Il existe plus de 200 lunes dans le système solaire, mais aucune n'est comparable à Io, la troisième plus grande des 80 lunes de Jupiter. Io est volcanique. Elle est parsemée de centaines de puissants volcans actifs, qui sont alimentés par l'échauffement intense de ses couches internes provoqué par les effets de marée induits par le champ gravitationnel de Jupiter. Un duo d'astronomes s'est penché sur l'origine de ce magma qui peut en dire long sur l'intérieur de Io, ils publient leur étude dans The Planetary Science Journal.
Yoshinori Miyazaki et David Stevenson (Caltech) ont cherché à comprendre si le magma éjecté par les volcans de Io est issu d'un noyau rocheux partiellement en fusion, ou bien si il pouvait exister un océan de magma liquide sous une fine croûte de 30 km d'épaisseur environ. Il faut dire que cette question fait l'objet d'un débat animé depuis de nombreuses années. Miyazaki et Stevenson ont réexaminé les données provenant du magnétomètre de la sonde Galileo de la NASA, qui a tourné autour de Jupiter pendant huit ans à partir de 1995. Ces données d'induction magnétique indiquent que Io comprend une couche supérieure de 50 km d'épaisseur environ qui, selon les spécialistes, doit être fondue ou partiellement fondue. Les planétologues ont suggéré que Io possédait soit un océan magmatique souterrain, soit une sorte de manteau externe spongieux et rocheux saturé de magma. Pour trancher entre ces deux possibilités, Miyazaki et Stevenson ont calculé la quantité de chaleur nécessaire dans un cas et dans l'autre et ont comparé la valeur obtenue avec la chaleur produite par les effets de marée produits par les variations orbitales de Io autour de Jupiter et à des estimations de la température du manteau obtenues via l'analyse des volcans de Io, qui peuvent cracher du magma jusqu'à des centaines de kilomètres dans son atmosphère sulfureuse.
Les chercheurs arrivent à la conclusion qu'il s'agirait d'un océan de magma liquide, la température au sommet du manteau devant être de 1800 K. Or, ils montrent que cette température est trop basse pour supporter un intérieur rocheux spongieux. Io aurait en effet besoin de beaucoup de chaleur pour rester constamment spongieux dans son manteau supérieur. De manière contre-intuitive, sans chaleur suffisante, la roche spongieuse se sépare, la roche coule au fond et le magma monte vers le sommet. La quantité de chauffage interne serait donc insuffisante pour maintenir un haut degré de fusion. Par conséquent, pour les deux chercheurs, il devrait exister non pas un noyau spongieux parsemé de poches de magma, mais bel et bien tout un océan de magma liquide qui surnage au dessus d'un noyau rocheux, coincé sous la croûte. Et cette croûte se trouve percée dans des dizaines d'endroits, donnant lieu aux volcans qui sont visibles à la surface de Io. Les compositions d'un tel océan magmatique et de la couche de fusion partielle sont probablement différentes, mais des données plus précises de pétrologie seraient nécessaires pour en délimiter les détails, selon les planétologues.
Nous devrions en savoir bientôt plus sur la réalité de cette analyse car la sonde Juno, qui est arrivée autour de Jupiter en 2016, va survoler Io en 2023 et 2024, notamment pour mesurer la rigidité ou de l'absence de rigidité du satellite, ce qu'on appelle le nombre de Love. Si le nombre de Love est de l'ordre de 0,5, nous pourrons dire avec plus de certitude qu'il y a bien un océan de magma sous la surface de Io. En revanche, il suffirait que la valeur soit plus élevée de 0,1 pour que le signal d'induction mesuré par le magnétomètre de Galileo soit remis en question : ce fort signal d'induction pourrait simplement résulter d'une interaction de plasma dans l'atmosphère de Io. Dans ce cas, la fraction de matière fondue est susceptible d'être inférieure à 20% à l'intérieur de Io, et une couche de magma liquide serait absente.
Par ailleurs, certains astrobiologistes préconisent aussi depuis longtemps une recherche approfondie de la vie sur des corps chauds comme Io. Si un océan magmatique est suffisamment isolé par la croûte (en dehors des centaines de volcans qui la parsèment), plusieurs régions devraient conserver un potentiel d'évolution biologique, à l'image de ce qu'on observe sur Terre à proximité des sources magmatiques volcaniques... Mais c'est une toute autre histoire et Juno ne nous sera d'aucune aide pour investiguer ce potentiel lors de ces survols.
Source
A Subsurface Magma Ocean on Io: Exploring the Steady State of Partially Molten Planetary Bodies
Yoshinori Miyazaki and David J. Stevenson
The Planetary Science Journal, Volume 3, Number 11 (16 november 2022)
Illustrations
1. Io, imagée par Galileo en 1999 (NASA/JPL/Galileo Project)
2. Schéma des deux modèles possibles pour expliquer l'intérieur de Io (Miyazaki and Stevenson)
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