Depuis la nuit des temps, l'humanité lève les yeux vers le ciel pour s'interroger sur sa place dans l'univers et comprendre le sens de son existence. Mais ce n'est qu'au cours des 70 dernières années que des instruments ont commencé à fonctionner au-delà de l'atmosphère de la Terre, principalement en orbite basse, à moins de 2 000 kilomètres d'altitude. Le télescope spatial Hubble est depuis 35 ans l'une des entreprises les plus réussies de l'humanité dans l'espace orbital. Mais Hubble, qui orbite à environ 500 km d'altitude, partage désormais cette orbite avec des milliers de satellites de télécommunications, dont la plupart ont été lancés au cours des cinq dernières années. De ce fait, 4,3 % des images prises par Hubble entre 2018 et 2021 présentent des traînées de satellites...
Et beaucoup de choses ont changé depuis 2021, année où l'on comptait environ 8 000 satellites actifs. On en dénombre aujourd'hui plus de 13000, sans compter les débris et les satellites hors service. Jusqu'en 2019, la plus grande constellation de satellites artificiels était le système Iridium, composé de 75 engins spatiaux en orbite terrestre basse (LEO) à des altitudes comprises entre environ 630 et 780 km. Les émissions radio dans la bande 1 621–1 628 MHz des satellites Iridium ont été parmi les premières sources de pollution électromagnétique spatiale à être prises en compte par les chaînes de traitement des données des observatoires terrestres. Mais ces dernières années, le nombre de satellites a explosé grâce à la réduction du coût par kilogramme de charges utiles lancées en orbite terrestre basse. Le nombre de satellites artificiels a connu une croissance exponentielle depuis 2020. Durant cette période, les propositions de satellites de télécommunications soumises à la Commission fédérale des communications (FCC) des États-Unis et à l'Union internationale des télécommunications (UIT) ont été multipliées par 100.
Les lancements devraient être encore plus accessibles à l'avenir grâce à l'arrivée des lanceurs super-lourds de nouvelle génération (Space Launch System, New Glenn, Starship et Longue Marche 9), qui devrait réduire encore les coûts de lancement et accroître la capacité de déployer davantage de satellites sur des orbites encore plus élevées. Si toutes les demandes d'autorisation auprès de la FCC aboutissent à des lancements, la Terre compterait un demi-million de satellites artificiels en orbite d'ici la fin des années 2030.
Les premières observations des satellites Starlink en 2019 ont révélé que la lumière réfléchie par ces merdes spatiales était facilement visible à l'œil nu, perturbant les observatoires terrestres sur l'ensemble des longueurs d'onde. Leurs positions apparentes dans le ciel changeant, ils laissent une trace lumineuse sur les images astronomiques, appelée "traînée". Le passage d'une traînée de satellite sur un objet d'observation (une galaxie par exemple) peut rendre l'observation totalement inutilisable. Même si la traînée ne touche pas la galaie sur l'image, elle peut générer un gradient de lumière de fond (lumière diffusée) et augmenter le bruit photonique. Pour les télescopes terrestres à grand champ de nouvelle génération, tels que l'observatoire Vera Rubin, des études conservatrices supposant des constellations de 26 000 à 48 000 satellites (nettement moins que celles proposées actuellement), prévoyaient que 20 % des images à minuit présenteront des traînées de satellites et que 30 à 80 % de toutes les expositions obtenues au début et en fin de la nuit seront affectées.
