vendredi 10 février 2023

Découverte d'un anneau trop éloigné autour d'une planète naine


Quaoar est une planète naine de 555 km de rayon qui navigue au delà de l'orbite de Neptune. Des chercheurs ont découvert que cette planète naine était entourée d'un anneau très mince, grâce à des observations indirectes de l'atténuation d'étoiles d'arrière-plan. Mais cet anneau apparaît trop éloigné de la planète naine par rapport à la théorie... L'étude est parue cette semaine dans Nature.

L'éloignement inhabituel de de ce mince anneau risque de susciter des spéculations sur la façon dont le matériau de l'anneau a évité de s'agglutiner pour former des lunes. Les anneaux planétaires sont des disques contenant de nombreux petits morceaux de glace et d'autres matériaux et la plupart des anneaux se trouvent à une distance critique de leur planète, connue sous le nom de limite de Roche, en deça de laquelle l'attraction gravitationnelle de la planète empêche le matériau de s'accumuler dans des objets. Mais Bruno Morgado (université de Rio de Janeiro) et ses collaborateurs montrent que l'anneau de Quaoar ne suit pas cette règle : il se situe bien en dehors de la limite de Roche de Quaoar. Toutes les planètes géantes (Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune) sont entourées d'anneaux. Des anneaux fins ont également été trouvés autour de deux autres corps non planétaires du système solaire externes : Chariklo et Haumea, en 2014 et 2017 respectivement. L'anneau découvert aujourd'hui par Morgado et ses collègues autour de Quaoar est trop petit et trop mince pour être détecté directement. Les auteurs ont utilisé plusieurs télescopes pour surveiller la luminosité des étoiles lorsque Quaoar passait devant elles, dont le Gran Telescopio Canarias de 10,4 m à La Palma, et son imageur hypersensible HiPERCAM. Le matériau de l'anneau autour de Quaoar a provoqué une baisse temporaire de la luminosité apparente des étoiles d'arrière plan, avec des creux de formes et d'intensités différentes, indiquant que l'opacité de l'anneau varie sur sa longueur. Des variations similaires ont d'ailleurs été observées dans les anneaux de Saturne et Neptune. Cependant, la position de l'anneau de Quaoar est très différente de celle de tout anneau comparablement opaque, et il  pose un défi aux modèles standard d'anneaux planétaires.
Les anneaux qui ont une opacité suffisante pour bloquer des quantités détectables de lumière stellaire doivent être suffisament denses pour que leurs particules constitutives entrent en collision avec des particules voisines sur des échelles de temps comparables à leurs périodes orbitales (de quelques heures à quelques jours). En principe, ces collisions pourraient faire en sorte que les particules se collent les unes aux autres, rebondissent les unes sur les autres ou se brisent – ​​le collage étant plus probable pour les collisions à faible vitesse et la fragmentation plus probable pour les collisions à plus grande vitesse. Mais comme toutes ces collisions dissipent de l'énergie, les vitesses relatives des particules en collision ont naturellement tendance à diminuer avec le temps. Si rien ne contrecarre cette tendance, les collisions finissent par devenir suffisamment lentes pour que le matériau de l'anneau s'agrège en objets plus grands, tels que des lunes. Pour la plupart des anneaux denses, les différences d'attraction gravitationnelle de la planète empêchent le matériau de l'anneau de s'assembler en lunes. Les particules à différentes distances de la planète sont en effet soumises à différentes forces gravitationnelles, ce qui les amène à orbiter à des vitesses différentes. Ces variations locales du champ gravitationnel deviennent d'autant plus importantes qu'on se rapproche du corps central. Et à l'intérieur de la limite de Roche, de telles variations sont suffisamment fortes pour submerger l'attraction gravitationnelle mutuelle entre des objets proches les uns des autres, les déchirant.
Ce n'est pas un hasard si tous les anneaux denses connus jusqu'à présent se situent à proximité ou dans la limite de Roche pour les objets avec des densités comparables à celle de la glace d'eau poreuse. Mais l'anneau découvert par Morgado et ses collaborateurs se trouve à 4 100 kilomètres du centre de Quaoar, alors que sa limite de Roche est à 1780 km, en supposant que la densité des particules de l'anneau est également celle de la glace poreuse (0,5 g/cm3). 
