Pour la première fois, des astrophysiciens ont mesuré directement la masse d'une étoile naine blanche isolée, grâce à l'effet de lentille gravitationnelle qu'elle produit. Cette observation unique effectuée avec le télescope Hubble permet d'obtenir un aperçu de la structure et de la composition des naines blanches. L'étude est publiée dans les Monthly Notices of the Royal Astronomical Society.
Les naines blanches à noyau de carbone-oxygène constituent le stade final de l'évolution de la grande majorité des étoiles de moins de 8 masses solaires. On s'attend à ce qu'elles soient constituées principalement d'un noyau dégénéré en électrons, entouré d'une fine enveloppe d'hydrogène et d'hélium non dégénérés. Leur nature principalement dégénérée signifie que l'on s'attend à ce qu'elles suivent une relation masse-rayon particulière au cours de leur évolution et de leur refroidissement. Cette relation pour les naines blanches est importante pour de nombreux domaines de l'astrophysique. On s'y fie généralement pour calculer la masse des naines blanches à partir de données photométriques ou spectroscopiques, ainsi que la limite supérieure de masse des naines blanches (1,4 𝑀☉), qui sous-tend notre compréhension des progénitrices des supernovas de type Ia. De plus, elle est aussi vitale lorsqu'on utilise des naines blanches en train de refroidir pour dater les populations stellaires, par exemple dans les amas globulaires.
Selon une approximation de premier ordre, dans une naine blanche, la force de gravité vers l'intérieur est équilibrée par la pression vers l'extérieur du gaz dégénéré d'électrons, ce qui fait que le rayon d'une naine blanche est inversement proportionnel à la racine cubique de sa masse, ce qu'avait montré Chandrasekhar en 1935. Plus une naine blanche est massive, plus elle est petite, et donc plus elle est dense. Aujourd'hui, des modèles détaillés de refroidissement évolutif incluant des compositions spécifiques du noyau dégénéré, la masse des couches d'hydrogène intérieures non dégénérées, et les effets de la température finie sont utilisés pour calculer des relations masse-rayon théoriques. Mais malgré leur sophistication, ces relations masse-rayon théoriques sont obligées de se baser sur des hypothèses concernant la structure intérieure de la naine blanche. En effet, les masses des couches intérieures non dégénérées d'hydrogène, d'hélium et de C/O, stratifiées gravitationnellement, sont peu contraintes par les observations de la surface des naines blanches. Une mesure de masse la plus précise possible est donc cruciale.
Jusqu'à présent, les précédentes mesures de masse des naines blanches ont été obtenues en observant des naines blanches dans des systèmes d'étoiles binaires. En observant le mouvement de deux étoiles co-orbitantes, on peut en déduire leurs masses, avec certaines hypothèses sur l'inclinaison du système. Et ces mesures peuvent être incertaines si l'étoile compagne de la naine blanche se trouve sur une orbite très longue, de centaines ou de milliers d'années. Le mouvement orbital ne peut en effet être mesuré par des télescopes que sur une brève tranche du mouvement orbital.
Pour cette naine blanche sans compagne, nommée LAWD 37 (WD 1142-645), Peter McGill (université de Cambridge) et ses collaborateurs ont utilisé le phénomène de microlentille gravitationnelle. La lumière d'une étoile d'arrière-plan est légèrement déviée par la déformation gravitationnelle de l'espace-temps par l'étoile naine de premier plan. Lorsque la naine blanche est passée devant l'étoile d'arrière-plan, la microlentille a fait apparaître l'étoile temporairement décalée par rapport à sa position réelle dans le ciel. Une telle microlentille avait déjà été utilisée pour mesurer la masse d'une naine blanche en 2017 (Stein 2051 B) mais cette dernière se trouve en couple avec une autre étoile. LAWD 37, elle, est une naine blanche seule, totalement isolée. La microlentille était la seule façon de mesurer sa masse.
LAWD 37 a été largement étudiée car elle ne se trouve qu'à 15 années-lumière. On en possède de nombreux spectres mais il nous manquait une mesure de sa masse. Grâce aux données du télescope Gaia, les astronomes ont pu prédire que LAWD 37 passerait brièvement devant une étoile de fond en novembre 2019.
A partir de là, Hubble a été utilisé par McGill et son équipe pour mesurer précisément sur plusieurs années comment la position apparente de l'étoile d'arrière-plan dans le ciel était temporairement déviée lors du rapprochement apparent de la naine blanche. La lumière de l'étoile d'arrière-plan était si faible que le principal défi pour les chercheurs était d'extraire son image de la lumière éblouissante de la naine blanche, qui est tout de même 400 fois plus brillante que l'étoile d'arrière-plan. Le télescope spatial Hubble est le seul instrument qui peut faire ce genre d'observations à contraste élevé en lumière visible. La précision de la mesure de masse de LAWD 37 que McGill et ses collaborateurs obtiennent leur permet de tester la relation masse-rayon pour les naines blanches, et donc de tester la théorie de la matière dégénérée.
Les chercheurs trouvent une masse de 0,56 ± 0,08 𝑀☉. Cette masse est en accord avec la relation théorique masse-rayon et les signes de refroidissement qui sont attendues pour les naines blanches à coeur de Carbone-Oxygène. De plus, cette masse est aussi cohérente avec l'absence d'hydrogène attendue pour les objets ayant une atmosphère riche en hélium comme LAWD 37. Cette étude fournit le premier test semi-empirique de la relation masse-rayon des naines blanches en utilisant une naine blanche seule et isolée et soutient les modèles actuels d'atmosphères de naines blanches et la théorie de l'évolution des naines blanches.
Il est amusant de se dire que cette observation de lentille gravitationnelle a eu lieu exactement un siècle après la première observation de ce type en 1919, lors d'une éclipse solaire le 19 mai 1919, qui avait été saluée comme la première preuve expérimentale de la relativité générale. Et à l'époque, Einstein était pessimiste sur la possibilité de détecter cet effet pour des étoiles en dehors de notre système solaire, en raison de la précision impliquée. La mesure de McGill et ses collaborateurs est 625 fois plus précise que l'effet mesuré lors de l'éclipse solaire de 1919 par Eddington.
Grâce aux données astrométriques de Gaia, d'autres chercheurs se sont déjà intéressés à une autre naine blanche, LAWD 66, mais cette fois avec le télescope spatial Webb. Une première observation a été faite en 2022 et d'autres observations seront effectuées jusqu'à la culmination de la déviation prévue en 2024, puis diminuera ensuite. L'avantage de Webb, c'est qu'il travaille dans les longueurs d'onde infrarouges, ce qui implique que la lueur bleue d'une naine blanche d'avant-plan semble plus faible en lumière infrarouge, que celle de l'étoile d'arrière-plan. De belles mesures de masse en perspective, surtout que LAWD 37 n'a pas dit son dernier mot non plus : On prévoit déjà que LAWD 37 provoquera de nombreux autres phénomènes de microlentilles astrométriques au cours des prochaines décennies, ce qui pourrait offrir d'autres possibilités d'augmenter la précision de la mesure de sa masse gravitationnelle...
Source
First semi-empirical test of the white dwarf mass–radius relationship using a single white dwarf via astrometric microlensing
Peter McGill et al.
Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, Volume 520, Issue 1, (March 2023)
Illustration
Trajectoire de la naine blanche LAWD 37 (NASA, ESA, Peter McGill (UC Santa Cruz, IoA), Kailash Sahu (STScI); Image Processing: Joseph DePasquale (STScI)
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