Les satellites en orbite basse (LEO) sont détectés grâce à la lumière solaire réfléchie et sont donc principalement visibles juste après le coucher du soleil et avant son lever. Ils émettent également un rayonnement infrarouge thermique et des ondes radio. La plupart des efforts d'atténuation ont porté sur la réduction de leur luminosité par des modifications de leur conception et de leur orientation, afin de les rendre indétectables à l'œil nu (magnitude ≈ 6–7). La magnitude apparente typique des satellites Starlink de première génération était de 5,1 ± 1,1. Mais les revêtements sombres et les systèmes de blocage optique se sont révélés inefficaces pour réduire la présence de traînées de satellites dans les images astronomiques, n'entraînant qu'une légère diminution de la magnitude optique (de 4,6 à 5,9 pour VisorSat et à 6 pour DarkSat). Si ces systèmes réduisent l'impact visuel pour les observateurs à l'œil nu, les satellites restent très brillants pour les observatoires astronomiques. De fait, les satellites Direct to Cell (DTC) récemment lancés en orbite possèdent des panneaux solaires et un châssis bien plus grands (125 m² contre 26 m² ) et sont beaucoup plus brillants que les satellites internet classiques (jusqu'à une magnitude visible ≈ 0–1, contre 4–6 pour les satellites traditionnels), malgré leurs orbites plus basses et donc des transits plus rapides. Et les satellites ultra-brillants, tels que BlueWalker 3, ont une magnitude comparable à celle des étoiles les plus brillantes du ciel...
Pour comprendre l'impact des satellites non plus sur les télescopes terrestres, mais sur les télescopes spatiaux, Alejandro Borlaff (NASA Ames Research Center) et ses collègues ont utilisé une base de données publique de satellites artificiels et de leurs orbites afin de simuler différents scénarios de population satellitaire future. La taille de ces populations varie de 10 000 satellites seulement – moins que la population actuelle – à un million, soit approximativement le nombre de satellites que les entreprises du monde entier ont déclaré vouloir lancer auprès de l'Union internationale des télécommunications (UIT).
Malgré ces données, la prédiction des populations satellitaires futures est encore très incertaine, car il est peu probable que tous les satellites déclarés soient lancés. Les auteurs estiment à 560 000 le nombre de satellites prévus : cela correspond approximativement au nombre de satellites figurant dans la base de données des « méga-constellations » prévues.
Les chercheurs ont sélectionné aléatoirement des images d'archives prises par le télescope spatial Hubble entre 2023 et 2024 et ont calculé le nombre de satellites de leur modèle qui auraient traversé le champ de vision du télescope lors de la prise de chaque image. Leurs résultats montrent que, avec 560 000 satellites, près de 40 % des images de Hubble auraient montré la traînée d'au moins un satellite !
De plus, Borlaff et ses collaborateurs montrent que, dans un avenir où tous les satellites de leur modèle seraient lancés, les images exemptes de contamination par les satellites seraient très rares pour SPHEREx, télescope infrarouge lancé en mars dernier et orbitant à environ 700 kilomètres d'altitude : plus de 96 % des images capturées par cet observatoire spatial présenteraient au moins une traînée. Les auteurs ont également étudié deux autres futurs télescopes spatiaux en orbite terrestre basse : Xuntian, télescope chinois prévu en 2026 et ARRAKIHS, télescope européen prévu en 2030. Les résultats sont tout aussi effarants. Le nombre moyen attendu de traînées de satellites par exposition dans ce scénario est d'environ 2 pour Hubble, 6 pour SPHEREx, 70 pour ARRAKIHS et 90 pour Xuntian !
Pour quantifier les impacts scientifiques qui en résultent, il est également nécessaire de comprendre la luminosité de ces satellites. Modéliser cette luminosité est complexe, car les satellites contiennent de nombreux petits éléments brillants ; l’angle d’incidence du Soleil sur eux varie constamment ; et ils peuvent manœuvrer activement. Même si tous ces paramètres peuvent être modélisés avec précision, les entreprises satellitaires ne divulguent généralement pas leurs plans ni leurs états opérationnels.
Néanmoins, Borlaff et ses collègues font des hypothèses simplificatrices raisonnables et concluent que la luminosité de ces traînées serait plusieurs ordres de grandeur supérieure au minimum détectable. Outre la lumière solaire directe, les satellites peuvent être éclairés par la lumière réfléchie par la Terre et la Lune. Bien que leur luminosité soit environ quatre fois moindre lorsqu'ils sont éclairés par ces sources indirectes, la lumière qu'ils réfléchissent contribue néanmoins de manière non négligeable à la contamination des télescopes. Il est également important de noter que ces évaluations ne tiennent pas compte d'une catégorie de satellites en projet, conçus pour être hautement réfléchissants et fournir de la « lumière solaire à la demande », une pure catastrophe....
