dimanche 6 septembre 2020

Matière noire : une explication à l'absence de détection indirecte par annihilation


La matière noire, on le sait, doit se condenser en halos de toutes tailles. De nouvelles simulations très détaillées qui explorent 20 ordres de grandeur pour la masse de ces halos de matière noire viennent de montrer une similitude dans la relation masse-densité de ces halos, à partir d'une masse de 10-5 masses solaire (la masse d'une planète) jusqu'à 1015 masses solaires (la taille d'un gros amas de galaxies). Cette nouveauté a des implications importantes sur le potentiel de détection indirecte de la matière noire par annihilation dans les galaxies. Une étude publiée dans Nature cette semaine.


La matière noire telle qu'elle est conçue dans le modèle standard de la cosmologie joue un rôle crucial dans l'évolution cosmique et notamment dans l'apparition des galaxies. Les galaxies naissent et grossissent au centre d'énormes concentrations de matière noire, des halos de matière noire. Les propriétés des gros halos de matière noire peuvent être déduites des propriétés des galaxies qu'ils contiennent mais les astrophysiciens ne savent pas grand chose des tout petits halos de matière noire qui sont trop petits pour abriter une galaxie.
Les plus gros halos étudiés contiennent des amas de galaxies (plusieurs centaines de galaxies) et ont une masse qui atteint 1015 masses solaires (1 million de milliards de masses solaires). Mais la masse des plus petits n'est pas connue précisément. La théorie de la matière noire sous forme de particules massives interagissant faiblement avec la matière baryonique suggère que ces petits halos pourraient avoir une masse de l'ordre de celle de la Terre. Ils pourraient de fait être très nombreux, participant pour une grande fraction de la matière noire.
Jie Wang (School of Astronomy and Space Science, University of Chinese Academy of Science) et ses collaborateurs américains et européens ont exploré le monde  des tout petits halos de matière noire en étudiant leur structure par des simulations numériques de leur formation et de leur évolution. Mais ils en ont profité pour simuler la formation de tous les types de halos de matière noire dans le cadre du modèle cosmologique standard avec une particule "noire" de 100 GeV, ce qui leur donne une image inédite sur 20 ordres de grandeurs ! (puissances de 10). 
De façon surprenante, les chercheurs trouvent que tous les halos possèdent une structure interne similaire : ils sont très denses vers le centre et deviennent de plus en plus diffus vers l'extérieur, comportant donc des sous halos de plus en plus petits lorsqu'on s'éloigne du centre, et cela est valable à toutes les échelles... C'est une sorte d'image fractale qui apparaît : en visualisant un halo sans connaître l'échelle, on ne peut pas dire clairement s'il s'agit d'un halo incorporant une galaxie ou bien un halo contenant moins d'une masse solaire. 
Les astrophysiciens s'attendaient à ce que les petits halos aient une distribution différente de celle des très gros halos, ayant une densité globale plus importante, par rapport à leur masse.

Cette propriété à des conséquences importantes. Selon certaines théories de matière noire, les particules massives qui la constitue peuvent s'annihiler entre elles lorsqu'elles se rencontrent car elles seraient leur propre antiparticule. Ces collisions auraient donc lieu là où la concentration est la plus forte : au centre des halos. Cette annihilation doit in fine produire des photons gamma qui peuvent être détectés par nos meilleurs instruments. C'est ce qu'on appelle la détection indirecte de la matière noire. 
Ce signal d'annihilation dépend donc fortement de la structure de densité des halos en fonction de leur masse. Et les nouveaux résultats obtenus par Wang et ses collaborateurs leur permettent de calculer plus précisément l'amplitude du signal d'annihilation que l'on pourrait attendre des halos de différente taille avec ces propriétés particulières des petits halos qui n'étaient pas imaginées comme ça jusqu'à aujourd'hui. Et ça change des choses ! Et pas qu'un peu... 
Le fait que la relation masse-densité des halos apparaisse universelle pour les halos de toutes les tailles depuis les amas de galaxie jusqu'à une masse planétaire et ne dépende finalement que des paramètres cosmologiques et de la nature de la particule formant la matière noire, et aucunement de l'environnement qui les entoure, implique selon Wang et ses collaborateurs, que les halos de masse comprise entre 10-3 et 1011 masses solaires contribuent de façon égale à la luminosité gamma d'annihilation. La conséquence est que cette émission gamma d'annihilation doit être beaucoup plus faible que ce qui était calculé auparavant (avec des hypothèses différentes sur les halos de petite taille) : jusqu'à un facteur 1000
Autrement dit, il serait "normal" qu'on ne soit pas encore parvenu à détecter indirectement la matière noire par son rayonnement gamma d'annihilation provenant du centre des galaxies naines et des galaxies un peu plus grosses, où les recherches sont privilégiées... Cette émission gamma serait 1000 fois plus faible que ce que l'on pensait. 


Source

Universal structure of dark matter haloes over a mass range of 20 orders of magnitude
J. Wang, S. Bose, C. S. Frenk, L. Gao, A. Jenkins, V. Springel & S. D. M. White 
Nature volume 585 (2 september 2020)


Illustration

Zoom à différentes échelles de la distribution de matière noire (échelle allant de 500 millions d'années-lumière en haut à gauche à environ 100 années-lumière en bas à droite) (Wang et al.)

2 commentaires :

Unknown a dit…

Bonjour,
Comment arrive-t-on à théoriser qu'une matière que l'on n'arrive pas à "qualifier-définir" (excusez mon language) puisse produire des particules connues? "Sa propre antiparticule" Annihilation = production de photons gamma.
Merci

Dr Eric Simon a dit…

C'est le travail des théoriciens d'imaginer des particules qui auraient certaines caracteristiques et propriétés qui permettent d'expliquer ce qu'on observe aujourd'hui.ce sont des particules hypothétiques mais connues dans leur cadre théorique comme par exemple leur caracteristique particule= antiparticule, absence de charge électrique, masse dans une certaine plage, probabilité d'interaction, etc...