Plus de 5000 exoplanètes ont été détectées à ce jour et plusieurs milliers attendent sagement d'être confirmées. Ce grand nombre a permis de faire des études statistiques sur la population des planètes. Il est notamment apparu qu'il existait un gap dans la taille de ces exoplanètes à 1,9 rayons terrestres, séparant les "superTerres" de rayon inférieur et les "miniNeptunes" de rayon supérieur. Des chercheurs chinois ont voulu savoir si les propriétés des étoiles pouvaient influer sur cet intervalle séparant les deux types de planètes. Ils publient leurs résultats dans The Astronomical Journal.
Les spécialistes appellent ça la "vallée du rayon", car elle représente effectivement un creux dans la distribution du rayon des exoplanètes aux alentours de 1,9 R⊕. En dessous on trouve les planètes rocheuses compactes et au dessus les mini-Neptunes gazeuses de plus faible densité. Jusqu'à présent, un certain nombre de modèles théoriques ont été proposés pour expliquer l'existence de la vallée du rayon. Ces modèles peuvent être divisés en deux catégories : les modèles évolutionnistes et les modèles primordiaux. Dans les modèles évolutionnistes, la vallée du rayon est le résultat de l'évolution de la distribution du rayon planétaire due à la perte de l'atmosphère après la formation de la planète. La source d'énergie qui conduit le processus de perte d'atmosphère pourrait provenir soit de l'extérieur de la planète, c'est-à-dire du rayonnement à haute énergie de l'étoile hôte (le mécanisme de photoévaporation, qui a été proposé dès 2013 par Owen & Wu), soit de l'intérieur de la planète, c'est-à-dire via le refroidissement du noyau de la planète (proposé par Ginzburg et al. en 2016). Dans les modèles primordiaux, la vallée du rayon est un résultat naturel de la formation et de la migration des planètes. Certaines études (Zeng et al. 2019 ; Venturini et al. 2020) ont suggéré que la vallée a émergé en raison de la formation de deux populations de planètes distinctes avec deux compositions de noyau différentes, c'est-à-dire des super-Terres avec des noyaux rocheux qui se sont probablement formés in situ, et des mini-Neptunes avec des noyaux riches en eau/glace qui se sont probablement formés au-delà des lignes de glace mais ont migré vers les orbites actuelles.
Di-Chang Chen (Université de Nanjing) et ses collaborateurs ont voulu mieux caractériser la morphologie de la vallée du rayon et sa corrélation avec les propriétés stellaires, afin d'apporter des pistes sur le mécanisme à l'origine de cette différentiation, et plus généralement sur la formation et l'évolution des planètes.
Est-ce que l'âge et la métallicité d'une étoile produit un effet sur la dichotomie entre les deux types de planètes ? Comment évolue le rayon moyen de chaque sous population de planètes en fonction des caractéristiques de leur étoile ? Pour répondre à ces questions, les chercheurs chinois ont exploité le catalogue LAMOST-Gaia-Kepler, pour effectuer une investigation systématique sur la façon dont la morphologie de la vallée du rayon varie en fonction de plusieurs paramètres des étoiles qui abritent ces planètes : leur appartenance au disque galactique mince ou épais, leur âge, et leur abondance en éléments lourds (métallicité), l'abondance relative en fer par rapport à l'hydrogène ([Fe/H] et l'abondance d'éléments α par rapport au fer [α/Fe]) (calcium, magnésium, silicium, titane).
Des études statistiques menées depuis 2017 avaient déjà trouvé quelques corrélations intéressantes :
le milieu de la vallée a été trouvé corrélé positivement avec la masse de l'étoile et corrélé négativement avec la période orbitale des planètes. D'autre part, les mini-Neptunes semblent aussi plus grandes et la vallée du rayon plus large autour des étoiles plus riches en métaux. Enfin, le ratio du nombre de superTerres sur le nombre de miniNeptunes est corrélé positivement avec l'âge des étoiles.