Les recommandations existantes pour faire face à cette menace des constellations de satellites préconisent des modifications des satellites pour les rendre plus sombres aux yeux des observateurs, le partage de positions et de trajectoires satellitaires précises, l’utilisation de modèles et d’expériences en laboratoire pour mieux comprendre la réflexion de la lumière par les satellites et le soutien à un réseau d’observateurs pour caractériser les interférences satellitaires.
Mais cela semble bien faible face à une mégaindustrie. Borlaff et ses collaborateurs proposent trois autres préconisations, qui concernent plus particulièrement les télescopes spatiaux : la prévention, l’évitement et la correction. La prévention est liée à l’altitude orbitale ; en effet, si les satellites des constellations orbitaient sous les télescopes spatiaux, le problème des traînées lumineuses serait en grande partie résolu. A noter que les orbites basses constituent également une stratégie d’atténuation relativement efficace pour les relevés optiques utilisant de grands miroirs collecteurs de lumière, comme l’observatoire Vera Rubin au Chili.
L'évitement et la correction des interférences sont essentiels pour les télescopes terrestres et spatiaux, ce qui nécessite une archive ouverte des orbites et trajectoires actuelles et historiques de tous les objets artificiels en orbite terrestre. Le Centre de l'Union astronomique internationale pour la protection du ciel sombre travaille actuellement à la mise en place d'un tel service grâce à l'outil de prédiction de la position des satellites SatChecker. SatChecker utilise actuellement un format de données qui permet de connaître les orbites des satellites avec une précision de 1 km. Mais pour les télescopes spatiaux, les orbites des satellites doivent être connues avec une précision de 3,5 centimètres, car les satellites à l'origine des traînées lumineuses passent beaucoup plus près des observatoires spatiaux que des observatoires terrestres.
Même si toutes ces stratégies d'atténuation étaient mises en œuvre, notre ciel serait fondamentalement transformé. Et ce, sans même parler de la pollution atmosphérique induite ( le dépôt de grandes quantités d'aluminium dans l'atmosphère terrestre pourrait créer un nouveau trou dans la couche d'ozone), et des impacts de débris orbitaux (les risques de collision augmentent exponentiellement avec la croissance du nombre d'objets en orbite).
Nous assistons à l'aube d'une nouvelle ère d'exploitation industrielle massive de l'orbite terrestre basse avec une augmentation prévue de 20 à 100 fois du nombre de satellites artificiels. Les résultats d'Alejandro Borlaff et ses collaborateurs démontrent que, contrairement à une idée répandue, les télescopes spatiaux ne sont pas à l'abri de la pollution lumineuse due aux satellites artificiels. Des dizaines voire des centaines de traînées de satellites apparaîtront sur les images astronomiques capturées par les télescopes spatiaux en LEO si les constellations de satellites annoncées deviennent opérationnelles.
La meilleure mitigation de cet avenir sombre (sic) pour l'astronomie reste l'arrêt immédiat de cette folle entreprise de mégaconstellations.
Source
Satellite megaconstellations will threaten space-based astronomy
Alejandro Borlaff et al.
Nature volume 648(3 december 2025)
https://doi.org/10.1038/s41586-025-09759-5
Illustrations
1. Images simulées des télescopes spatiaux Hubble, SPHEREx, ARRAKIHS et Xuntian (Borlaff et al.)
2. Positions en altitude des télescopes spatiaux étudiés et des constellations de satellites prévues (Borlaff et al.)
3. Nombre moyen de traînées de satellites par exposition en fonction de la population de satellites artificiels en orbite terrestre pour les quatre télescopes étudiés [échelles logarithmiques!] (Borlaff et al.)
4. Alejandro Borlaff





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