dimanche 11 novembre 2018

Un blazar à l'origine de neutrinos et de rayons gamma ultra-énergétiques


Un seul neutrino de ultra-haute énergie détecté par IceCube, observé en coïncidence avec une éruption d'un blazar vue en multi-longueurs d'ondes, conduit à comprendre leur origine : l'existence de processus lepto-hadroniques dans les jets des noyaux actifs de galaxie, sources de ces blazars.




Ce qu'on appelle les rayons cosmiques sont des particules qui ont une vitesse proche de la vitesse de la lumière et qui peuvent être de deux types, soit de faible masse, des électrons ou des positrons, donc des leptons, ou soit quelques milliers de fois plus massives : des protons ou des noyaux atomiques, donc des hadrons dans ce cas. Ces particules peuvent atteindre des énergies démesurées atteignant 1020 électron-volts, elles sont alors appelées rayons cosmiques ultra-énergétiques. Les sources et les mécanismes d'accélération qui en sont à l'origine sont encore aujourd'hui des sujets de recherche foisonnants en physique des astroparticules car la réponse n'est toujours pas claire.

Shan Gao et ses collaborateurs viennent de mettre en évidence un lien entre le flux de neutrinos ultra-énergétiques émanant du jet du noyau actif d'une galaxie vu quasi dans la ligne de visée, ce qu'on appelle un blazar, et les processus leptoniques et hadroniques qui peuvent y avoir lieu dans le jet émanant du trou noir central à l'origine de ce blazar.
Les chercheurs se sont intéressé à un événement rare détecté par IceCube le 22 septembre 2017, dans lequel un neutrino ultra-énergétique d'environ 300 TeV a été vu alors qu'un blazar situé dans la même direction augmentait significativement sa luminosité gamma. Ce blazar est nommé TXS0506+056 et se trouve à une distance de 970 Mpc (3,16 milliards d'a.l).
Il faut savoir que le faible angle de vue de l'axe du jet de ce blazar associé à la vitesse très élevée du plasma du jet induisent en plus un boost relativiste de luminosité d'un facteur 100 à 1000. C'est le télescope gamma Fermi-LAT qui a détecté cette bouffée de TXS0506+056 , en coïncidence avec le neutrino de IceCube, à un peu toutes les énergies du MeV au GeV.
Et deux semaines plus tard, c'est une bouffée de photons gamma d'énergie encore plus élevée (supérieure à 90 GeV) qui a été détectée toujours en provenance de TXS0506+056, cette fois-ci avec le télescope Cherenkov terrestre MAGIC (Major Atmospheric Gamma-Ray Imaging Cherenkov) implanté aux Canaries.
Ces émissions gamma à haute et très haute énergie et la coïncidence avec le neutrino de ultra-haute énergie offrent une solution possible pour comprendre les phénomènes d'accélération des rayons cosmiques de ultra-haute énergie.

Il est généralement accepté que les spectres X et gamma des blazars jusqu'aux énergies des rayons X mous (quelques keV) sont produits par des électrons relativistes via leur rayonnement synchrotron (une émission de photons lorsque l'électron subit une variation de direction). Mais pour les photons de plus haute énergie, deux modèles d'émission sont en compétition impliquant soit des processus leptoniques soit des processus hadroniques. Dans un mode purement leptonique, la partie la plus énergétique du spectre est dûe à l'effet Compton inverse d'électrons relativistes sur les photons du jet ou de l'environnement immédiat (il s'agit d'une diffusion élastique dans laquelle l'électron transfert une grande partie de son énergie cinétique au photon).
Alternativement, dans un scénario hadronique, la production de photons gamma est dûe à des désintégrations de pions et de muons dans une cascade hadronique. Dans ce cas, les protons et les nucléons accélérés dans le jet relativiste produisent des cascades de pions neutres et chargés qui ensuite se désintègrent en muons et en neutrinos (pour les pions chargés) et en photons gamma (pour les pions neutrons). Mais ces protons et nucléons peuvent aussi se retrouver directement au niveau de notre système solaire, et c'est ce qu'on appelle les rayons cosmiques galactiques (GCR)...

Les neutrinos ultra-énergétiques sont ainsi une signature sans équivoque de processus hadroniques dans les jets des blazars. Mais Shan Gao et ses collègues, dans l'article qu'ils publient dans Nature Astronomy, montrent qu'une interprétation purement hadronique du spectre du blazar TXS0506+056 ne marche pas par ce qu'il y aurait alors beaucoup plus de rayons X détectés dans le spectre photonique. Une interprétation purement leptonique serait, elle, cohérente pour le spectre photonique mais on l'a vu, n'est pas possible pour produire des neutrinos. Gao et ses collaborateurs en concluent que le processus en jeu dans le jet du blazar TXS0506+056 est un mélange des deux types de processus : une grosse contribution leptonique, accompagnée par une petite contribution hadronique, juste assez pour fabriquer les neutrinos comme celui détecté le 22 septembre 2017, et pas trop afin de ne pas produire trop de rayons X en même temps. 

Ainsi, selon les chercheurs, les photons X durs et ceux de très haute énergie seraient produits par des processus hadroniques tandis que les photons de l'ordre de MeV et du GeV ainsi que les photons X mous et visibles seraient eux produits par des processus d'origine leptonique. En imaginant ce mélange des deux types de processus physiques dans les bonnes proportions pour retrouver l'aspect des spectres photonique observés, il apparaît comme conséquence que la bouffée de photons très énergétique doit être retardée par rapport aux photons gamma de la plage MeV-GeV. Cet effet retard est dû au fait que les nucléons perdent leur énergie plus lentement que les leptons. Or c'est tout à fait ce qui a été observé par Fermi-LAT et MAGIC. 

Gao et son équipe parviennent donc, grâce à des observations, à bâtir une image des blazars comme étant les accélérateurs de particules produisant les rayons cosmiques ultra-énergétiques. Ils restent néanmoins prudents dans leur conclusion en soulevant quelques problèmes résiduels dans leur analyse comme la cohérence imparfaite entre la luminosité neutrino prédite et celle observée ou le fait que certains paramètres du modèle peuvent prendre différentes valeurs en donnant le même résultat final, un problème typique de la coexistence de mécanismes multiples qui est rencontrée en astronomie à multimessagers.


Source

Modelling the coincident observation of a high-energy neutrino and a bright blazar flare
Shan Gao, Anatoli Fedynitch, Walter Winter & Martin Pohl 
Nature Astronomy (5 november 2018)


Illustrations

1) Vue d'artiste d'un blazar et de la production de photons gamma et de neutrinos (DESY, Science Communication Lab, Nature Astronomy)

2) Processus leptoniques impliqués dans la production de particules dans le jet du blazar (DESY, Science Communication Lab, Nature Astronomy)

3) processus hadroniques impliqués dans la production de particules dans le jet du blazar (DESY, Science Communication Lab, Nature Astronomy)

4) Le télescope Cherenkov MAGIC (Max Planck Institute)

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