Mimas vient de rejoindre la liste croissante de lunes glacées qui sont également des mondes océaniques. La découverte à laquelle les planétologues ne s'attendaient pas vraiment, est rapportée aujourd'hui dans Nature. La géologie de Mimas ne montre aucun signe d'un éventuel océan enfoui, comme les structures de glace qui se bousculent sur Europe, la lune de Jupiter, ou les geysers qui jaillissent d'Encelade , une autre lune glacée de Saturne. Et pourtant...
C'est l'orbite changeante de Mimas qui a finalement indiqué à Valery Lainey (Observatoire de Paris) et ses collaborateurs que le satellite possède un océan souterrain, contredisant ce que l'on pensait savoir sur l'enveloppe solide de Mimas. Rappelons que Mimas est un petit corps d'environ 400 km de diamètre qui est très connu par son gros cratère qui lui donne l'aspect de l'Etoile Noire de Star Wars. Mimas est en fait légèrement ovoïde, une forme courante parmi les satellites planétaires qui sont en rotation synchrone (c'est-à-dire ceux qui gardent le même côté face à la planète). Lainey et al . ont analysé des mesures précises des changements dans l'orbite et la rotation de la lune, qui sont affectés par la composition de son intérieur (un oeuf cru et un oeuf dur ne tournent pas de la même façon, c'est à ça qu'on les reconnaît...). Ces changements sur le petit satellite peuvent être suivis en mesurant ses moments d'inertie, qui mesurent sa résistance à l'accélération de rotation, et dépendent à la fois de la forme de la surface de la lune et de la manière dont la matière est répartie à l'intérieur.
Les moments d'inertie de Mimas ont déjà été sondés en observant ses mouvements de libration lors de ses révolutions autour de Saturne. Ces mesures ont révélé que les librations de Mimas sont beaucoup plus importantes que ce que laisserait penser la forme de sa surface. Cela pouvait s'expliquer par le fait que Mimas possède soit un noyau rocheux très allongé, ce qui accentuerait la différence entre ses moments d'inertie, soit un océan interne, qui permettrait à sa coque externe d'osciller indépendamment de son noyau. Et comme il n’existait aucune preuve de l’existence d’un océan, de nombreux planétologues avaient préféré l’hypothèse du noyau allongé. Mais l’option océanique vient de bénéficier d'une nouvelle preuve.
Un corps légèrement aplati tel que la Terre ou Saturne fait précesser les orbites de ses satellites vers l'avant, ce qui signifie que les ellipses tracées par les orbites tournent lentement dans l'espace, dans la direction du mouvement orbital des satellites. Mais, de manière contre-intuitive, la forme allongée d’une lune en rotation synchrone induit l’effet inverse : l’orbite de la lune est en précession vers l’arrière, opposée à la direction du mouvement orbital.
En analysant les mesures de position de Mimas qui ont été effectuées par la sonde Cassini, Lainey et al. ont déterminé que l'orbite de la lune recule de cette manière. Ils arrivent à cette mesure de précession inverse de faible amplitude après avoir supprimé d'autres effets dynamiques. La grande surprise est que, si l'on suppose que Mimas est gelé et solide, les moments d'inertie calculés à partir de ses librations ne correspondent pas à ceux nécessaires pour expliquer sa précession orbitale. Lainey et coll . montrent qu'aucune distribution interne de masse dans un corps solide ne peut expliquer ces deux ensembles de données. Selon eux, la seule conclusion viable est que Mimas possède un océan souterrain. Ils peuvent même dire que la croûte de glace qui l'entoure doit faire de 20 à 30 km d'épaisseur.
Le fait que Mimas soit lui aussi un monde océanique a de nombreuses implications. Mimas a une grande excentricité orbitale, ce qui signifie que son orbite trace une ellipse plutôt qu'un cercle parfait. Mais cette excentricité diminuerait rapidement si l’intérieur de la Lune pouvait réagir facilement aux forces gravitationnelles exercées sur Mimas par d’autres corps. Cela indique que l’océan ou l’excentricité orbitale – ou même les deux – n’ont dû exister que depuis une courte période, que les chercheurs évaluent moins de 25 millions d’années, seulement ! Et les chercheurs ont effectué des simulations qui montrent que l'interface océan-glace n'a atteint une profondeur de moins de 30 kilomètres que récemment (il y a moins de 2 à 3 millions d'années), un laps de temps trop court pour que des signes d'activité à la surface de Mimas apparaissent.
