L’observation de la croissance des premières galaxies qui a lieu entre 500 millions et 1 milliards d’années après le Big Bang est un véritable challenge pour les astrophysiciens, qui doivent pour cela utiliser des instruments très sensibles pour atteindre de très faibles luminosités et en même temps devant couvrir de grands champs, pour espérer en capturer de rares specimens. Une telle observation vient d’être effectuée par des astronomes américains, européens et chiliens, et a permis de trouver un couple de galaxies situées 777 millions d’années seulement après le Big Bang, des galaxies déjà très massives, et qui sont en train de former un nombre ahurissant d’étoiles.
Les astrophysiciens ont exploités de nombreux instruments pour caractériser complètement cette source lumineuse dans l’infra-rouge lointain, au premier desquels le réseau ALMA dont nous parlons souvent ici (à juste titre). Les images en haute résolution de SPT0311−58 montrent clairement une paire de galaxies en train de former des étoiles à un taux très élevé. La plus grosse des deux produit 2900 masses solaires par an (environ 3000 fois plus que notre Galaxie aujourd’hui!), et possède un réservoir de 270 milliards de masses solaires de gaz et 2,5 milliards de masses solaires de poussière.
Il s’agit de la galaxie la plus massive observée à un redshift supérieur à 6 (le redshift, ou décalage vers le rouge, de ces deux galaxies est de 6,9). Les chercheurs pensent que la production d’étoiles effrénée de cette galaxie est déclenchée par l’interaction de sa galaxie compagne, qui serait en train de fusionner avec elle. La distance mesurée entre les deux galaxies n’est en effet que de 8 kpc (25000 années-lumière), soit la distance qui sépare le soleil du centre de notre propre galaxie. La « petite » compagne possède tout de même 35 milliards de masses solaires en étoiles et en produit des nouvelles au rythme de 540 par an. Elle aurait en revanche 10 fois moins de réserves en gaz et en poussière que sa voisine.
Par ailleurs, l’analyse des caractéristiques observées de ces deux galaxies fait dire à Dan Marrone (Université de l’Arizona) et ses collaborateurs dans l'article qu'il publient dans Nature qu’un halo de matière noire de plus de 100 milliards de masses solaires doit entourer ces galaxies, ce qui en ferait l’un des rares halos de matière noire connus à cette époque cosmique. L’observation de SPT0311−58, séparée en ses deux composantes SPT0311−58 W (la plus grosse) et SPT0311−58 E (la plus petite), a été un peu facilitée par la présence d’une galaxie spirale beaucoup plus proche de nous (à z=1,4, soit 4,5 milliards d’années après le Big Bang) et qui a produit un léger effet d’amplification par lentille gravitationnelle. SPT0311−58 n’en n’est pas moins le plus lointain membre de la population des galaxies massives et poussiéreuses lumineuses en infra-rouge, trouvées à ce jour.
L’analyse spectrale de la raie du carbone ionisé C II indique que les deux galaxies sont en train de se collisionner à la vitesse relative de 700 km/s, et formeront donc une unique galaxie encore plus massive. Même si la découverte d’un tel système très lointain dans un relevé qui ne couvrait que 10% du ciel est sans précédent, son existence ne remet pas en cause le paradigme actuel de la formation des premières grandes structures, elle le renforce plutôt.
Source
Galaxy growth in a massive halo in the first billion years of cosmic history
D. P. Marrone, J. S. Spilker[…], A. Weiß
Nature, en ligne (6 décembre 2017)
Illustrations
1) Le système de SPT0311−58 imagé grâce à l'émission de la raie du carbone ionisé C II (Marrone et al, Nature)
2) Evolution du décalage vers le rouge (redshift) en fonction de l'âge cosmique où se situe l'objet observé (durée écoulée depuis le Big Bang). Un redshift de 10 correspond à une époque située 473 millions d'années après la singularité initiale. Les paramètres cosmologiques pris en compte ici pour le calcul sont H0=67,7 km/s/Mpc, Omega_m=0,309 et Omega_lambda=0,691.
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