent que très peu de gaz et de matière noire, ce qui les différencie finalement des galaxies naines. Or la matière noire est censée jouer un rôle dans le grossissement des graines intermédiaires qui seraient à l’origine des trous noirs supermassifs…
Bülent Kiziltan et ses collaborateurs émettent deux hypothèses pour l’origine du trou noir de 2200 masses solaires de 47 Tucanae. Il s’agit dans les deux cas de fusions successives. La première voit la fusion d’étoiles au centre de l’amas, jusqu’à former une énorme étoile de plusieurs centaines de masses solaires qui finit par s’effondrer en formant cet énorme trou noir qui continuera à grossir en absorbant des étoiles trop proches de son horizon. La seconde hypothèse voit la formation de multiples petits trous noirs stellaires de quelques masses solaires, qui vont fusionner au fil du temps les uns avec les autres pour finalement parvenir à ce gros trou noir central.

Les deux hypothèses sont possibles mais ont également chacune des inconvénients comme le phénomène d’éjection lors de l’interaction entre 3 trous noirs de masses différentes, la porte reste donc ouverte pour le moment. La méthode employée par Bülent Kiziltan et ses collègues est dans tous les cas prometteuse pour trouver des trous noirs intermédiaires calmes dans les amas globulaires, pourvu que ces derniers possèdent des pulsars. Nul doute qu’elle sera appliquée rapidement sur d’autres amas globulaires, mêmes moins majestueux que 47 Tucanae.

Référence

An intermediate-mass black hole in the centre of the globular cluster 47 Tucanae
Bülent Kızıltan et al.
Nature 542, 203–205 (09 February 2017)


Illustrations

1) 47 Tucanae imagé par le télescope spatial Hubble (NASA, ESA, and the Hubble Heritage (STScI/AURA)-ESA/Hubble J. Mack (STScI) and G. Piotto (Université de Padoue))

2) Vue d'artiste représentant un trou noir massif au sein d'un amas globulaire (échelle non respectée) (CfA / M. Weiss)

2 commentaires :

Youx a dit…

Bonjour Eric,
Que s'imaginait-on trouver d'autre qu'un trou noir au centre des amas globulaires, capable de gober le surplus d'étoiles au centre (ayant perdu leur énergie potentielle au hasard des rencontres), qui devraient s'y trouver mais qu'on n'observe pas toujours?
Certains amas semblent assez uniformes au centre (du coup T.N.important), alors que d'autres ont un noyau très compact. (petit T.N.)
Est-ce plausible?

Dr Eric Simon a dit…

C'est vrai, ça peut paraître évident, mais la dynamique des étoiles dans une zone aussi dense en étoile est un peu particulière. On doit être en présence de systèmes multiples, pas seulement binaires, et pour que des étoiles fusionnent, encore faut-il qu'elles puissent entrer en contact et dans des systèmes multiples, il doit y avoir des phénomènes d'éjection gravitationnelle (c'est vrai pour les étoiles entre elles comme pour les trous noirs).