Un duo de cosmologistes vient de proposer une idée très intéressante pour amoindrir considérablement la tension qui existe sur la valeur de la constante de Hubble-Lemaître H0, et qui a pour effet secondaire de faire quasi disparaître d'autres petites tensions existantes sur deux autres paramètres du modèle cosmologique, et de fournir en plus une explication naturelle pour l'existence des champs magnétiques des galaxies et des amas de galaxies. Une étude publiée dans Physical Review Letters.
Comme vous le savez, les paramètres du modèle cosmologique standard ⋀CDM qui sont déduits des données du fond diffus cosmologique (CMB) donnent une valeur de la constante de Hubble-Lemaître H0 qui ne correspond pas avec la valeur qui est déduite à partir de mesures de distances et de vitesses plus locales : 67,36 km/s/Mpc pour les mesures du fond diffus par Planck contre 73,5 km/s/Mpc pour les mesures sur les supernovas ou les mesures de délais temporels de lentilles gravitationnelles de quasars. Cette grosse différence forme ce qu'on appelle avec euphémisme une tension entre les différents types d'observation. C'est l'un des plus gros problèmes en cosmologie aujourd'hui.
Et le meilleur ajustement du modèle standard sur les données de Planck montre également deux autres paramètres qui sont légèrement discordants avec ce qui est déduit des données du grand relevé galactique Dark Energy Survey publié récemment : les paramètres que sont l'amplitude d'agrégation galactique, nommé S8, et la densité de matière relative Ωm. Ces tensions sont en revanche beaucoup moins flagrantes que celle sur H0 : pour Planck on a S8= 0,832 ± 0,013 et Ωm = 0,315 ± 0,007 et pour DES, on a S8= 0,783 ± 0,025 et Ωm = 0,264 ± 0,03, donc des barres d'incertitudes qui se touchent presque, ce qui n'est pas du tout le cas pour H0.
Ce que montrent Karsten Jedamzik (Université de Montpellier) et Levon Pogosian (Université Simon Frasier, Burnaby, Canada) dans leur article, c'est qu'il est possible de faire beaucoup mieux coïncider ces trois différents paramètres en tension entre les différentes observations. Il suffit pour cela d'ajouter une contribution modeste dans l'Univers d'avant la recombinaison et l'émission du fond diffus : des inhomogénéités à petite échelle dans la densité de baryons. En ajoutant cela, la valeur de H0 déduite du fond diffus doit nécessairement être plus élevée. Par ailleurs S8 et Ωm doivent être légèrement plus faibles, jusqu'à devenir tout à fait cohérentes avec les valeurs déduites des observations du relevé DES.
Et comment peut-on produire des inhomogénéités à petite échelle dans la densité de baryons de l'Univers primordial ? C'est là l'idée géniale des deux cosmologistes : en considérant qu'il existe un tout petit champ magnétique "primordial" dans le plasma avant la recombinaison des électrons avec les protons.
Un tel champ magnétique primordial de l'ordre de 0,1 nanoGauss peut produire, selon les deux chercheurs, des inhomogénéités baryoniques sur des échelles du kiloparsec. Ces inhomogénéités n'affectent pas directement les anisotropies de température du fond diffus cosmologique mais influent sur l'histoire de l'ionisation du plasma et donc sur l'époque de la recombinaison. Dans ce concept d'un univers un peu plus inhomogène, le taux de recombinaison moyen se retrouve augmenté et donc la recombinaison est alors complète un peu plus tôt que ce que l'on pense. Une recombinaison plus précoce signifie un horizon acoustique plus petit, or un tel horizon plus petit impliquerait un décalage des pics dans le spectre de puissance du fond diffus cosmologique si H0 valait bien 67,36 km/s/Mpc, mais ces pics peuvent aussi rester là où il sont effectivement observés tout simplement si on donne à H0 une valeur un peu plus élevée. La valeur de H0 qu'obtiennent Jedamzik et Pogosian à partir des données de Planck pour un champ magnétique primordial de 0,1 nG est de 71,03 ± 0,74 km/s/Mpc dans le meilleur des cas, donc beaucoup plus proche des valeurs de H0 mesurées localement sur les supernovas ou autres. Quant à S8 et Ωm , les valeurs obtenues valent respectivement 0,809 ± 0,012 et 0,2873 ± 0,0064, autant dire tout à fait compatibles avec les valeurs déduites du relevé galactique DES.
Et l'intensité de 0,1 nG que devrait avoir ce champ magnétique primordial pour effacer en grande partie les tensions sur les paramètres clé du modèle standard, permet, en plus, selon Jedamzik et Pogosian, d'expliquer l'intensité des champs magnétiques qui sont visibles aujourd'hui au niveau des amas de galaxies et des galaxies elles-mêmes, et même des protogalaxies, des champs magnétiques de l'ordre du microGauss et dont l'origine est toujours insaisissable... Cela pourrait ressembler à une superbe coïncidence, ou pas...
Mais alors d'où proviendraient ces champs magnétiques primordiaux qui seraient à l'origine d'inhomogénéités baryoniques induisant un mauvais calcul de H0 et d'autres paramètres à partir du CMB ? Les auteurs évoquent plusieurs origines possibles : ils pourraient avoir été générés soit dans des transitions de phase de l'Univers primordial, soit durant l'inflation, ou bien à la fin de l'inflation, dans tous les cas bien avant l'émission du fond diffus cosmologique, 380 000 ans avant.
Jedamzik et Pogosian concluent leur article en précisant que des futures missions dédiées à la cosmologie observationnelle comme PIXIE (Primordial Inflation eXplorer) qui va explorer les distorsions spectrales du CMB ou les futures générations de télescopes mesurant la polarisation du fond diffus comme PICO (Probe of Inflation and Cosmic Origins) ou CMB-S4, devraient être en mesure de détecter des signes de champs magnétiques primordiaux de l'ordre de 0,1 nG...
Source
Relieving the Hubble Tension with Primordial Magnetic Fields
Karsten Jedamzik and Levon Pogosian
Phys. Rev. Lett. 125, 181302 (28 October 2020)
Illustration
Contours comparés pour les paramètres S8 en fonction de Ωm et S8 en fonction de H0 ; les résultats issus de Planck sont en rose, les résultats de cette étude sont en vert et rouge (deux variantes) et les résultats de DES en gris (Karsten Jedamzik and Levon Pogosian)
1 commentaire :
Voilà qui devrait attirer l'attention des cosmologistes et les détendre en même temps. Il est assez extraordinaire que , selon le résumé, "L'intensité de champ requise pour résoudre la tension de Hubble est exactement ce qui est nécessaire pour expliquer l'existence de champs magnétiques galactiques, d'amas et extragalactiques sans compter sur une amplification dynamo"
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