lundi 23 septembre 2019

Identification de 2 résidus de supernovas proches productrices de fer-60


Il y a exactement un mois, je vous rapportais une étude montrant la découverte d'un isotope rare du fer dans la glace de l'Antarctique devant provenir d'une ou plusieurs supernova ayant explosé relativement proche de nous dans le temps et l'espace (voir aussi ici). Aujourd'hui, une étude publiée dans les Monthly Notices of the Royal Astronomical Society apporte une identification probable pour les résidus de ces supernovas, qui seraient au nombre de deux : un pulsar animé d'une grande vitesse qui aurait été accompagné d'une étoile, elle aussi expulsée dans le cataclysme, et un autre pulsar, lui, toujours en couple.




On le sait quand une étoile massive qui est en couple avec une autre étoile arrive à la fin de sa vie, elle explose en supernova de type II et laisse derrière elle un pulsar ou parfois un trou noir. Très souvent, l'explosion n'est pas de symétrie parfaitement sphérique et l'étoile à neutron résiduelle se retrouve propulsée dans l'espace avec une certaine vitesse. Les spécialistes appelle cela un "kick". Mais l'étoile compagne malheureuse qui a assisté impuissante à l'explosion peut elle aussi subir une violente expulsion et se retrouver errante dans une autre direction, pas forcément dans la direction opposée.
Ralf Neuhäuser (Université de Jena) et ses collègues allemand et arménien ont étudié dans les données astrométriques de Gaia les trajectoires d'étoiles fuyantes qui semblaient toutes provenir d'une région riche en étoiles massives, l'association dite de Scorpius-Centaurus-Lupus, ainsi que 400 étoiles à neutrons dont les trajectoires semblaient également passer par ce groupe.
Les astrophysiciens ont construit un logiciel spécifique permettant de retracer les trajectoires des étoiles à partir des vitesses et des positions qui sont observées aujourd'hui, ce dans le potentiel gravitationnel de la Galaxie et sur quelques millions d'années. Ils trouvent qu'une étoile nommée ζ Oph (zeta Ophiuchi) et un pulsar nommé PSR B1706-16 ont des trajectoires qui les mènent exactement au même endroit au même moment : il y a 1,78 ± 0,21 millions d'années à une distance de 107 ± 4 pc (environ 350 années-lumière). Le pulsar se meut à une vitesse de 260 km/s. Ça ne peut pas être un hasard... Elles ont dû être toutes les deux expulsées au cours de la supernova. Les astronomes peuvent même estimer la masse de l'étoile progénitrice à une fourchette entre 16 et 18 masses solaires. A partir de là, ils calculent quelle quantité de Fer-60 a été produit et peut se retrouver sur Terre.

Ralf Neuhäuser et ses collègues notent par ailleurs que dans le groupe Scorpius-Centaurus-Lupus se trouve une seule binaire X, constituée probablement d'un pulsar, mais encore en couple avec sa compagne (1H11255-567). Et ce pulsar, produit par une supernova de type II sans doute assez symétrique, est situé à une distance comprise entre 89 et 112 pc et devrait avoir un âge d'environ 1,8 millions d'années. La supernova correspondante aurait donc quasi la même distance et le même âge que celle ayant produit le kick de PSR B1706-16 et ζ Oph. Il n'y a donc non pas une seule supernova ayant explosé à environ 350 années-lumière il y a un peu moins de 2 millions d'années, mais deux.

La quantité de fer-60 retrouvé sur Terre, que soit dans la glace de l'Antarctique ou bien au fond des océans, est cohérente selon les chercheurs avec ce qu'ont pu produire deux supernovas à une centaine de parsecs il y a 1,8 millions d'années lorsque nos lointains ancêtres se redressaient pour regarder le ciel de la savane.  


Source

A nearby recent supernova that ejected the runaway star ζ Oph, the pulsar PSR B1706-16, and 60Fe found on Earth
R Neuhäuser, F Gießler, V V Hambaryan
Monthly Notices of the Royal Astronomical Society (23 September 2019)


Illustration

Modélisation de la distribution spatiale du Fer-60 dans la Bulle Locale (la croix représente la position du système solaire) (Michael Schulreich)

1 commentaire :

Pascal a dit…

Bonjour,

Je me suis posé la question : l'association scorpius centaurus lupus est-elle responsable de la bulle locale ? Cela semblait cohérent avec les ages (quelques Ma) et le fait que c'est l'association OB la plus proche de nous. Cela ne parait pourtant pas être le cas, d'autres SN seraient à l'origine de la bulle locale (le progéniteur de Geminga, actuellement à 250 pc, a été évoqué).
Quoiqu'il en soit, cela signifie que les SN explosant à des distances de l'ordre de 100 pc ne sont pas rares dans notre environnement, de l'ordre de 1/Ma ; il n'est pas certain que cela ait des conséquences sur la vie terrestre, via irradiations ou changements climatiques (transition pliocène-pleistocène, à une époque charnière pour l'hominisation ?). Mais sur la durée d'évolution du vivant, 3500 Ma, il est statistiquement très probable que des SN ont explosé bien plus près...
Il est amusant de se dire que nous ne sommes pas seulement les enfants des étoiles, mais aussi ceux des SN : non seulement elles ont pu moduler l'évolution du vivant, mais elles ont fourni certains éléments lourds indispensables tant à notre physiologie (métalloprotéines enzymatiques...) qu'à notre technologie.