Le télescope Webb vient de permettre une mesure très importante : la mesure de la luminosité d'étoiles Céphéides dans une galaxie où avait observée une supernova. C'est le moyen utilisé pour calibrer les échelles de distance pour la détermination précise de la constante de Hubble-Lemaitre. Jusqu'à aujourd'hui c'est le télescope Hubble qui était utilisé. Et comme on obtenait une valeur de H0 en tension avec la valeur issue des mesures du fond diffus cosmologique (CMB), on pouvait légitimement mettre en question le télescope Hubble lui-même et ses mesures de Céphéides. Nous avons maintenant deux instruments indépendants pour cette mesure. Et devinez ce que Webb trouve ? L'étude est parue dans The Astrophysical Journal Letters.
Pour rappel, une étoile de type Céphéide est une étoile géante jaune qui produit une pulsation dont la période (typiquement entre 1 et 130 jours) est proportionnelle à sa luminosité intrinsèque moyenne. En mesurant sa pulsation, on en déduit sa luminosité intrinsèque et en mesurant sa luminosité dans le télescope, on en déduit donc directement sa distance. La relation existant entre pulsation et luminosité des Céphéides, dont l'étoile prototype qui leur a donné ce nom est Delta Cephei, a été découverte par l'astronome américaine Henrietta Leavitt dans les années 1910 puis le calibrage a ensuite été produit par Harlow Shapley en 1916 sur des Céphéides du Grand Nuage de Magellan pour lesquelles ont pouvait mesurer la distance précise par parallaxe. On pouvait alors connaître leur luminosité intrinsèque et la relier à leur période de pulsation.
Ensuite, lorsqu'une supernova, dont la forme de la courbe de luminosité dépend également de sa luminosité intrinsèque, explose dans la même galaxie que là où on a pu mesurer des Céphéides, on peut obtenir un calibrage de la fonction de luminosité intrinsèque des supernovas, ce qui permettra ensuite, de la même façon, de les utiliser dans d'autres galaxies beaucoup plus lointaines comme étalons de distance sans n'avoir plus besoin des Céphéides. Ne reste plus alors qu'à comparer le redshift (décalage vers le rouge) de la galaxie hôte de la supernova lointaine, qui donne la vitesse de récession, avec la valeur de distance mesurée via la courbe de lumière de la supernova calibrée avec des Céphéides pour en déduire la constante de Hubble-Lemaitre. La mesure précise de la distance d'étoiles Céphéides est donc un échelon essentiel dans ces mesures de l'échelle des distances cosmiques.
Wenlong Yuan (université Johns Hopkins) et ses collaborateurs ont analysé les images obtenues avec Webb de la galaxie NGC 1365, qui était la galaxie hôte de la supernova SNIa 2012fr. Comme prévu, les observations à haute résolution avec NIRCam montrent une meilleure séparation des sources parasites qui se trouvent très proches de ligne de visée que ce que donnaient les images du télescope spatial Hubble à des longueurs d'onde similaires, dans le proche infrarouge. Les chercheurs ont utilisé la région spectrale la plus efficace pour atténuer l'impact de la poussière sur les mesures de luminosité des étoiles Céphéides.
Yuan et son équipe ont mesuré avec Webb 31 Céphéides précédemment connues dont 24 qui ont une période longue. Ils ont comparé les relations période-luminosité (P-L) résultantes avec celles de 49 Céphéides observées avec Hubble dans toute la gamme de périodes, dont 38 dans l'intervalle de périodes plus longues. Et Yuan et ses collaborateurs trouvent que la relation P-L mesurée par Webb est en bon accord avec celle obtenue avec Hubble. Pour une période de 10 jours (log(P)=1), la luminosité mesurée est de 25,74 ± 0,04 et 25,72 ± 0,05 mag pour Hubble et Webb, respectivement. Lorsque sont prises en compte des Céphéides à période plus longue et à rapport signal/bruit plus élevé, les chercheurs trouvent 25,75 ± 0,05 et 25,75 ± 0,06 mag pour Hubble et Webb, respectivement.
