Un
des problèmes difficilement explicables par le modèle dominant actuel de la matière noire, la « Cold Dark Matter » (CDM) est l'existence d'une très grande diversité des
formes des courbes de rotation des galaxies. On se souvient que c’est justement l’observation de ces courbes de rotation (la vitesse de rotation des étoiles et du
gaz en fonction de la distance du centre de la galaxie) qui a permis il y a 50 ans de mettre
le doigt sur une grosse anomalie dynamique/gravitationnelle, menant finalement
au concept de matière noire. Le modèle dominant actuel propose depuis quelques
décennies une matière noire « froide » constituée de particules
massives interagissant très faiblement avec la matière ordinaire autrement que
par la gravitation, et n’interagissant pas sur elle-même...
Les
étoiles et le gaz dans les galaxies montrent une vitesse de rotation qui tend à
devenir constante quand leur distance du centre augmente, la courbe de rotation
devient plate, et ce, quelle que soit la masse du halo de matière noire au sein
duquel évolue le disque galactique. Mais il se trouve que pour une masse de
halo de matière noire donnée, la forme des courbes de rotation avant qu’elles
deviennent plates, peut varier fortement. Certaines galaxies ont une courbe de
rotation qui augmente très vite avant d’atteindre le plateau, et d’autres
augmentent au contraire lentement. Cette diversité, le modèle de matière noire froide
«classique » ne l’explique pas.
Des
chercheurs de l’Université de Californie se sont intéressés à ce problème en
travaillant sur les données de rotation de 30 galaxies spirales représentant bien la
diversité qui peut être observée, et dont la masse varie de trois ordres de grandeur pour couvrir un large panel.
Ayuki
Kamada, Manoj Kaplinghat, Hai-Bo Yu et Andrew Pace ont émis l’hypothèse selon
laquelle les particules massives formant le halo de matière noire, auraient la
capacité à interagir entre elles, pour voir si un tel comportement permettrait
d’expliquer la diversité des courbes de rotation observées. On parle de self-interacting dark matter (SIDM)
(matière noire auto-interagissante).
Le modèle SIDM a été construit aux
alentours des années 2000 et a été remis sur le devant de la scène il y a une petite
dizaine d’années, notamment par Hai-Bo Yu à l’Université de Californie. Dans leurs calculs et simulations, les chercheurs ont réutilisé la relation masse-concentration qui est celle du modèle LCDM et ont fixé une valeur pour la section efficace d'interaction entre particules massives de matière noire (leur section efficace par unité de masse pour être exact, qui quantifie leur probabilité d'interaction) : 3 cm²/g, ce qui ferait une section efficace de 180 barns pour une particule de 100 GeV/c², donc très loin d'être négligeable.
Les
physiciens publient leur résultat aujourd’hui dans la prestigieuse Physical Review Letters et à la question « est-ce que ça marche mieux ? »,
ils trouvent une réponse positive. Ça marche même beaucoup mieux, et pour toutes les galaxies étudiées, dans toute leur diversité.
Leur
modèle inclut un halo de matière noire qui interagit avec elle-même surtout
dans les régions internes de la galaxie et qui influe sur la distribution de
matière ordinaire dans le halo ainsi que sur l’histoire de la formation de ce halo.
Les
collisions des particules de matière noire entre elles ont pour effet de
thermaliser la zone centrale du halo en perdant de l’énergie, là où se trouve
la galaxie « lumineuse ». Cette thermalisation, selon les
auteurs, a pour effet de
« lier » ensemble les distributions de matière ordinaire et de
matière noire, si bien qu’elles se comportent un peu comme une seule entité. Le
halo de matière noire auto-interagissante, dans ce modèle, devient alors
suffisamment "flexible" pour expliquer la diversité des courbes de rotation
observées. L’effet sur le potentiel gravitationnel et donc sur la forme de la courbe de rotation est important et reproduit les données observationnelles d’une manière excellente.
Kamada
et ses collègues montrent par ailleurs que l’effet est différent pour les
galaxies faiblement lumineuses et pour les galaxies très lumineuses. Pour les
premières, le processus de thermalisation produit une « expulsion »
des particules de matière noire en dehors de la région centrale du halo,
réduisant alors la densité. Pour les secondes, très lumineuses, comme notre
galaxie, la thermalisation a pour effet, à l’inverse, de pousser les particules massives vers le
fond du puits gravitationnel de la matière visible, augmentant alors la densité
vers le centre.
Une
chose importante que rappellent les auteurs de cette étude, c’est que ce
nouveau modèle de matière noire reste tout à fait conforme aux autres
observables cosmologiques classiquement obtenus et validés par le modèle LCDM,
comme la formation des grandes structures cosmiques.
La
très forte compatibilité de ce nouveau modèle avec les observations est très
intéressante car elle indique que cette solution pourrait être la bonne. Cela
ouvrirait des perspectives nouvelles, même si la nature des hypothétiques particules
massives interagissant si faiblement avec la matière ordinaire reste toujours
inconnue aujourd’hui. Le fait de savoir que, si elles existent, elles auraient
une interaction entre elles, permet de bien mieux les cerner.
