Schéma du détecteur JUNO |
Mais on ne connait toujours pas
quelles sont ces masses des trois neutrinos (neutrinos électronique, muonique
et tauique). Le paramètre que les physiciens arrivent à mesurer est la différence
de masse qui existe entre chacune des trois saveurs (ce qu’on appelle le « delta
m »), ce qui donne trois paramètres : delta12, delta13 et delta23.
Trois autres paramètres (qu’on appelle les angles de mélange theta12, theta13
et theta 23) permettent de décrire comment oscillent les neutrinos d’une forme
à l’autre.
On sait donc qu’il y a deux
deltas plutôt petits et le troisième grand. Ce qui veut dire qu’il y a deux
neutrinos légers de masses assez proche et le troisième plus lourd (c’est ce
qu’on appelle la hiérarchie normale)… ou bien l’inverse : un léger et deux
lourds (la hiérarchie dite inversée). Car, aujourd’hui, nous ne pouvons pas encore
connaître la hiérarchie exacte des masses des trois neutrinos. C’est l’un des plus
grands enjeux actuels des recherches sur ces particules étonnantes à plus d’un
titre.
Emplacement de JUNO (IHEP) |
Les physiciens chinois ont décidé de s’attaquer frontalement à ce problème, et, après avoir réussi à mesurer le troisième angle de mélange (theta13) avec une excellente précision en 2012 (voir là), ils prévoient de construire maintenant pour 300 millions de dollars un énorme détecteur de neutrinos appelé JUNO (Jiangmen Underground Neutrino Observatory). Jiangmen est situé dans la province du Guangdong dans le Sud-Ouest de la Chine, un laboratoire souterrain qui sera localisé environ à égale distance de deux centrales nucléaires et qui devrait entrer en service en 2019. JUNO va observer justement les flux de neutrinos produits par ces deux centrales, situées à une cinquantaine de kilomètres de là, ce qui laisse le temps aux neutrinos électroniques de se transformer (pour 70% d’entre eux) en neutrinos muoniques.
L’emplacement du détecteur de
neutrinos JUNO a été idéalement choisi, la distance des réacteurs nucléaires
étant optimale pour une mesure efficace, tout à fait complémentaire d’autres
expériences du même type effectuées à plus courtes distances. La spécificité
d’avoir deux sources de neutrinos via deux réacteurs nucléaires différents
impose d’ailleurs une position très précise du détecteur : la différence
de distance entre détecteur et réacteurs nucléaires ne doit pas dépasser 2 kms
sous peine de totalement brouiller le signal d’oscillation observé. Le triangle
reliant les deux réacteurs et JUNO doit être parfaitement isocèle.
La connaissance de la hiérarchie
des masses des trois neutrinos est fondamentale, car elle doit permettre de
savoir si les neutrinos acquièrent leur masse par le même mécanisme que les
autres particules (à savoir le mécanisme de Higgs), ou bien s’il s’agit de tout
autre chose. La réponse doit en fait dépendre de si le neutrino est sa propre
antiparticule ou non (est-il un neutrino de Majorana ou un neutrino de
Dirac ?), et la question n’est toujours pas tranchée. Mais elle peut
l’être grâce à des expériences d’observation de phénomènes de décroissance
radioactive très rares (radioactivité béta
où deux bêtas et aucun neutrino sont émis). Or ce type de décroissance
radioactive n’apparaît avec un taux observable que si la hiérarchie des masses
est de type « inversée »… Voilà tout l’enjeu.
Evolution du flux de neutrinos détectés en fonctionde la distance réacteur-détecteur (JUNO est repéré ici comme "Daya Bay II") |
JUNO sera une expérience internationale dirigée par les chinois. Le
détecteur sera constitué d’une sphère de 38 mètres de diamètre, contenant
20 000 tonnes de scintillateur liquide. Le laboratoire souterrain
sera assez peu profond,
« seulement » 700 m sous une colline. Les physiciens chinois
attendent environ une soixantaine de neutrinos détectés par jour. En analysant
la lumière produite dans le détecteur par les réactions secondaires créées
suite à l’absorption des neutrinos, les physiciens estiment pouvoir déterminer
le spectre en énergie de ces neutrinos et ainsi pouvoir enfin dévoiler la
véritable hiérarchie des masses.
Ce qui fera une grande différence
pour JUNO vis à vis des détecteurs précédents comme le japonais KamLAND, c’est la résolution en énergie
atteignable. Cette dernière devrait pouvoir être divisée par deux pour arriver à 3% seulement. Malgré la taille impressionnante du détecteur, la mesure n’en
sera pas pour autant aisée, les spécialistes estiment avoir besoin de 6 ans de
mesure pour parvenir à leurs fins. Et JUNO pourrait permettre des découvertes encore plus importantes, comme par exemple la mise en évidence de l’existence d’un quatrième neutrino, ce qui ouvrirait de nouvelles voies révolutionnaires en physique et en astrophysique. De nombreuses expériences ont déjà montré des indices de ce type, et JUNO sera très bien placée pour confirmer ou infirmer ces résultats.
Spectre en énergie des positrons secondaires détectés, en fonction de la hiérarchie des masses des neutrinos (Technische Universität München) |
Enfin, JUNO sera également utilisé pour faire de la géophysique et explorer les profondeurs de la Terre, grâce à la détection de géoneutrinos. Rappelons que les géoneutrinos sont des neutrinos qui sont émis lors des décroissances radioactives qui ont lieu dans le noyau et le manteau terrestre. La mesure de ces géoneutrinos est le seul moyen à notre disposition pour connaître la distribution de la chaleur interne de la Terre. Les trois expériences actuelles qui détectent des géoneutrinos en capturent au total 45 par an. JUNO, à lui seul, en attrapera 500 par an…
Source :
China Builds Mammoth
Detector To Probe Mysteries of Neutrino Mass
J. Qiu
Science vol 343 590-591
(7 february 2014)
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