Chen et ses collaborateurs ont travaillé sur un catalogue du télescope Kepler comportant 1060 planètes. Après sélection pour ne conserver que les étoiles dont on disposait de toutes les informations utiles (la métallicité notamment), et les planètes qui se trouvaient proches de la vallée du rayon (entre 1et 6 R⊕), mais aussi avec une période orbitale comprise entre 1 et 100 jours), il ne leur restait plus que 446 étoiles abritant 621 planètes : 266 superTerres (1 à 1,7 R⊕), 238 miniNeptunes (entre 2,1 et 3,5 R⊕), 47 Neptunes (3,5 à 6 R⊕) et 70 dans la vallée du rayon (entre 1,7 et 2,1 R⊕).
Les analyses statistiques que l'équipe de Chen a menées avec ce gros échantillon sur les corrélations existantes entre la morphologie de la vallées du rayon (sa largeur, sa profondeur, ...) et les paramètres d'appartenance au disque galactique, d'âge des étoiles, de leur métallicité et de leur abondance en éléments lourds montrent plusieurs choses : il n'y a pas de corrélation entre la vallée du rayon et le type de disque galactique auquel appartient l'étoile. En revanche, plusieurs corrélations sont trouvées :
1. Le contraste et l'asymétrie de la vallée du rayon (le rapport entre le nombre de super-Terres et de mini-Neptunes) augmentent avec l'âge des étoiles. La fraction de planètes de la taille de Neptune et les rayons moyens des planètes au-dessus de la vallée du rayon (entre 2,1 et 6 R⊕) diminuent avec l'âge stellaire, tandis que les rayons moyens des planètes en dessous de la vallée du rayon (<1,7 R⊕) ne montrent aucune dépendance significative avec l'âge.
2. Concernant la dépendance à la métallicité [Fe/H], le contraste de la vallée du rayon (i.e, sa profondeur) augmente, tandis que l'asymétrie (le rapport en nombre de super-Terres et de sub-Neptunes) diminue avec [Fe/H]. Les chercheurs chinois constatent que la fraction de planètes de la taille de Neptune et les rayons moyens des planètes au-dessus de la vallée du rayon (entre 2,1 et 6 R⊕) augmentent avec la métallicité [Fe/H], tandis que les rayons moyens des planètes en dessous de la vallée du rayon (< 1,7 R⊕) restent globalement inchangés.
3. Concernant la dépendance aux éléments α, Chen et son équipe constatent que l'asymétrie de la vallée diminue avec [α/Fe].
Ces différentes corrélations indiquent une certaine évolution temporelle à long terme de la vallée du rayon. Selon Chen et ses collègues, cette évolution soutient les modèles dits évolutionnistes, dans lesquels le rayon des planètes décroît par la perte de masse atmosphérique due à la photoévaporation ou au refroidissement des noyaux planétaires. Ils précisent que cause principale serait la perte atmosphérique planétaire par photoévaporation sur des échelles de temps de plusieurs milliards d'années, et qu'elle serait par la suite renforcée par l'effet combiné du refroidissement du noyau. La dépendance de la distribution du rayon des planètes vis à vis de leur âge fournit également des contraintes sur l'évolution thermodynamique des planètes, ainsi qu'un aperçu des compositions planétaires. Selon Chen et al., les planètes situées au-dessus de la vallée du rayon (entre 2,1 R⊕ et 6 R⊕) devraient être constituées d'une enveloppe H/He importante, tandis que celles situées au-dessous de la vallée du rayon (entre 1 R⊕ et 1,7 R⊕) sont probablement des noyaux rocheux nus. La dépendance de la distribution du rayon par rapport à la métallicité suggère quant à elle que non seulement le fer mais aussi d'autres éléments métalliques (Mg, Si, Ca, Ti, etc.) jouent un rôle important dans la formation et l'évolution des superTerres et des miniNeptunes.
Source
Morphology of the Planetary Radius Valley as a Function of Stellar Age and Metallicity in the Galactic Context Revealed by the LAMOST-Gaia-Kepler Sample
Di-Chang Chen et al.
The Astronomical Journal, Volume 163, Number 6 (5 may 2022)
Illustrations
1. Vue d'artiste d''une population d'exoplanètes (ESA/Hubble, N. Bartmann)
2. La vallée du rayon centrée sur 1,9 rayons terrestres (Kruijssen et al. ApJL 2020)
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