Ça commence à s'exciter dans la communauté de la physique des astroparticules, à cause d'une anomalie mesurée par le détecteur orbital chinois DAMPE. Ses premières données de flux d'électrons et positrons viennent d'être publiées dans Nature. Outre la confirmation d'une forme de spectre anormale, c'est un point du graphe, situé à 1400 GeV, qui intrigue nombre de chercheurs. Cet excès d'électrons et de positrons pourrait être un signe indirect de matière noire.
DAMPE (Dark Matter Particle Explorer) mesure directement le spectre en énergie des électrons et des positrons avec une très grande résolution et une incertitude dominée par l'incertitude statistique, jusqu'à des énergies très élevées de plusieurs TeV. Ce satellite détecteur de particules a été lancé en décembre 2015 depuis le site de lancement chinois de Jiuquan. Les physiciens chinois dirigent cette mission en collaboration avec des suisses et des italiens. Il s'agit de la première mission scientifique chinoise dédiée à l'astrophysique. La suite de détecteurs de DAMPE (aussi appelé Wukong en Chine) mesure non seulement l'énergie, mais aussi la direction d'incidence des particules et leur charge électrique. Elle permet notamment de séparer très clairement les protons des électrons et positrons.
Dans les 530 premiers jours d'acquisition de données, les chercheurs de la collaboration ont collecté 1,5 millions d'électrons et de positrons dans le rayonnement cosmique parvenant sur le satellite. La mesure du spectre en énergie des rayons cosmiques de haute énergie, dans leur composante leptonique (électrons et positrons), fournit un éclairage sur les processus galactiques de haute énergie et pourrait conduire à l'observation de phénomènes liés à l'annihilation de particules de matière noire.
En traçant le nombre de particules (ou leur flux) en fonction de leur énergie, le spectre en énergie, on devrait s'attendre à observer une courbe qui décroît de façon monotone. Or, des mesures antérieures, indirectes, effectuées d'une part avec le détecteur terrestre H.E.S.S et d'autre part par le télescope spatial Fermi-LAT indiquaient la présence probable d'une cassure anormale dans cette courbe. Ce que montre très clairement DAMPE avec ses données de mesure directe très précises, c'est bien une nette cassure dans le spectre située à une énergie d'environ 900 GeV. Chang Jin (Académie des Sciences chinoise), le leader de la collaboration scientifique, estime que cette cassure dans le spectre pourrait être un signe indirect de matière noire, mais pourrait aussi être associée à des sources inconnues de rayons cosmiques (supernovas ou pulsars).
Mais il y a aussi ce point à 1400 GeV, très anormal, qui ne suit pas du tout la courbe et qui révèle un excès d'électrons et de positrons à cette énergie très particulière, avec une barre d'erreur très petite. Il n'en fallait pas plus pour que cet excès d'événements enflamme les imaginations. Les auteurs de la collaboration DAMPE qui signent l'article de Nature se focalisent avant tout sur la forme brisée du spectre, sans s'appesantir sur le point anormal à 1400 GeV, mais cet excès de signal est déjà exploité par au moins trois équipes de théoriciens, majoritairement chinois, qui ont publié des analyses et interprétations sur arXiv, à peine deux jours après la publication de Nature (il est probable qu'ils avaient eu accès aux résultats de DAMPE en avance). Ces trois analyses affirment qu'il existe des scénarios d'annihilation de particules massives de matière noire (de masse de plusieurs TeV) pouvant expliquer l'excès à 1400 GeV en même temps que la forme générale du spectre en énergie. Il est fort probable que le nombre d'analyses théoriques de ces données va gonfler dans les jours et semaines qui viennent.
Initialement prévu pour fonctionner pendant 3 ans, DAMPE va être prolongé pour deux années supplémentaires, une bonne nouvelle pour toute la communauté des astrophysiciens des particules ou des physiciens des astroparticules. DAMPE devrait ainsi pouvoir collecter encore plus de particules, réduisant encore les incertitudes sur les flux mesurés, et jusqu'à une énergie de 10 TeV si il continue sur sa lancée.
Sourcs
Direct detection of a break in the teraelectronvolt cosmic-ray spectrum of electrons and positrons
DAMPE Collaboration
Nature, en ligne (29 novembre 2017)
Model-independent analysis of the DAMPE excess
Peter Athron, Csaba Balazs, Andrew Fowlie, Yang Zhang
TeV dark matter and the DAMPE electron excess
Xuewen Liu, Zuowei Liu
The electron-flavored Z'-portal dark matter and the DAMPE cosmic ray excess
Wei Chao, Qiang Yuan
Illustrations
1) Flux d'électrons et positrons en fonction de l'énergie mesuré par DAMPE (d'après les données publiées dans Nature). L'excès à 1400 GeV est indiqué par la flèche. L'échelle de l'ordonnée est logarithmique.
2) Flux multiplié par l'énergie au cube en fonction de l'énergie (échelle linéaire). La cassure dans la forme du spectre est clairement visible (DAMPE Collaboration, Nature).
5 commentaires :
Pas de détection indirecte d'un autre détecteur confirmant les 900 GeV et 1400 GeV ?
Les autres mesures sont représentées sur le deuxième graphe ci-dessus. Ce sont les plus récentes
On dirait que FERMI et HESS voient aussi quelque chose (mais il n'y a qu'un seul point).
Qu'est-ce que la zone en grisé ?
Il n'y a pas de satellite mesurant à ces énergies à ma connaissance. AMS arrive difficilement au TeV (1000 GeV): http://www.ams02.org/wp-content/uploads/2016/05/2014-Precision-Measurement-of-the-e-e-Flux-in-Primary-Cosmic-Rays-from-0.5-GeV-to-1-TeV-with-the-Alpha-Magnetic-Spectrometer-on-the-International-Space-Station.pdf
DAMPE a principalement été construit avec une architecture similaire à AMS, mais le but d'explorer le flxu de rayons cosmiques à de plus grandes énergies.
Il y a un peu plus qu'un point pour HESS et Fermi, mais ce sont des détections indirectes, à la différence de celle de DAMPE ou AMS. La zone en grisé correspond à l'incertitude systématique associée aux mesures de HESS, qui sont très importantes.
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