C'est encore à une première que je vous convie aujourd'hui : celle de la première mesure de distance directe d'un magnétar, par une mesure de parallaxe. Le magnétar XTE J1810−197 (plus simplement J1810) est le premier magnétar détecté produisant des pulses radio et l'un des plus proches connus. Fin 2018, la position relative de ses émissions radio sur une période d'un peu plus d'un an a trahi sa distance par la géométrie... Une étude parue dans les Monthly Notices of the Royal Astronomical Society.
J1810 est un magnétar très intéressant car cette étoile à neutrons fortement magnétisée est un vrai laboratoire pour la physique des très forts champs magnétques, ainsi que pour étudier les caractéristiques des magnétars en général, et leur de plus en plus plausible connexion avec les Fast Radio Bursts (FRB).
Les magnétars peuvent arborer un champ magnétique démesuré, de l'ordre de 1000 milliards de fois plus intense que le champ magnétique terrestre. Ils peuvent produire de fortes éruptions de rayons X et gamma, en plus de sursaut très rapides d'ondes radio, très probablement. J1810 a été découvert en 2003. Il n'existe actuellement dans nos tablettes que 6 magnétars qui émettent des pulses radio et celui-ci était le premier à montrer cette spécificité. Il en avait produit un certain nombre entre 2003 et 2008 puis s'était complètement "éteint" pendant 10 ans. Et en décembre 2018, les radioastronomes l'ont vu réapparaître, avec des pulses intenses. Hao Ding (Swinburne University, Australie) et son équipe l'ont observé une première fois entre janvier et novembre 2019 puis à nouveau entre mars et avril 2020. Ils ont utilisé pour cela le réseau de radiotélescopes VLBA (Very Long Baseline Array) et ont mesuré sa position exacte sur le ciel à 14 reprises sur cette durée totale de 1,3 ans.
Ces nouvelles mesures ont été combinées avec des mesures astrométriques antérieures datant de sa précédente période d'activité en 2006. Cela a permis aux astrophysiciens de raffiner la mesure de la vitesse propre du magnétar et sa position de référence, mais surtout, toutes ces données de position dans le ciel leur ont permis de calculer sa parallaxe, c'est à dire la distance apparente qu'il parcours lorsque la Terre parcourt son orbite autour du Soleil.
En appliquant des règles trigonométriques simples, connaissant parfaitement l'orbite terrestre, on en déduit directement quelle est la distance de l'objet ainsi observé. De telles mesures de parallaxe ne sont bien sûr possibles que pour les objets qui sont relativement proches de la Terre, ce qui induit un mouvement apparent suffisant sur le ciel à 6 mois d'intervalle.
La parallaxe mesurée par Ding et son équipe vaut 0,40 ± 0,05 millisecondes d'arc, ce qui correspond à une distance de 2,5 ± 0,4 kpc, ce qui fait 8150 années-lumière. Il s'agit bien d'un des magnétars les plus proches de la Terre.
On se souvient que le 28 avril dernier a été détecté ce qui ressemble au premier FRB provenant de notre galaxie, d'un magnétar nommé SGR 1935+2154 avec une très grande probabilité. Les caractéristiques des FRB détectés jusque là en provenance de galaxies lointaines indiquent également la possibilité d'une telle origine, du moins dans l'environnement proche d'un magnétar. Il est donc très utile de connaître la distance précise d'un magnétar proche, car cela va permettre aux astrophysiciens de calculer avec autant de précision la puissance des pulses radio qu'ils peuvent produire et si cela est du même ordre de grandeur que les signaux rapides des sursauts des FRB.
La démonstration que l'on peut mesurer la parallaxe d'un magnétar pourrait mener à de nouvelles déterminations de distances précises de ces objets encore exotiques. Le but ultime est bien sûr de déterminer quel est le mécanisme exact qui est à l'origine des sursauts rapides d'ondes radio qui sont encore si mal compris 13 ans après leur première détection.
Les astronomes cherchent aussi la région où est né ce magnétar, c'est à dire un résidu de supernova. Sa position peut différer sensiblement de la position actuelle du magnétar du fait de sa vitesse propre. Or les chercheurs connaissent le vecteur vitesse de J1810 : et il pointe en arrière effectivement vers la région centrale d'un résidu de supernova situé à proximité! (qui porte le doux nom de G11.0−0.0). On serait donc tenté de lier les deux, alors pour le confirmer, Ding et ses collaborateurs tentent de comparer l'âge du magnétar et l'âge du résidu de supernova. Pour ce dernier, c'est relativement aisé, une formule déterminée il y a 50 ans relie la dimension d'un résidu de supernova et l'énergie injectée avec son âge. En l'appliquant, Ding et al. trouvent un âge de 3000 ans environ. Mais pour ce qui concerne l'âge de l'étoile à neutrons magnétisée, c'est une autre paire de manches...
Pour déterminer l'âge des pulsars, on utilise généralement le taux de ralentissement de leur rotation, mais dans le cas de la plupart des magnétars, et c'est le cas ici, le taux de ralentissement observé est très erratique. A tel point qu'en utilisant ce paramètre sur J1810, les chercheurs déduisent un âge qui varie de 11 000 ans à 31 000 ans avec des données réparties sur une dizaine d'année.
Heureusement, Ding et ses collègues connaissent la vitesse propre de J1810, et ils peuvent donc savoir en combien de temps il a parcouru la distance qui le sépare du résidu G11.0−0.0. L'étoile à neutrons fortement magnétisée aurait mis 70 000 ans pour voyager depuis le résidu de supernova pour atteindre sa position actuelle.
Les deux objets ne peuvent donc pas être issus de la même supernova, d'après Hao Ding et ses collaborateurs. Mais les chercheurs n'en restent pas là. Ils estiment que l'alignement presque parfait du vecteur vitesse du magnétar avec la position du résidu de supernova n'est probablement pas une simple coïncidence. Ils proposent un scénario qui se tient : l'étoile progénitrice du magnétar J1810 était en orbite autour d'une autre étoile supergéante dans un système binaire, et elle aurait explosé en supernova il y 70 000 ans en s'expulsant du couple à cette occasion (le résidu magnétar). L'étoile compagne aurait continué sa vie seule puis aurait explosé à son tour il y a 3000 ans, laissant apparaître le résidu G11.0−0.0 visible aujourd'hui.
Les auteurs infèrent que, si les deux compagnes s'étaient formées en même temps, la progénitrice de J1810, celle qui a explosé la première, devait être plus massive que l'autre (plus les étoiles sont massives, plus elles évoluent vite), mais seulement à peine plus massive, l'écart de durée de vie entre les deux étoiles n'étant ici, dans ce scénario, que de 67 000 ans, à comparer avec la durée de vie typique des supergéantes qui est de l'ordre du million d'années.
L'autre scénario est que J1810 et G11.0−0.0 n'ont aucun lien entre eux, la supernova ayant donné naissance à J1810 aurait pu avoir lieu quelque part entre les deux objets, et avoir produit un résidu qui serait déjà dissipé...
De "simples" mesures astrométriques permettent en tous cas de retracer et de raconter de belles histoires avec de nombreuses implications.
Source
A magnetar parallax
H Ding et al.
Monthly Notices of the Royal Astronomical Society (21 august 2020)
Illustration
1) Vue d'artiste d'un magnétar et ses lignes de champ magnétique, produisant une éruption de rayonnement (Sophia Dagnello, NRAO/AUI/NSF)
2) Principe de la mesure de parallaxe sur le magnétar, les échelles ne sont pas respectées bien sûr (Sophia Dagnello, NRAO/AUI/NSF)
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