En particulier, le fameux grand cratère Herschel n'aurait pas pu se former dans une coquille de glace aussi mince que le prédisent Lainey et ses collègues. Les planétologues estiment ainsi que la coquille de glace a dû s'amincir de plusieurs dizaines de kilomètres depuis la formation d'Herschel. Un amincissement de la coquille de glace pourrait également expliquer pourquoi Mimas ne présente pas les fortes fracturations qui sont observées sur les lunes océaniques telles qu'Europe et Encelade. On voit que les caractéristiques géologiques peuvent aider les chercheurs à déterminer le moment de la formation des océans et les conditions orbitales qui ont stimulé la croissance d’un océan.
Les simulations de Lainey et ses collaborateurs montrent que l’océan est apparu entre 25 mégannées pour le cas le moins dissipatif et seulement 2 à 3 mégannées pour le cas le plus dissipatif. Dans tous les cas, une croissance rapide de l’océan interne se serait produite au cours des derniers millions d’années. Il est intéressant de noter que le modèle le plus dissipatif aboutit à un flux thermique de surface plus faible, en raison de la fonte très rapide et du retard dans la propagation de la vague de chaleur à la surface. À titre de comparaison, le flux thermique de surface de 20 à 25 mW m-2 obtenu ici correspond au flux thermique de surface qui est estimé dans les terrains de cratères les plus anciens observés dans la région équatoriale d'Encelade. Les planétologues indiquent clairement qu'un noyau poreux hydrothermalement actif à l'intérieur de Mimas comparable à ce qui existe sur Encelade est possible, même en l'absence d'activité de surface.
Lainey et ses collaborateurs essayent aussi de trouver un éventuel lien avec l'excentricité atypique de Mimas. Ils montrent notamment qu'une excentricité importante pour Mimas pourrait être obtenue en considérant une résonance à trois corps impliquant Mimas, Dione et Titan. Et qu'une autre possibilité pourrait être que Mimas ait traversé une rencontre résonante, mais sans capture. Une telle hypothèse avait été étudiée en 2019 pour expliquer la formation de la Division de Cassini. Mais pour une excentricité passée de 2,3 à 2,9 fois la valeur actuelle, Mimas ne peut plus à lui seul expliquer l'ouverture de la division Cassini, suggérant qu'Encelade aurait dû également avoir une excentricité plus élevée, ce qui induirait alors un échauffement plus intense au cours des derniers millions d'années (et donc une liquéfaction accrue).
Et puis en 2022 il avait été suggéré dans une autre étude que la perte d'une lune saturnienne pouvait expliquer l'obliquité de Saturne et la jeunesse de ses anneaux (un âge typique de 100 Mégannées). Dans une telle hypothèse, le système des lunes saturniennes aurait pu être un peu bousculé, permettant de légers changements dans les éléments orbitaux, avec une possible augmentation de l'excentricité de certains d'entre eux dans un passé récent. Tous ces changements rapides dans la dynamique orbitale sont déclenchés par la forte dissipation des marées de Saturne. De ce point de vue, une existence temporaire d'un océan dans Mimas pourrait être une autre manifestation des fortes marées saturniennes.
L'idée selon laquelle l'océan de Mimas aurait pu se former relativement récemment a également des implications sur d'autres caractéristiques du système saturnien qui restent mystérieuses, malgré les indices obtenus par la mission Cassini. Par exemple, les brillants anneaux de glace de Saturne sont apparemment jeunes en termes géologiques, mais la jeunesse des anneaux ne fait pas encore consensus. De plus, les lunes glacées fortement cratérisées semblent anciennes, mais l'origine des corps qui ont formé les cratères est toujours contestée, et certains planétologues suggèrent que les lunes elles-mêmes seraient également géologiquement jeunes. Les indices fournis par Mimas et son océan pourraient contribuer à résoudre certaines de ces énigmes.
L’ajout de Mimas dans la liste des mondes océaniques modifie en tous cas l’image générale de ce à quoi peuvent ressembler ces lunes autour des planètes géantes. L’idée selon laquelle des lunes glacées relativement petites peuvent abriter de jeunes océans et la possibilité que des processus de transformation se soient produits dans l’histoire très récente de ces lunes est passionnante et inspirera sans doute des programmes d'exploration dans un futur lointain.
Source
A recently formed ocean inside Saturn’s moon Mimas
V. Lainey et al.
Nature volume 626 (07 February 2024)
Illustrations
1. Mimas imagé par Cassini (NASA)
2. Mesures de libration en fonction des mesures de précession orbitales indiquant la présence d'une masse liquide sous 20 à 30 km de glace (V. Lainey et al.)
3. Valery Lainey
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