Le grand réseau de radiotélescopes ALMA n'est pas utilisé seulement pour étudier les galaxies les plus lointaines que l'on connaisse, les systèmes planétaires en formation dans notre galaxie où le disque d'accrétion du trou noir central, il peut aussi être exploité pour étudier des objets du système solaire comme des satellites de Jupiter. Une étude inédite de ce type s'est intéressée aux gaz émanant des nombreux volcans de Io, satellite de Jupiter unique en son genre du fait de son activité volcanique incessante. Une étude acceptée pour publication dans Planetary Science Journal.
Io est le satellite le plus volcanique que nous connaissons, avec ces 400 volcans actifs dont l'énergie provient de la chaleur interne générée par les intenses effets de marée dont Jupiter est responsable. Ce sont ces volcans qui sont à l'origine de la couleur jaune-orangée de la surface de Io, la couleur du soufre. Même si elle est extrêmement fine (1 milliard de fois plus mince que la notre, Io possède une atmosphère, que l'on pense dominée par le dioxyde de soufre craché par les volcans.
Imke De Pater (Université de Californie; Berkeley) et ses collaborateurs ont eu l'idée d'étudier la nature de cette atmosphère grâce aux émissions millimétriques des composés chimiques qui peuvent s'y trouver. ALMA (Atacama Large Millimeter/Submillimeter Array) était l'instrument de choix pour cette étude, fournissant à la fois la résolution spectrale nécessaire (émissions autour de 0,88 mm de longueur d'onde : 5 raies du SO2, et 2 raies du SO) et la résolution spatiale indispensable pour scruter des régions particulières de petit satellite jovien. Les processus qui gouvernent la dynamique de l'atmosphère de Io sont encore très mal connus, le gaz est-il directement émis par les volcans ou bien de l'oxyde de soufre glacé est-il sublimé sur la face éclairée de Io ?
Pour étudier la composition de la fine atmosphère de Io, De Pater et ses collaborateurs ont produit des images du petit satellite lorsque celui-ci entrait ou sortait de l'ombre de Jupiter. En effet, lorsque Io se retrouve dans l'ombre de la géante, et donc en dehors de la lumière directe du Soleil, il devient trop froid pour que le dioxyde de soufre reste sous forme gazeuse, il doit se condenser sur la surface. On peut donc alors voir dans cette configuration uniquement le dioxyde de soufre émanant des volcans en activité. Les chercheurs peuvent ainsi en déduire la part de SO2 de l'atmosphère de Io qui provient de l'activité volcanique.
Pour la première fois, les chercheurs peuvent aussi voir directement des panaches de dioxyde de soufre sortant des volcans de Io, grâce à l'excellente résolution spatiale de ALMA. Ils parviennent à déterminer que les volcans produisent entre 30 et 50% de toute l'atmosphère du satellite. En suivant l'augmentation ou la décroissance de la présence des oxydes de soufre gazeux lorsque Io entre respectivement dans la lumière ou dans l'ombre, De Pater et ses collaborateurs montrent que le monoxyde de soufre est toujours décalé dans le temps par rapport au dioxyde de soufre. Cela donne une indication claire sur l'origine de ce monoxyde de soufre (SO) : il est produit par l'action de la lumière sur la molécule de SO2 par réaction de photolyse, selon les chercheurs, puis est détruit lorsqu'arrive l'ombre, via des réactions avec la surface du satellite, et le cycle recommence à chaque éclipse.
Et les images de ALMA montrent aussi la présence d'un troisième gaz, qui sort des volcans : du chlorure de potassium (KCl), et ce gaz est visible uniquement dans une région (nommée Ulgen Patera) où on ne voit pas de SO ni de SO2. De Pater et ses collaborateurs en déduisent que les réservoirs de magma doivent être différents sous différents volcans...
En étudiant l'atmosphère de Io et son activité volcanique, on explore non seulement la composition de ses couches internes mai aussi le processus de leur échauffement par effet de marée. Une des autres grandes inconnues, c'est la température des couches basses de l'atmosphère de Io. De Pater et ses collaborateurs ont bon espoir de pouvoir la mesurer encore avec ALMA, mais ils ont besoin pour cela d'une plus grande résolution ce qui implique une durée d'observation plus grande, et donc de le faire durant les phases où Io est éclairé, et non plus seulement sur les périodes courtes juste avant ou juste après son entrée ou sa sortie de l'ombre. Et le problème qui se pose alors c'est que sur une période longue, Io va tourner sur lui-même de plusieurs dizaines de degrés, ce qui impose le développement d'algorithmes de traitement des images un peu perfectionnés pour déflouter les images obtenues.
Io nous révèle sa complexité grâce à la dynamique de la composition de son atmosphère. Et ce n'est qu'un début.
Source
ALMA Observations of Io Going into and Coming out of Eclipse
Imke de Pater et al.
Accepté pour publication dans Planetary Science Journal
Illustrations
1) Image de Io en infra-rouge par la sonde Juno, où l'on peut voir les volcans actifs (NASA / JPL-Caltech / SwRI / ASI / INAF /JIRAM / Roman Tkachenko)
2) Image de l'émission associée au chlorure de potassium sur Io obtenue avec ALMA (De Pater et al.)
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