03/05/19

Une fusion d'étoiles à neutrons proche à l'origine de nos éléments lourds


Les astrophysiciens Szabolcs Marka (Columbia University) et Imre Bartos (University of Florida) proposent un phénomène violent qui serait à l'origine des éléments les plus lourds rencontrés dans notre système solaire, comme l'iode, l'or, le plomb ou encore l'uranium : une fusion de deux étoiles à neutrons qui aurait eu lieu tout près de la nébuleuse protosolaire à peine 100 millions d'années avant la naissance de la Terre. Leur étude est publiée cette semaine dans Nature



C'est en étudiant la radioactivité résiduelle de météorites qui se sont formées au tout début du système solaire que Marka et Bartos ont pu remonter le fil de l'origine des éléments les plus lourds. Les isotopes contenus dans ces météorites agissent en effet comme des horloges via leurs décroissance radioactive, qui permet de reconstruire à quel moment ils se sont eux-mêmes formés. Or pour la plupart d'entre eux, l'élément qui leur à donné naissance était lui-même un isotope radioactif, mais de période radioactive assez courte, et de nature très particulière. Ces derniers ne peuvent en effet se former que par un processus nucléaire qu'on appelle la capture de neutrons rapide, ou "r-process", un processus nucléaire qui ne peut avoir lieu que dans un environnement extrêmement riche en neutrons. La capture de neutrons rapide voit un noyau atomique capturer un neutron énergétique, donc se transformer en un autre isotope du même élément, le plus souvent radioactif, mais celui-ci n'a pas le temps de se désintégrer avant de capturer un nouveau neutron, et ainsi de suite à plusieurs reprises. Puis les noyaux très riches en neutrons ainsi formés se désintègrent enfin par radioactivité béta moins en transformant une partie de leurs neutrons excédentaires en protons, sautant au passage des cases dans la table de Mendeleïev.
Les fusions d'étoiles à neutrons sont les phénomènes idéaux à même de produire énormément de noyaux riches en neutrons via le r-process. L'événement gravitationnel GW170817 a par ailleurs fourni une preuve observationnelle imparable de l'apparition de captures de neutrons rapides menant à la formation des noyaux les plus lourds, après décroissances béta des noyaux très riches en neutrons produits au cours de la fusion des deux étoiles à neutrons et éparpillés dans l'environnement juste après la collision. On a beaucoup parlé par exemple de la production de noyaux d'or en grande quantité, mais aussi de très nombreux autres éléments parmi les plus lourds de la table de Mendeleïev (riches en protons et en neutrons). 

L'apport d'isotopes radioactifs dans la nébuleuse proto-solaire a pu être produit par quelques phénomènes de ce type, situés à proximité du futur système solaire. Alors que les isotopes issus du r-process ayant des demi-vies inférieures à 100 millions d'années ne sont donc plus présents dans le système solaire, leur abondance dans le très jeune système solaire est tout de même connue grâce à leur multiples descendants, produits de leur désintégration, qui sont préservés notamment dans les météorites, dont l'âge est le même que celui du système solaire.
Marka et Bartos ont ainsi étudié des isotopes dont la période radioactive (demi-vie) est supérieure à 15 millions d'années : le curium-247 (t1/2 = 15,6 millions d'années), le plutonium-244 (t1/2 = 80,8 millions d'années), l'iode-129 (t1/2 = 15,7 millions d'années) et l'uranium-235 (t1/2 = 703,8 millions d'années) qu'ils ont pu quantifier dans des météorites. 
Parallèlement, ils ont simulé des fusions d'étoiles à neutrons dans le disque de notre galaxie, à plus ou moins grande distance de la nébuleuse proto-solaire, en respectant les taux d’occurrence de tels phénomènes de fusion d'après ce que nous savons aujourd'hui grâce aux détections d'ondes gravitationnelles. Leur but était de reproduire la quantité d'isotopes radioactifs observés, issus spécifiquement du r-process. 