Nous avons donc besoin d'une autre explication pour expliquer pourquoi ce matériau ne s'est pas agrégé en une lune. Morgado et son équipe ont envisagé diverses explications possibles de l'existence de l'anneau de Quaoar. La première est que l'anneau serait constitué de débris qui ont été libérés lors d'un impact sur un satellite préexistant et n'ont pas eu suffisamment de temps pour se réaccréter. Mais les auteurs soulignent qu'il ne faudrait que quelques décennies pour que le matériel se réassemble dans une lune, ce qui rend cette option peu probable. Ils ont donc examiné plusieurs processus qui pourraient empêcher le matériau des anneaux de s'accumuler dans des lunes si éloignées de Quaoar. Un scénario est que le matériau de l'anneau est plus élastique qu'on ne le pense généralement, ce qui rend les particules plus susceptibles de rebondir que de se coller. Une autre est que les particules annulaires sont soumises à des perturbations gravitationnelles externes qui maintiennent leurs vitesses de collision suffisamment élevées pour empêcher l'agrégation. De telles perturbations pourraient provenir d'asymétries dans le champ gravitationnel de Quaoar ou bien de son petit satellite Weywot de 80 km de rayon qui orbite à une distance de 13200 km de Quaoar (l'anneau se situe à 4070 km de Quaoar), voire de lunes encore non découvertes en orbite au delà de l'anneau. Cette dernière option est intéressante, car un phénomène similaire pourrait se produire dans l'anneau dense le plus externe entourant Saturne, l'anneau F. Celui-ci se situe entre les orbites des satellites Prometheus et Pandora, et se trouve donc dans une région où les lunes peuvent exister. Mais Prometheus et Pandora perturbent également fortement la structure de l'anneau F, et ces perturbations pourraient empêcher le matériau de l'anneau F de s'accréter dans une autre lune. L'anneau rapporté par Morgado et ses collègues ne défie pas seulement les modèles actuels d'anneaux planétaires ; il révèle également que les particules solides ne peuvent pas toujours s'agréger en corps plus grands aussi rapidement qu'on pourrait s'y attendre. Cela pourrait avoir des implications sur la rapidité avec laquelle d'autres objets solides ont été assemblés dans des conditions différentes.
De futures observations de l'anneau de Quaoar pourraient permettre de déterminer les mécanismes spécifiques responsables de son existence. Si l'anneau est une structure transitoire, il devrait progressivement disparaître au fur et à mesure que son matériau se réagrège. Mais si l'anneau a une longue durée de vie, les variations d'opacité sur sa longueur pourraient être suivies au fil du temps pour contraindre la vitesse à laquelle le matériau de l'anneau orbite autour de Quaoar. Par exemple, la période orbitale du matériau de l'anneau pourrait s'avérer être un simple multiple de la période de rotation de Quaoar ou de la période orbitale de Weywot, ce qui serait une preuve que les perturbations de ces corps jouent un rôle dans la sculpture et le maintien de l'anneau. Les futures observations seront donc aussi nécessaires pour cerner la forme de Quaoar et les éléments orbitaux de Weywot, afin de mieux contraindre les emplacements et les forces des résonances qui peuvent interagir avec l'anneau de Quaoar. 
L'anneau de Quaoar est le troisième exemple d'un anneau dense autour d'un petit corps trouvé dans le système solaire, après Chariklo et Haumea, suggérant que d'autres attendent encore d'être découverts. La grande distance de cet anneau de Quaoar signifie que l'idée classique selon laquelle les anneaux denses ne survivent qu'à l'intérieur de la limite de Roche d'un corps planétaire doit être révisée.


Source

A dense ring of the trans-Neptunian object Quaoar outside its Roche limit
Bruno Morgado et al.
Nature volume 614, pages 239–243 (8 february 2023)


Illustration

Vue d'artiste de Quaoar est son anneau (Instituto de Astrofísica de Andalucia)

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