Un trio de trous noirs supermassifs en voie de fusion via la collision de leurs galaxies vient d'être observé à une distance de 1 milliard d'années-lumière. Cette première, obtenue grâce à de nombreux télescopes spatiaux et terrestres, est publiée dans The Astrophysical Journal.
Ryan Pfeifle (George Mason University de Fairfax, Virginie) et ses collaborateurs cherchaient des couples de trous noirs supermassifs, juste des couples. Et c'est un trio qu'ils ont trouvé dans ce système qui est nommé SDSS J0849+1114. C'et à ce jour l'évidence la plus forte de la présence d'un trio de trous noirs supermassifs rapprochés qui sont tous les trois en train d'accréter de grandes quantités de matière, les rendant actifs, c'est à dire rayonnants (via l'échauffement du gaz qu'ils induisent). Mais avant d'être étudié de près avec Chandra, SDSS J0849+1114 avait été étudié par d'autres grands instruments. Le système a tout d'abord été imagé dans le domaine visible par le télescope du SDSS (Sloan Digital Sky Survey), et c'est un programme de Galaxy Zoo, l'organisation de science citoyenne, qui a permis de mettre en évidence dans les images que la galaxie était en fait plusieurs galaxies en collision et pas uniquement une seule galaxie déformée.
Ce n'est qu'alors que le télescope spatial américain WISE (Wide-field Infrared Survey Explorer) a été pointé vers SDSS J0849+1114 et révéla une intense émission en infra-rouge, signe évident qu'il y avait là non seulement un trou noir actif mais au moins deux. Ryan Pfeifle et ses collaborateurs ont ensuite exploité le télescope Large Binocular situé en Arizona (en infra-rouge toujours) et Chandra, aidé de NuSTAR dans l'espace (dans le domaine des rayons X) pour suivre ce couple de trous noirs supermassifs.
Alors que les télescopes X trouvaient trois sources brillantes de rayons X situées exactement au centre de trois noyaux de galaxies en train de fusionner ainsi que la présence de grandes quantités de gaz et de poussière autour de l'un des trois trous noirs, une activité typique lors d'une fusion de galaxies, les données dans le visible du SDSS et en infra-rouge du LBT confirmaient la nature de ce qui était observé via les signatures spectroscopiques caractéristiques du gaz en cours d'accrétion autour des trous noirs.
L'utilisation conjointe des émissions de rayons X et infra-rouge a été déterminante ici, car on s'attend en théorie à trouver un tel trio de trous noirs supermassifs très enfouis dans d'énormes quantités de gaz et de poussières suite à la fusion de trois galaxies simultanément. Mais les infra-rouges et les X sont les rares rayonnements à pouvoir traverser assez facilement cette purée de pois (en tous cas bien mieux que les longueurs d'ondes visible). Et chaque télescope fournit une information complémentaire qui mène vers la même conclusion : il y a bien trois supermassifs en voie de fusion dans SDSS J0849+1114 et ils sont séparés de moins de 35000 années-lumière entre eux.
Les couples de trous noirs supermassifs sont déjà rares. Les trios encore plus. Mais ils sont une conséquence naturelle de l'évolution des galaxies qui se rencontrent et fusionnent pour devenir plus grandes, leur trou noir supermassif faisant de même. C'est en tout cas le paradigme actuel de l'évolution des galaxies, le modèle généralement adopté par les astrophysiciens.
Ce que notent les chercheurs, c'est qu'un triplet de trous noirs supermassifs se comporte différemment d'un couple. En effet, les interactions gravitationnelles à trois corps peuvent réserver des surprises, avec l'apparition de mouvements chaotiques, imprévisibles, et notamment l'apparitions d'instabilités. C'est ainsi que deux d'entre eux pourraient arriver à la fusion bien plus rapidement que si ils avaient été juste tous les deux. Le troisième trou noir pourrait provoquer la fusion des deux autres en déstabilisant les orbites. Ce processus pourrait même résoudre un problème que rencontrent les astrophysiciens pour expliquer la fusion des trous noirs supermassifs, ce qu'on appelle le 'problème du parsec final'. Ce problème traduit le fait qu'un couple de trous noirs supermassifs devrait avoir du mal à fusionner lors qu'il arrive dans sa phase finale, quand les trous noirs ne sont plus séparés que par quelques années-lumière. Ils auraient trop d'énergie orbitale, tournant l'un autour de l'autre à une vitesse folle pour des objets aussi massif, ce qui les empêcherait de s'approcher trop près l'un de l'autre avant plusieurs dizaines de milliards d'années. Cela est paradoxal puisqu'on observe des trous noirs extrêmement massifs qui ont du passer par des phases de fusion, et ce en moins de 5 milliards d'années. D'où la qualification de 'problème' pour ce 'problème du parsec final'. Mais l'arrivée d'un troisième larron dans les environs d'un couple pourrait tout changer et résoudre le problème théorique, en déstabilisant le couple hésitant et en les précipitant l'un vers l'autre.
Ce qui est certain, c'est que le faible nombre de duos et de trios de trous noirs supermassifs observés à ce jour, pour Pfeifle et ses collègues, est dû à la stratégie de présélection qui est utilisée pour les trouver. Le fait qu'ils soient tombés par sérendipité sur un triplet de trous noirs supermassifs avec leur stratégie de sélection fondée sur un suivi en infra-rouge avec WISE les confortent que c'est la bonne méthode et ils vont s'engager à étendre leur étude pour identifier d'autres cas de triples noyaux actifs de galaxies.
Source
A Triple AGN in a Mid-Infrared Selected Late Stage Galaxy Merger
Ryan W. Pfeifle et al.
accepté pour publication dans The Astrophysical Journal
Illustrations
1) Image de SDSS J0849+1114 en visible et en rayons X (NASA/CXC/George Mason Univ./R. Pfeifle et al.; Optical: SDSS & NASA/STScI)
2) Images de e SDSS J0849+1114 obtenues avec SDSS (en bas à gauche, Hubble (au centre) et Chandra en haut à droite) (Ryan W. Pfeifle et al.)
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