La conclusion est sans appel : il existe une très bonne cohérence entre les deux télescopes spatiaux et il n'y a aucune preuve que la photométrie des Céphéides obtenue avec le télescope Hubble soit biaisée au niveau de ∼0,2 mag, un défaut qui aurait pu exister qui aurait permis d'expliquer la tension sur les mesures de la constante de Hubble-Lemaître effectuées par cette méthode.
Dans le futur, d'autres populations de Céphéides dans des galaxies hôtes de supernovas devraient être observées avec Webb pour améliorer la précision de leur relation Période-Luminosité.
Source
A First Look at Cepheids in a Type Ia Supernova Host with JWST
Wenlong Yuan et al.
The Astrophysical Journal Letters, Volume 940, Number 1 (24 november 2022)
Illustration
Relation période-luminosité des Céphéides mesurée avec Hubble et Webb pour des périodes de pulsation comprises entre 22 et 50 jours (Yuan et al.)
7 commentaires :
Bonjour Eric,
vous écrivez: 3...puis le calibrage a ensuite été produit par Harlow Shapley en 1916 sur des Céphéides du Grand Nuage de Magellan pour lesquelles ont pouvait mesurer la distance précise par parallaxe."
Il était tout de même impossible de mesurer une différence de parallaxe aussi loin!
Est-ce que vous ne vouliez pas dire: Calibrer les céphéides entre elles? Trouver le rapport entre la luminosité et la période?
non, le rapport luminosité/période relatif, c'est Henrietta Leavitt. Shapley a réussi à déterminer ensuite des distances par de mesures de variations angulaires de type mesures de parallaxe, qui ont donné la luminosité intrinsèque des Céphéides.
Ok!
Etes-vous bien d'accord que le nuage de Magellan était trop loin?
Ce qui serait possible alors, c'est que Shapley a trouvé quelques céphéides parmi le bon millier d'étoiles dont il pouvait mesurer une parallaxe.
Et du coup, mettre une mesure concrète au rapport luminosité/période d'Henrietta Leavitt.
???
Si c'est juste, à part les étoiles du nuage de Magellan, Henrietta n'avait pas beaucoup de choix pour trouver une collection d'étoiles à une distance ~égale.
Bonsoir Youx
1 Comme il a été dit, H Leavitt a découvert la relation période luminosité des céphéides du PNM et du GNM, censées se trouver respectivement à la même distance, qui demeurait, elle, incertaine
2 Hertzsprung, puis Shapley, ont étalonné cette relation en mesurant la distance de quelques céphéides galactiques, bien plus proches ; aucune n'était malgré cela accessible à une mesure de la parallaxe annuelle, ils ont utilisé la méthode, récente dans les années 1910, de la parallaxe séculaire ou statistique, utilisant le mouvement propre du soleil vers l'apex (environ 20 km/s).
Merci pour ces précisions.
Comme ça, c'est compréhensible.
La méthode de la parallaxe séculaire devait être très approximative:
Une étoile ayant un mouvement propre inverse était considérée comme deux fois trop près!
En effet, d'où le qualificatif de statistique pour la méthode: si j'ai bien compris, il faut considérer une collection d'étoiles relativement proches du soleil, de mouvements propres variés, dont la moyenne est présumée presque nulle, et de même magnitude absolue (ici, des cépheides classiques de même période). Shapley a obtenu une relation magnitude apparente / magnitude absolue pour les cépheides de champ, et l'a appliquée aux cépheides de Leavitt du PNM.
Par la suite cet étalonnage de la relation période / luminosité lui a permis d'estimer la distance d'amas globulaires (donc en ordre de grandeur la taille de la Galaxie), puis à Hubble celle de nébuleuses spirales proches, mais c'est une autre histoire...
Merci Pascal 😃
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