15/11/17

Matière noire : nouvelle piste de détection indirecte par le rayonnement synchrotron


Une nouvelle piste plus qu’intéressante dans la traque à la matière noire par sa détection indirecte vient d’être ouverte : l’excès d’émission radio synchrotron qui a été observé dans une galaxie réputée riche en matière noire. La forme de ce spectre d’émission colle parfaitement avec le modèle cosmologique de la matière noire, impliquant une particule de 25 GeV se désintégrant en électrons et positrons via un nouveau boson.





C’est l’astrophysicien chinois de Hong Kong Man Ho Chan qui vient de produire cette analyse sur la base de données d’observation de la galaxie NGC 1569 en ondes radio à différentes fréquences, qui avaient été effectuées il y a plus de dix ans. L’émission radio de cette galaxie est complexe et peut être divisée en deux composantes : une composante thermique, et une composante non-thermique qui est le résultat d’une émission synchrotron par des électrons et positrons énergétiques.
Or d’une part, cette composante non-thermique est anormalement élevée, et d’autre part, son spectre (le flux mesuré en fonction de la fréquence), a une forme brisée, avec une évolution montrant deux pentes très différentes (lorsque la courbe est représentée en échelle logarithmique). Les spécialistes parlent d’indice spectral. Ici, le spectre possède deux régions d’indice spectral très différent : 0,5 jusqu’à 6 GHz et 1,3 au-delà. L’origine de ce spectre radio synchrotron est très mal comprise. Man Ho Chan montre dans son analyse qui va paraître dans les Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, que la solution qui semblerait évidente, celle de l’interaction de rayons cosmiques avec le milieu interstellaire dans la galaxie NGC 1569, doit produire certes un rayonnement synchrotron, mais son intensité est beaucoup trop faible pour expliquer le niveau qui est observé.
On sait que de nombreux modèles de matière noire prédisent une annihilation des particules massives lorsqu’elles se rencontrent, étant leur propre antiparticule. Les modèles théoriques de physique des particules proposent plusieurs canaux d’annihilation pour ces particules exotiques. Parmi ceux-ci, certains, qui devraient produire au final des photons gamma énergétiques semblent aujourd’hui exclus par l’observation. Il a été montré depuis quelques années que les excès de rayons gamma qui étaient observés au centre de certaines galaxies et qui étaient très intrigants sont très probablement  produits par une grande population de pulsars et non par l’annihilation de particules de matière noire. Mais il existe d’autres canaux d’annihilation de particules de matière noire, et parmi ceux-ci, les canaux « e- - e + » et « 4-e ». Dans le premier, les particules massives formant la matière noire s’annihilent directement en paires électron+positron et dans le second canal (4-e) également, mais en passant par l’intermédiaire d’un nouveau boson, encore inconnu. Les paires d’électrons et positrons créées peuvent ensuite produire d’autres électrons, positrons, photons et neutrinos par des interactions secondaires. Et tous ces électrons et positrons sont tous à même de produire des photons dans les longueurs d’ondes radio lorsqu’ils se déplacent dans un champ magnétique important. C’est ce qu’on appelle le rayonnement synchrotron.
A partir de la détection d’un signal de type synchrotron, il est possible, moyennant l’hypothèse que les électrons et positrons en étant à l’origine sont issus de l’annihilation de particules de matière noire, de remonter au type de canal d’annihilation d’une part, et aux caractéristiques de la particule de matière noire (masse et section efficace d’annihilation) d’autre part. C’est ce qu’a fait Man Ho Chan. NGC 1569 est une galaxie qui est une très bonne candidate pour cette évaluation, car le signal synchrotron est fort (la galaxie se trouve à une distance de seulement 3,36 Mpc, 11 millions a.l. et son champ magnétique de 14 µG est 3 fois plus élevé que ce qui est mesuré dans les galaxies du même type de notre voisinage proche). De plus, NGC 1569 est une galaxie naine pauvre en matière baryonique (matière ordinaire), ou riche en matière noire si on préfère, ce qui implique que la composante du signal radio produit par la matière baryonique y est a priori faible.

Man Ho Chan calcule donc l’intensité du rayonnement synchrotron en fonction de la fréquence, qui est obtenu par l’annihilation de particules massives de matière noire entre 10 GeV et 100 GeV pour les deux canaux évoqués avec les caractéristiques de NGC 1569, et il les compare avec les données en ajustant les paramètres de masse et de section efficace pour coller au plus près des observations. Le but de Man Ho Chan est de pouvoir retrouver l’aspect brisé du spectre observé, ce qui apporte une forte contrainte.
Le canal e- -e+ ne marche pas bien, il permet certes de retrouver la forme du spectre aux basses fréquences avec par exemple une particule de 30 GeV et une section efficace égale à la section efficace d’annihilation thermique relique (la valeur adoptée dans le modèle standard de la cosmologie et qui vaut s.v=2,2 10-26 cm3.s-1). Mais la cassure du spectre aux environs de 6 GHz n’est pas reproduite. En revanche, en appliquant le canal d’annihilation 4-e, le résultat est bluffant. En introduisant dans le calcul une particule de matière noire ayant une masse de 25 GeV, Man Ho Chan obtient un spectre radio synchrotron qui s’ajuste parfaitement avec les données observationnelles, y compris la brisure de flux à partir de 6 GHz, et cela, à la condition d’introduire une section efficace d’annihilation de… 2,2 10-26 cm3.s-1, qui se trouve être exactement la valeur théorique généralement envisagée dans le modèle standard cosmologique !

 Il se pourrait ainsi que l’ « excès radio » et la brisure abrupte dans le spectre du continuum correspondant, observés dans des galaxies réputées pour être dominées par la matière noire, devienne une signature très prometteuse , voire unique, pour la détection indirecte de la matière noire. Man Ho Chan, lui, n’hésite pas à prédire d’ores et déjà que les particules de matière noire doivent avoir une masse de 25 GeV et qu’il doit exister un nouveau boson léger qu’il nomme Φ. Il appelle aussi à redoubler d’efforts pour effectuer d’autres observations radio sur d’autres galaxies naines, et pour chercher ce nouveau boson au LHC…
Trouver d’autres cas similaires à NGC 1569 va être décisif pour l’avenir de cette interprétation qui ouvre en tous cas de nouvelles perspectives très intéressantes dans la recherche indirecte de la matière noire, après l’abandon quasi acté d’une détection via les photons gamma de haute énergie ou X de basse énergie.

Source

A possible signature of annihilating dark matter
Man Ho Chan
À paraître dans Monthly Notices of the Royal Astronomical Society



Illustrations

1) La galaxie NGC 1569 imagée par le télescope Hubble (NASA / A. Aloisi (STScI/ESA) et al.)

2) Spectre du rayonnement synchrotron (densité de flux en fonction de la fréquence). La distribution est calculée pour différentes masses de particule avec le section efficace d'annihilation thermique relique, et comparée avec les observations (points).
3) Man Ho CHAN


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