01/11/17

Mesure de la base du jet relativiste d'un trou noir


Une équipe d'astrophysiciens vient de mettre en évidence comment le jet relativiste d'un trou noir stellaire s'"allume" en émettant de la lumière visible une fraction de seconde après sa naissance à proximité immédiate de l'horizon du trou noir.




La façon dont se forment les jets de plasma qui apparaissent le long de l'axe de rotation des trous noirs est encore mal connue. La théorie qui tient la corde aujourd'hui suggère qu'ils se développent à partir du disque d'accrétion de matière entourant le trou noir. Les champs magnétiques à proximité du trou noir sont fortement distordus par la rotation du disque et la gravitation, ce qui a pour effet de produire des éruptions de plasma du disque qui vont alors former des colonnes de matière magnétisées le long de l'axe de rotation. Le plasma peut s'engouffrer autour de ces lignes de champ magnétique et les particules chargées qui le composent peuvent être très vite accélérées jusqu'à des vitesses relativistes, proches de la vitesse de la lumière. Or il se trouve que souvent, ce plasma se met à briller intensément dans le jet après un certain moment. L'origine de cette soudaine luminosité dans le visible a longtemps été un sujet de controverse parmi les spécialistes des trous noirs, et cette étude vient apporter une très belle observation qui permet d'obtenir un début de réponse.
Poshak Gandhi (Université de Southampton) et ses collaborateurs ont observé un trou noir stellaire bien connu qui est situé dans un système binaire : V404 Cygni, situé à 7800 années-lumière. Une étoile et un trou noir y sont en orbite l'un autour de l'autre, et le système émet quantité de rayons X, produits par un disque d'accrétion autour du trou noir.
Ils ont observé V404 Cygni en juin 2015, au moment où la binaire rayonnait la plus grande quantité de lumière visible jamais mesurée en provenance d'un tel système. Mais Gandhi et ses collègues n'ont pas seulement observé en lumière visible (avec l'imageur ultra-rapide ULTRACAM monté sur le télescope William Herschel de La Palma dans les îles Canaries). Ils ont également, et simultanément, observé V404 Cygni en rayons X avec le télescope spatial NuSTAR
Ce que sont parvenus à voir les astrophysiciens, qui publient leurs résultats dans Nature Astronomy, c'est l'existence d'un délai de 100 ms entre les éruptions de rayons X et les éruptions de lumière visible. Cet écart temporel donne la différence entre le moment où le jet de plasma se forme, au plus près du trou noir, dans le disque d'accrétion, et le moment où le jet commence à briller à cause de l'accélération des particules qui le composent. Et connaissant la vitesse des particules dans le jet, les chercheurs peuvent calculer la distance maximale correspondante : 30000 km, qui représente la "zone d'accélération".  Cette observation permet donc de savoir sur quelle distance les jets de trous noirs peuvent être accélérés jusqu'à des vitesses relativistes, et donc de mieux cerner la structure des champs magnétiques qui doivent régner dans leur voisinage. C'est la première fois que ce délai temporel a pu être observé sur un trou noir stellaire et il permet de lier directement les flashs de lumière observés dans ce type de binaires X comportant un trou noir avec la naissance de jets de plasma. Ces observations ont été rendues possibles grâce aux capacités de l'imageur ULTRACAM qui enregistre 28 images par seconde et peut ainsi déceler l'évolution rapide d'objets astrophysiques, ainsi qu'aux mesures simultanées obtenues avec le télescope spatial NuSTAR de la NASA.


Les auteurs ont ensuite pu observer un second système binaire du même type, nommé GX 339-4, mais composé d'un couple étoile-trou noir plus rapproché, impliquant une taille de disque d'accrétion plus petite. Et malgré leur différence, Gandhi et ses collaborateurs mesurent le même délai de 100 ms entre éruptions de rayons X et éruptions dans le visible provenant de la base du jet de plasma. Ils en concluent que la physique des jets pourrait ne pas être déterminée par la taille du disque d'accrétion, mais plutôt par des caractéristiques physiques existant à la base du jet comme la température ou la vitesse des particules. 

Ces résultats sont aussi à mettre en lien avec des observations du même genre qui avaient été effectuées il y a quelques années sur un trou noir supermassif de 200 millions de masses solaires, BL Lacertae, où les astrophysiciens avaient déduit un délai entre rayons X et lumière du jet plusieurs millions de fois plus grands que ceux observés ici sur les trous noirs stellaires V404 Cygni et GX 339-4. Il se pourrait alors que la région d'accélération des jets soit liée à la masse du trou noir...

La prochaine étape sera bien sûr de confirmer ces observations sur d'autres binaires X, et développer une théorie qui fonctionne pour toutes les tailles de trous noirs.


Source
An elevation of 0.1 light-seconds for the optical jet base in an accreting Galactic black hole system
P. Gandhi, M. Bachetti, A. W. Shaw et al.
Nature Astronomy (30 october 2017)

http://dx.doi.org/10.1038/s41550-017-0273-3


Illustration 
Vue d'artiste d'un trou noir avec son disque d'accrétion et l'apparition d'un jet relativiste de plasma (NASA/JPL-Caltech)

1 commentaire :

BdC a dit…

L'Ultracam qui équipe également les VLT est plus rapide que 28 fps.
Selon Vikram Dhillon, son taux d'échantillonnage maximum est de 500 hz soit 500 fps en RGB.
cf. https://arxiv.org/abs/0704.2557