samedi 4 janvier 2020

Archéologie cosmique avec un amas de galaxies lointain


L’observation d’un amas de galaxies situé 3,3 milliards d’années après le Big Bang a permis à une équipe d’astrophysiciens de mesurer avec précision l’âge des étoiles qui les constituent. Les plus vieilles se seraient formées seulement 370 millions d’années après le Big Bang.



Ce qu’on appelle l’«âge sombre» de l’Univers est la période qui a suivi l’émission du rayonnement diffus cosmologique (associée à la recombinaison des électrons et des protons), jusqu’à l’apparition des toutes premières étoiles et donc des toutes premières galaxies. On estime que cet âge sombre dans lequel l’Univers n’était peuplé que d’hydrogène et d’hélium neutres ainsi que de matière noire a duré environ 200 à 300 millions d’années. En s’allumant, les premières étoiles ont ensuite modifié leur milieu environnant en réionisant le gaz interstellaire, séparant à nouveau les noyaux d’atomes et les électrons, on parle alors d'époque de réionisation de l’Univers. Cette phase cruciale est d’ailleurs le sujet du cours de cette année donné en ce moment au Collège de France par Françoise Combes, que je vous invite à suivre si vous êtes à Paris ou à regarder en ligne pour tous les autres.
L’observation de cette période de réionisation et notamment de son commencement, c’est-à-dire l’observation des premières galaxies est quelque chose de très difficile. Ces premières galaxies sont en effet extrêmement faiblement lumineuses. 
Mais Jon Willis (Université de Victoria, Canada) et ses collaborateurs ont trouvé une astuce pour étudier les premières étoiles, et surtout pour dater leur naissance le plus précisément possible.  Ils les ont regardées « simplement » un peu plus tard, une fois qu’elles avaient évolué, un peu, mais pas trop. Ils se sont penchés sur un des amas de galaxies les plus lointains que nous connaissons, pour évaluer l’âge des étoiles à ce moment-là de l’histoire cosmique, sachant que cet amas se situe 3,35 milliards d’années après le Big Bang. 
On pourrait penser qu’il serait plus simple d’estimer l’âge des étoiles dans des amas de galaxies beaucoup plus proches de nous dans l’espace-temps, faciles à observer comme l’énorme amas de Coma par exemple. Mais il se trouve que comme les galaxies qui le composent sont toutes très vieilles, elles deviennent difficiles à différentier en terme d’âge : une galaxie de 13 milliards d’années ressemble beaucoup à une galaxie de 8 milliards d’années…


Mais en observant un amas de galaxies à un redshift z=2, c’est-à-dire 3,35 milliards d’années après le Big Bang, une époque où l’Univers était 3 fois plus petit qu’aujourd’hui, la mesure de l’âge des étoiles et des galaxies qu’elles forment devient beaucoup plus précise.
XLSSC 122 est un amas de galaxies déjà mature, qui contient plusieurs dizaines de galaxies. Willis et ses collaborateurs en ont dénombré 37 et les chercheurs ont trouvé que XLSSC 122 contient des galaxies qui montrent une couleur rouge similaire. L’âge d’une galaxie peut être estimée par sa couleur moyenne, qui trace l’âge de ses étoiles constituantes. Plus les étoiles sont jeunes, plus elles sont bleues. En comparant les observations effectuées avec le télescope spatial Hubble et des modèles d’évolution stellaire, Willis et ses collaborateurs concluent que les étoiles les plus âgées des galaxies les plus âgées de l’amas XLSSC 122 ont un âge apparent de 2,98 milliards d’années. Elles se seraient donc formées 0,37 milliards d’années après le Big Bang (à un redshift z=12, donc dans un Univers 13 fois plus petit qu’aujourd’hui).
Un point a particulièrement intrigué Jon Willis et ses collègues américains : parmi toutes ces galaxies, 19 ont des âges très semblables. Mais au moment où elles ont formé leurs étoiles, ces galaxies devaient être isolées, elles ne se sont constituées en groupes puis en amas que plus tard. 

Il est donc possible selon eux que ces galaxies aient été influencées par leur environnement ou que l’ « allumage » des premières étoiles ait produit une sorte de réaction en chaîne menant à l’apparition de plusieurs groupes d’étoiles simultanément. Les autres galaxies affichent en revanche des dates de formation assez variées, allant jusqu’à un redshift 7 (0,77 milliards d’années après le Big Bang). XLSSC 122 apparaît donc comme un amas de galaxies déjà remarquablement mature, possédant des populations stellaires évoluées dans ses galaxies, ainsi qu’un milieu intergalactique (ou intra-amas) composé d’un gaz riche en métaux, produits par les premières générations d’étoiles massives qui n’ont pas survécu jusque là et ont déjà explosé depuis longtemps.
Jon Willis et ses collaborateurs estiment en tous cas que l'amas en tant que tel s'est bien assemblé après la formation des galaxies qui le composent, grâce à la mesure de la température de son gaz (via les rayons X observés) et de sa taille. Il aurait moins d'un milliard d'années, c'est à dire qu'il aurait commencé à se constituer à partir de 2,5 milliards d'années après le Big Bang (un redshift de 2,8). Ça tombe bien parce que les modèles actuels indiquent qu'il est très peu probable que les amas de galaxies se forment au delà d'un redshift de 3.

Les chercheurs se sont ensuite amusés à prévoir ce à quoi pourrait ressembler XLSSC 122 une fois évolué dans l'Univers actuel. Les simulations de l’accrétion de halos massifs appliquées sur XLSSC 122 indiquent qu'il va continuer à grossir en attrapant toujours plus de galaxies et en les faisant grossir. Elles donnent un amas ultra-massif très ressemblant à l'amas de Coma, avec 1 million de milliards de masses solaires (équivalent à 1000 galaxies).
Inversement, Jon Willis et ses collaborateurs cherchent à quoi pouvait ressembler leur amas plus tôt dans l'histoire cosmique. Il ont fait tourner leur simulation en arrière et obtiennent une image d'une structure de galaxies très ressemblante à un proto-amas de galaxies qui a été découvert en 2018 : SPT2349-56, à un redshift de 4,3 (1,4 milliards d'années après le Big Bang). Les astrophysiciens estiment alors que SPT2349-56, XLSSC 122 et Coma sont des structures très similaires qui sont observées à différentes époques cosmiques. Les plus grandes structures de l'Univers liées gravitationnellement, les amas de galaxies, commencent à nous révéler une vue cohérente de leur formation et de leur évolution...


Source

Spectroscopic confirmation of a mature galaxy cluster at a redshift of 2
J. P. Willis, R. E. A. Canning, E. S. Noordeh, S. W. Allen, A. L. King, A. Mantz, R. G. Morris, S. A. Stanford & G. Brammer 
Nature vol. 577 (01 january 2020)


Illustrations

1) L'amas XLSSC 122 imagé en rayons X par XMM-Newton (A. Mantz et al.)

2) relation entre temps cosmique et redshift pour les paramètres standards du modèle cosmologique (H0=69,6, OmegaM=0,286, Omega_Lambda= 0,714, univers plat)

3) zoom sur le premier milliard d'années après le Big Bang. L'époque de réionisation s'étend entre z=8 et z=20. L'âge sombre s'étend de z=20 à z=1100 (CMB).

1 commentaire :

Lolo a dit…

Bonjour Eric,
Merci pour ton podcast!
C'est le fait de l'expansion (en accélération) de l'Univers, et donc que plus les galaxies sont éloignées (aka anciennes), plus elles s'éloignent vite qui est la raison du lien Redshift/Age?
Laurent