Une
nouvelle interprétation d’une observation incomprise en rayons X, une raie d'émission à 3,54 keV provenant du
centre de nombreuses galaxies, fournit une nouvelle hypothèse très intéressante
pour la matière noire.
Vous avez peut-être déjà entendu parler de la raie mystérieuse à 3,54 keV (notamment ici-même). Tout a commencé en 2014, quand l’équipe de Esra Bulbul du Harvard Smithonian Center for Astrophysics avait trouvé un pic d’émission à 3,54 keV avec le télescope spatial Chandra dans le gaz chaud enrobant les galaxies de l’amas Perseus. Puis l’équipe de Bulbul trouva avec XMM-Newton la même raie dans un groupe de 73 amas de galaxies mis ensemble pour une meilleure statistique. Les observations effectuées avec Chandra et XMM-Newton étaient cohérentes entre elles. La machine s’était ensuite un peu emballée quand à peine quelques jours plus tard, une autre équipe complètement indépendante, menée par Alexey Boyarsky de l’université de Leiden, avait rapporté l’observation avec le même XMM-Newton d'une raie à la même énergie dans la galaxie d’Andromède et dans les régions périphériques de l’amas de Perseus.
Comme aucune origine astrophysique
classique (raies d’émission de gaz ionisé) ne pouvait expliquer la présence de
cette raie d’émission, il n’en avait pas fallu beaucoup plus pour attribuer les
photons formant cette raie X à la désintégration de particules formant la
matière noire, dans ce cas, des neutrinos d’un quatrième type qui auraient une
masse double de l'énergie des photons détectés, c’est-à-dire 7,1 keV, ces neutrinos pouvant en théorie se désintégrer en deux
photons. Mais ces résultats devinrent controversés à partir du moment où
certaines observations ultérieures montrèrent la présence de la même raie alors que d’autres
ne la voyaient pas. Le télescope japonais Hitomi, par exemple, juste avant de
défaillir en 2016, avait été pointé vers l’amas de galaxies Perseus sans voir la
fameuse raie à 3,54 keV. L’hypothèse d’un neutrino stérile comme candidat pour le matière noire perdait par ailleurs de
la vigueur pour d'autres raisons.
Mais
c’est justement l’absence de détection par Hitomi qui a donné un déclic à
Joseph Conlon et ses collègues. Il se trouve que Hitomi avait une moins bonne
résolution spatiale que Chandra, ce qui fait qu’il enregistrait des photons
venant de deux sources différentes : le gaz chaud diffus enveloppant la
grosse galaxie centrale de l’amas Perseus, et la région très proche du trou
noir central de cette galaxie. L’équipe de Bulbul avait ainsi pu, grâce à
Chandra, privilégier le gaz chaud en éliminant de leur analyse les sources
quasi-ponctuelles comme celle de la région très proche du trou noir central. Les chercheurs
de Oxford se sont donc penchés à nouveau sur les données brutes de 2009 de Chandra qu'avait utilisées l'équipe de Bulbul pour
se concentrer cette fois ci sur les sources ponctuelles et notamment la région centrale
proche du trou noir. Et là, surprise ! Ils n’observent pas un excès de
rayons X à 3,54 keV, mais au contraire, un déficit (un creux dans le spectre)! Quelque chose absorbe
les rayons X qui sont produits autour du trou noir de la galaxie centrale à
cette énergie précise de 3,54 keV.
Joseph
Conlon et son équipe ont alors simulé ce que devait voir Hitomi à 3,54 keV avec
sa résolution, en ajoutant la contribution positive du gaz diffus et celle, négative, de la région centrale quasi ponctuelle. Ils trouvent exactement ce qu’a détecté Hitomi :
aucun excès et même plutôt un petit déficit.
Le
phénomène montre donc un processus d’absorption dans la ligne de visée du trou
noir (qui produit des rayons X à toutes les énergies) et un processus d’émission
à la même énergie dans les régions décalées. Ce phénomène est bien connu des
astronomes et s’apparente au phénomène de fluorescence atomique. Une « matière inconnue»
absorbe les rayons X puis les réémet dans toutes les directions. Toutes les zones
situées autour du centre galactique, où sont produits quantités de rayons X de
toutes les énergies, subissent les mêmes processus d’absorption et d’émission,
mais lorsque l’on vise justement la zone de production de rayons X (le centre
galactique et son trou noir), l’absorption l’emporte sur l’émission, cette
dernière se faisant dans toutes les directions. En revanche, dans les zones
périphériques, on ne regarde plus la source de rayons X à travers la « matière
inconnue », et donc on ne voit que la réémission caractéristique et pas d'absorption.
Cette
nouvelle analyse des spectres X en provenance de l’amas Perseus fournit ainsi une
toute nouvelle hypothèse pour expliquer cette « matière inconnue »,
faisant intervenir à nouveau des particules massives de matière noire, mais
cette fois-ci qui ne se désintégreraient pas. Elles auraient juste le pouvoir d’absorber
et de réémettre des photons de 3,54 keV. Les chercheurs de Oxford suggèrent
donc que les particules de matière noire auraient deux niveaux d’énergie
séparés de 3,54 keV. Il ne s’agirait ainsi plus à proprement parler de matière « noire »,
puisque ces particules produiraient un processus similaire à la fluorescence
des atomes lorsque ces derniers, grâce à leur cortège électronique, absorbent et
réémettent des photons.
Pour
confirmer cette nouvelle hypothèse, les astrophysiciens vont avoir besoin de
nouvelles mesures en rayons X, plus longues que les précédentes, sur l’amas de
Perseus ou d’autres cibles du même type. L’objectif sera de confirmer la présence du déficit
à 3,54 keV observé dans la région très centrale des galaxies. Aujourd’hui seuls Chandra
et XMM-Newton sont capables d’effectuer ces mesures, en attendant le remplaçant
de Hitomi disparu bien trop tôt, mais qui aura peut-être permis de lever un
grand coin du voile noir…
Source
Consistency of Hitomi,
XMM-Newton and Chandra 3.5 keV data from Perseus
Joseph P. Conlon, Francesca
Day, Nicholas Jennings, Sven Krippendorf and Markus Rummel
Accepté pour publication
dans Physical Review D 90, 123009 (décembre 2017)
Illustrations
1) Image composite de l’amas de
galaxies de Perseus en rayons X (bleu) et en visible et radio (rose) (X-ray:
NASA/CXO/Oxford University/J. Conlon et al. Radio: NRAO/AUI/NSF/Univ. of
Montreal/Gendron-Marsolais et al. Optical: NASA/ESA/IoA/A. Fabian et al.; DSS)
2) Vue d'artiste du télescope spatial Chandra X-Ray Observatory (NASA)
3) Vue d'artiste du télescope spatial XMM-Newton (ESA)
4) Vue d'artiste du télescope spatial Hitomi, qui a subi une défaillance 3 semaines après son lancement (JAXA)
2 commentaires :
Bonjour,
votre site est remarquable et démontre la passion que vous y insufflez. Bravo.
Question de néophyte: j'ai lu que la forme métallique de l'hydrogène, introuvable sur terre à l'état naturel, est non rayonnante ou presque. A t-elle été étudiée comme candidat à la matière noire? Ce qui me frappe est l'érorme quantité d'hydrogène qu'en contient l'univers, on pourrait fort bien le retrouver dans l'état métallique sous forme de nuages denses et donc invisibles. Merci,
La matière noire est forcément exotique (non baryonique). Par ailleurs, je ne pense pas que l'hydrogène solide puisse exister de telle manière en grandes quantités agglomérées...
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