Ce que les chercheurs ont trouvé, c'est que une seule fusion d'un couple d'étoiles à neutrons a pu suffire pour apporter les isotopes lourds qui permettent d'expliquer les observations des abondances de curium et de plutonium des météorites. Mais à deux conditions : cette fusion doit avoir eu lieu à une distance d'environ 1000 années-lumière de la nébuleuse proto-solaire, et approximativement 80 millions d'années avant la formation du Soleil et des premiers corps rocheux. Il est à noter qu'une telle fusion d'étoiles à neutrons doit former au final un trou noir, mais le trou noir le plus proche que nous connaissons aujourd'hui (et dont nous allons prochainement reparler...) se trouve à environ 3300 années-lumière. Ce ne serait donc pas lui le résidu du cataclysme responsable.

Qui plus est, en comparant leurs simulations et les observations d'abondances isotopiques, Marka et Bartos ont pu estimer le nombre moyen attendu d'événements producteurs de captures de neutrons rapides (r-process) dans notre galaxie en fonction du temps : ils trouvent entre 1 et 100 événements par million d'années. Il se trouve que cette estimation, quoiqu'assez large, est tout à fait cohérente avec le taux d'occurence des fusions d'étoiles à neutrons mais en revanche pas du tout avec le taux d'apparition de supernovas ou de phénomènes stellaires spécifiques. Ces autres sources potentielles de r-process sont donc exclues par ces nouveaux résultats. 
Les fusions d'étoiles à neutrons semblent donc bien être à l'origine des éléments les plus lourds que nous connaissons et dont nous sommes faits, et il est fort probable qu'une seule collision d'étoiles à neutron proche spatialement mais éloignée dans le temps (près de 5 milliards d'années) a permis d'enrichir notre système solaire et nous fournir aujourd'hui l'or de nos bijoux et l'uranium de notre électricité.

Source 

A nearby neutron-star merger explains the actinide abundances in the early Solar System
Imre Bartos & Szabolcs Marka 
Nature volume 569, pages 85–88 (1 April 2019)


Illustrations

1) Vue d'artiste d'une kilonova produite par une fusion d'étoiles à neutrons et donnant lieu à la production de multiples élements lourds par r-process (NASA's Goddard Space Flight Center and CI Lab)

2) Schéma du processus d'enrichissement en éléments lourds de la nébuleuse proto-solaire (Bartos et al./Nature)

3) La table périodique des éléments de Mendeleïev, classés selon leur origine astrophysique. Ceux originaires des fusions d'étoiles à neutrons sont en orange (Jennifer Johnson)

2 commentaires :

Pascal a dit…

Bonjour Eric,

Vous dites " le trou noir le plus proche que nous connaissons aujourd'hui (et dont nous allons prochainement reparler...) se trouve à environ 3300 années-lumière. Ce ne serait donc pas lui le résidu du cataclysme responsable.". Mais parcourir 3300 +/-1000 AL en 4560 + 80 Ma cela ne représente jamais qu'une vitesse moyenne de l'ordre de 0.2 km/s (0.165 à 0.309), faible comparée non seulement aux vitesses orbitales (230 km/s) mais aussi aux vitesses propres : par exemple la vitesse du soleil par rapport au référentiel stellaire local est de 15 à 20 km/s. D'ailleurs notre amas ouvert primordial est à présent très largement dispersé, et à fortiori le couple d'étoiles à neutrons n'y étant pas lié gravitationnellement (sa distance à l'époque, 300 pc, est très supérieure à la taille d'un amas), avec donc une vitesse relative non négligeable, le trou noir résultant pourrait se trouver bien loin de nous à présent, et son identification risque d'être compliquée ? En revanche sa masse sera contrainte par son origine, mais cela devrait laisser pas mal de candidats. Jusqu'où Gaia permettra-t-il de remonter une trajectoire ?

Dr Eric Simon a dit…

Oui, Pascal, vous avez tout à fait raison ! Les mouvements respectifs du Soleil et de ses trous noirs voisins ont pu les éloigner considérablement pendant une période de plusieurs milliards d'années. Le résidu du cataclysme en question ici est probablement introuvable.