samedi 21 septembre 2019

Naissance de 6 quasars observée "en direct"


Une équipe d'astrophysiciens a été témoin d'une mutation rapide de six noyaux de galaxies calmes au départ, et se transformant en quelques mois à peine en véritables quasars. Un nouveau type d'activité de trou noir supermassif serait à l'oeuvre. Une étude parue dans The Astrophysical Journal.




Les galaxies un peu endormies, mais pas complètement, qui ont été étudiées par Sara Frederick (Université du Maryland) et ses collègues sont dénommée des LINER (Low-Ionization Nuclear Emission-line Region), ce sont des galaxies qui montrent des raies d'émission caractéristiques d'une faible ionisation dans leur région centrale, autrement dit, le gaz de la région de leur trou noir central est un peu ionisé parce qu'il y a une source de rayonnement X, donc un peu d'activité d'accrétion autour du trou noir. Les galaxies de type LINER, qui se situent entre galaxies très calmes et galaxies actives, sont assez communes: on en compte environ pour un tiers dans toutes les galaxies proches. Mais le débat fait rage pour savoir quelle est la véritable source du rayonnement ionisant responsable de cette ionisation : le disque d'accrétion du trou noir supermassif central ou bien des régions de formation d'étoiles situées sur le pourtour de la région centrale ?
Les six transitions surprenantes ont été découvertes durant les neuf premiers mois du relevé automatique du ciel du Zwicky Transient Facility (ZTF), qui est implanté à l'Observatoire du Mont Palomar en Californie. 
Ces évolutions rapides sont très similaires à un effet appelé le 'changement d'apparence' qui a été documenté dans des galaxies actives appelées des galaxies de Seyfert. Ces galaxies sont des galaxies à noyau actif et elles sont classées en deux catégories : les Seyfert de type 1 et les Seyfert de type 2. Elles diffèrent par leur spectre lumineux et la plupart des spécialistes pensent aujourd'hui que cette différentiation, ce changement d'apparence serait dû simplement à une différence d'orientation de la galaxie par rapport à la ligne de visée. Les galaxie de Seyfert de type 1 seraient vues de face, tandis que les Seyfert de type 2 seraient vue avec un angle prononcé, de telle manière que leur noyau actif serait obscurci partiellement par un anneau de gaz et poussières dense en forme de donut. 


Sur une des galaxies plus particulièrement étudiée, ZTF18aajupnt/AT2018dyk, le suivi en UV avec le télescope spatial Hubble et de la spectroscopie dans le visible au sol (avec Keck et Gemini North) avaient en effet révélé des raies spectrales typiques de galaxies de Seyfert de type 1, tandis qu'un suivi avec le télescope spatial Swift montrait une importante émission UV suivie par une forte éruption de rayons X de basse énergie culminant 60 jours plus tard. Puis ce fut au tour du télescope infra-rouge Spitzer  de produire un suivi de ce quasar nouveau-né pour révéler la présence de grosse fraction de poussières.

Mais comment une galaxie pourrait passer de Seyfert 2 (en admettant que les LINERs soient des Seyfert 2 très très obscurcies) à Seyfert 1 ? Une galaxie donnée ne peut pas changer d'orientation brutalement en quelques mois... Les 6 LINERs qui se transformées en quasars ont donc subi un autre phénomène selon Frederick et ses collaborateurs. Mais d'un autre côté, la théorie stipule qu'un quasar doit prendre plusieurs milliers d'années pour s'"allumer". 
Pour essayer de démêler cet écheveau, Frederick et ses collègues, qui détaillent aujourd'hui leurs études dans un gros article de plus de trente pages, ont poursuivi leurs observations des six galaxies avec d'autres télescopes, notamment le Discovery Channel Telescope de l'Observatoire Lowell, pour étudier la vitesse avec laquelle les noyaux galactiques, devenus actifs, interagissaient avec leur galaxie hôte. 

Ce qu'ils ont fini par trouver, c'est que, a contrario de la plupart des quasars qui illuminent des nuages de gaz et de poussière bien au delà du noyau galactique proprement dit, dans le cas de ces 6 ex-LINER, c'est seulement du gaz et de la poussière situés au plus proche du noyau galactique qui a été "allumé". Les astrophysiciens pensent que l'activité pourrait continuer à s'étendre plus loin dans la galaxie. Et leur conclusion est que la théorie décrivant la naissance des quasars est à revoir. Il va falloir comprendre qu'est ce qui peut disloquer aussi rapidement (en quelques mois) la structure d’accrétion autour d'un trou noir galactique et produire ces changements d'apparence aussi importants. Les chercheurs savent déjà que les forces en jeu doivent être extrêmes.
Quoi qu'il en soit, ces découvertes montrent en tous cas que des galaxies de type LINER peuvent abriter un trou noir supermassif, au cas où on en douterait encore. Reste à comprendre comment d'énormes quantités de gaz et de poussière peuvent brusquement commencer à tomber vers le trou noir en le rendant suractif. Ces galaxies vont donc être des laboratoires de choix pour les mois et les années à venir. La structure du flot d'accrétion autour des trous noirs supermassifs et leur environnement proche pourrait commencer à être "cartographiés". Sara Frederick a déjà prévu de continuer le suivi dans les deux prochaines années avec le Zwicky Transient Facility, à raison de 4 campagnes d'observations par an...


Source


A New Class of Changing-look LINERs
Sara Frederick et al.
The Astrophysical Journal, Volume 883, Number 1 (19 september 2019)



Illustrations

1) La galaxie ZTF18aajupnt/AT2018dyk imagée par SDSS (Frederick et al.)

2) Comparaison des spectres des 6 nouveaux noyaux actifs suivis, avec des spectres obtenus il y a quelques années (Frederick et al.)

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