Source
Self-Interacting Dark Matter Can Explain Diverse Galactic Rotation Curves
Ayuki Kamada, Manoj Kaplinghat, Andrew B. Pace, and Hai-Bo Yu
Physical Review Letters 119, 111102 (15 September 2017)
Illustrations
1. Courbes de rotation de trois galaxies différentes NGC6503, UGC128 et NGC 2903. La contribution du halo de SIDM est représenté en trait bleu plein, la contribution d'un halo de type CDM est représenté en bleu pointillé. La courbe fittée avec le nouveau modèle (somme des contribution SIDM+étoiles+bulbe+gaz) est la courbe rouge (Kamada et al., Phys. Rev. Lett. 119)
2. Hai-Bo Yu est professeur assistant en astrophysique théorique à l'Université de Californie (Riverside) (image I. Pittalwala, UC Riverside)
9 commentaires :
Vous semblez être le site qui suit le plus près les avancées concernant la matière noire. mais le "ad hoc" exotique a fait long feu. Vous vous étiez intéressés à la tentative relativiste de Le Corre. N'est-il pas plus raisonnable en effet de faire confiance à Einstein ? Pourquoi rien au sujet d'une explication par l'horizon de Rindler vu de l'extérieur ? Car le gaz accéléré, à partir du moment où il est assez loin, s'enferme dans une bulle dont nous sommes exclus et qui nous masque son rayonnement.
Bon, je parlerai de Verlinde et Van Putten quand je serai convaincu qu'il faille en parler. Ce n'est pas encore le cas...
Concernant le "ad hoc exotique", on peut rappeler que le neutrino a mis 24 ans pour passer de la théorie à l'observé, le boson de Higgs, 48 ans... Le neutralino n'a qu'une trentaine d'années d'existence théorique, il ne serait pas étonnant qu'il soit détecté dans 30 ans... Pourquoi être pressé ?
D'accord pour le neutrino. Mais sans Einstein, on chercherait encore Vulcain ! Une tonne de xénon ne suffit pas, mettons-en deux... La relativité offre beaucoup de possibilités mal exploitées, tout particulièrement l'horizon des événements créé par l'accélération. Au sein des amas, les gaz ionisés sont accélérés et donc rayonnent. Mais ils s'enferment dans une bulle de rayon c²/a (c:vitesse de la lumière, a: accélération) et il suffit que les amas soient éloignés pour que nous soyons en dehors de la bulle et ne recevions pas le rayonnement. Ce qui peut expliquer aussi qu'on trouve peu de matière noire dans notre Galaxie. Du classique plutôt que de l'exotisme, du connu plutôt que du ad hoc.
D'accord pour le neutrino. Mais sans Einstein, on chercherait encore Vulcain ! Une tonne de xénon ne suffit pas, mettons-en deux... La relativité offre beaucoup de possibilités mal exploitées, tout particulièrement l'horizon des événements créé par l'accélération. Au sein des amas, les gaz ionisés sont accélérés et donc rayonnent. Mais ils s'enferment dans une bulle de rayon c²/a (c:vitesse de la lumière, a: accélération) et il suffit que les amas soient éloignés pour que nous soyons en dehors de la bulle et ne recevions pas le rayonnement. Ce qui peut expliquer aussi qu'on trouve peu de matière noire dans notre Galaxie. Du classique plutôt que de l'exotisme, du connu plutôt que du ad hoc.
Si c'était aussi simple que ça... Je rappelle que les commentaires sont modérés ici, notamment pour éviter de faire profiter à tout le monde de ce type de commentaire-ci.
Lorsque vous énoncez un résultat ou autre, merci de fournir des références à des travaux scientifiques. Vous pourriez aussi par exemple faire de simples vérifications numériques avant de donner une expression qui va, c'est sûr, bouleverser toute la cosmologie...
Je vous encourage, chez anonyme, à faire le calcul de l'accélération qui est obtenue via votre expression R=c²/a, pour un "rayon d'horizon" de 100 millions d'années-lumière, distance typique de galaxies proches. Normalement, la valeur que vous obtenez devrait vous faire réfléchir, ce qui est toujours utile... (1 AL = 9.5 10^15 m)
Quelqu'un a fait le calcul avant moi ("La matière noire", Désiris, 2015). Même avec le meilleur des télescopes, un observateur situé à 2000 al, soit encore dans notre Galaxie, ne pourrait apercevoir notre Terre dans son mouvement autour du Soleil (rayon de 150 Gm, vitesse de 30 km/s, distance d'horizon de 1,5 x 10^16 km), sinon la deviner par ses effets gravitationnels (ce qui limite par ailleurs nos possibilités de "voir" des planètes extrasolaires).
Quelqu'un a fait le calcul avant moi ("La matière noire", Désiris, 2015). Même avec le meilleur des télescopes, un observateur situé à 2000 al, soit encore dans notre Galaxie, ne pourrait apercevoir notre Terre dans son mouvement autour du Soleil (rayon de 150 Gm, vitesse de 30 km/s, distance d'horizon de 1,5 x 10^16 km), sinon la deviner par ses effets gravitationnels (ce qui limite par ailleurs nos possibilités de "voir" des planètes extrasolaires).
Bon, je vous conseille d'autres lectures au sujet de la cosmologie et de la problématique de la matière noire ou de l'énergie du même nom, parce que la référence que vous citez n'est pas forcément la meilleure pour attaquer le problème. Vous pourriez commencer avec grand bénéfice par le livre de David Elbaz (astrophysicien au CEA), ouvrage très accessible : A la recherche de l'univers invisible (Odile Jacob, 2016).
L'intérêt du livre d'Elbaz ne constitue pas une réfutation du calcul de Perdijon !
Enregistrer un commentaire