jeudi 21 mai 2020

Observation d'un disque galactique seulement 1,5 milliards d'années après le Big Bang


Le disque galactique le plus lointain vient d'être observé grâce à son gaz froid par le réseau ALMA. Cette galaxie déjà bien formée se situe 1,5 milliards d'années après le Big Bang, de quoi réévaluer les processus de formation des galaxies. Une étude parue aujourd'hui dans Nature.



Ce qui rend cette observation très intéressante c'est que cette galaxie se trouve bien plus tôt dans l'Univers que ce que l'on pensait pour la formation des structures en disques. On estimait d'après nos observations précédentes que les formes très aplaties en disques voyaient le jour environ 3 milliards d'années après le Big Bang. La galaxie DLA0817g, surnommée le disque de Wolfe par ses découvreurs Marcel Neeleman (Max-Planck-Institut für Astronomie, Heidelberg) et ses collaborateurs casse donc les codes. 
L'existence de cette galaxie suggère que les grandes galaxies spirales comme la nôtre peuvent grossir très vite à partir de leur naissance. On pense que les toutes premières galaxies sont apparues quand des halos de matière noire ont piégé le gaz environnant qui s'est ensuite condensé pour donner des étoiles. Ces premières galaxies devaient être de forme quasi sphérique d'après les simulations de formation galactique que savent faire les spécialistes. Elles devaient prendre une forme de bulbe sphérique car leur gaz devait être trop chaud, et devait chercher à s'étendre, empêchant qu'il prenne une forme de disque en rotation. Les modèles disent que ce n'est que lorsque le gaz se serait suffisamment refroidi qu'il pourrait se condenser facilement en petites boules qu'on appelle des étoiles qui se répartissent alors en disque aplati.
En 2005 puis en 2009 cependant, des simulations avaient montré que des flux de gaz froid pouvaient interagir dans les protogalaxies chaudes et y induire la formation d'étoiles et leur transformation en disques plus tôt que prévu, environ 1 milliard d'années après la singularité initiale. C'est pour tester cette observation numérique du processus d'"accrétion froide" que Neeleman et ses collaborateurs ont cherché à imager les plus lointaines galaxies possibles via leur contenu en gaz froid. Il fallait pour cela utiliser le puissant réseau de radiotélescopes ALMA (Atacama Large Millimeter Submillimeter Array), seul à même de pouvoir distinguer la forme du gaz froid et aussi comment il tourne (via les décalages des longueurs d'ondes de l'effet Doppler).
Les chercheurs ont même rusé puisqu'en plus de la raie d'émission à 158 microns du carbone ionisé une fois (la raie C II), ils ont utilisé l'absorption que produit le gaz de cette galaxie sur de la lumière venant d'encore plus loin, de quasars d'arrière plan... ALMA permet d'obtenir ainsi une résolution spatiale de 1,3 kiloparsecs (une résolution angulaire de 0,19''), ce qui permet de cartographier les champs de vitesse à l'intérieur de la galaxie et de déterminer finement sa rotation.
Et le résultat est un beau disque galactique spiral avec une masse de gaz moléculaire de 72 milliards de masses solaires, qui forme un disque mélangé de gaz et poussière tournant à 272 km/s. Neeleman et ses colègues l'ont nommée le Disque de Wolfe en l'honneur de Arthur Wolfe (mort en 2014) qui fut le premier à clamer que des galaxies spirales pouvaient exister très tôt dans l'histoire cosmique. 
L'existence d'une galaxie formant un disque en rotation de gaz froid à cette époque cosmique semble donc favoriser le mécanisme de l'accrétion froide mais Neeleman et ses collaborateurs notent néanmoins que la grande vitesse de rotation qui est observée (similaire à la vitesse de rotation de notre galaxie) et la quantité vraiment importante de gaz froid, ont tout de même du mal à être reproduites par les simulations numériques...
Compte-tenu de la méthode de sélection qu'ils ont choisi pour trouver DLA0817g, les astrophysiciens concluent que de telles galaxies doivent être communes à cette époque cosmique quand l'Univers n'avait que 10% de son âge.


Source

A cold, massive, rotating disk galaxy 1.5 billion years after the Big Bang
Marcel Neeleman, J. Xavier Prochaska, Nissim Kanekar & Marc Rafelski 
Nature volume 581 (20 may 2020)


Illustration

Images de DLA0817g obtenues avec Hubble (à gauche) et avec ALMA (à droite).

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