mercredi 28 novembre 2018

Neutrinos : MiniBooNE confirme l'anomalie détectée par LSND il y a 20 ans


Les derniers résultats expérimentaux de l’expérience américaine MiniBooNE qui étudie l’oscillométrie des neutrinos vient de rallumer le feu en faveur de l’existence d’une quatrième saveur de neutrino, un neutrino stérile, au-delà du modèle standard de la physique des particules.



Ce qu’observent les physiciens de la collaboration MiniBooNE (Mini Booster Neutrino Experiment) et qu'ils rapportent dans un article paru avant-hier dans la prestigieuse Physical Review Letters, c’est l’oscillation de neutrinos et d'antineutrinos muoniques créés à Fermilab, en neutrinos et antineutrinos électroniques au cours de leur parcours avant d’atteindre le détecteur. La théorie « classique » des neutrinos prédit combien il doit y avoir de transformations de neutrinos mu en neutrinos e en fonction de leur énergie et de la distance parcourue. Mais le détecteur MiniBooNE, une sphère d’huile minérale bardée de 1500 photomultiplicateurs située à 500 m de la zone de production du faisceau de neutrinos (ou antineutrinos) mu détecte trop de neutrinos (ou antineutrinos) électroniques d'énergie comprise entre 200 et 3000 MeV, par rapport à ce qui est attendu d’après la théorie standard. Pris ensemble, l'excès de neutrinos+antineutrinos électroniques détecté par MiniBooNE est de 460,5 ± 99.0 événements (avec un signifiance statistique énorme de 4,7σ). 
Des résultats allant dans le même sens avaient déjà été entraperçus à la fin des années 1990 par une autre expérience, tout à fait différente : LSND (Liquid Scintillator Neutrino Detector) qui était située à Los Alamos. Or MiniBooNE a justement été imaginée pour vérifier la réalité ou non des résultats étonnants de LSND. On peut donc conclure de ces derniers résultats de MiniBooNE à une validation des résultats de LSND. Lorsque les physiciens combinent ensemble les résultats de MiniBooNE et de LSND, la signifiance statistique de cet excès de neutrinos et antineutrinos électroniques atteint 6.0 σ... une valeur suffisante pour être sûr qu'on ne détecte pas du bruit mais bien un signal réel.

Dès les résultats étonnants de LSND en 1996 et 1998, des physiciens avaient proposés l’existence d’une quatrième saveur de neutrino pour expliquer les données expérimentales. Cette quatrième saveur pourrait osciller avec les autres saveurs mais aurait la particularité de ne pas interagir par interaction nucléaire faible comme les autres, mais uniquement via la gravitation. Son absence d’interactions a qualifié ce quatrième neutrino de « stérile ».

Ce qui trouble aujourd’hui les physiciens, c’est que les deux expériences sont différentes, en termes d’énergie de neutrinos, de distance de trajet entre source et détecteur, et de nature de détecteur, mais l’anomalie observée dans les deux cas est résolue en introduisant les mêmes paramètres d'oscillation 𝝙mi4² (les écarts de masse entre les différents états de saveur au carré) pour décrire un nouveau mode d'oscillation vers un état indétectable, stérile. En introduisant cette quatrième saveur, les oscillations du (anti)neutrino muonique vers le (anti)neutrino électronique peuvent se faire selon la théorie modifiée en passant par une oscillation vers le neutrino stérile, et cela plus rapidement que ne l’aurait fait une simple oscillation « directe ». Cela aurait pour effet de produire plus de neutrinos électroniques à l’issue des 500 m séparant la production des nu mu et la détection des nu e et permet d’expliquer l’excès observé par MiniBooNE, mais aussi celui observé il y a 20 ans par LSND.

L’existence d’un neutrino stérile a également été proposée pour expliquer une autre anomalie, observée, elle, dans les flux d'antineutrinos électroniques provenant de plusieurs réacteurs nucléaires, et qui a été appelée l’«anomalie des neutrinos de réacteurs » : un déficit d'antineutrinos électroniques issus des fissions nucléaires, lors de mesures à courte distance. Mais cette anomalie pourrait aussi être expliquée par une mauvaise connaissance des produits de fission de l’uranium et dont la décroissance radioactive est à l’origine de l’émission des antineutrinos des centrales nucléaires.
L’hypothèse des neutrinos stériles a également subi d’autres revers, notamment le fait qu’un déficit de neutrinos muoniques qui devrait être induit par leur oscillation vers la saveur stérile, n’a jamais été observé expérimentalement.

Si l’excès d’événements interprétés comme des neutrinos et antineutrinos électroniques dans le détecteur MiniBooNE est en fait dû à autre chose que des neutrinos, il faut que les particules en cause y produisent des électrons ou positrons de haute énergie, comme le font les neutrinos et antineutrinos électroniques. L’une des possibilités les plus sérieuses qu’ont identifiée les physiciens est le pion neutre 𝝅0. Des pions neutres peuvent être produits lorsque des neutrinos collisionnent des noyaux atomiques. Ces pions ont une durée de vie très courte et se désintègrent en deux photons de haute énergie. Ces photons pourraient alors mimer le signal électronique attendu en produisant des cascades électroniques. Les chercheurs de MiniBooNE ont cependant effectué des mesures dédiées spécifiquement à l’estimation de ce bruit de fond provenant des pions neutres et concluent qu’il ne peut pas à lui seul expliquer l’excès observé. Les physiciens ont toutefois prévu de creuser encore la question par une caractérisation directe de leur détecteur principal en ajoutant des détecteurs à argon liquide tout autour.

Ces nouveaux résultats troublants et excitants vont dans tous les cas servir soit de balise d’alerte soit de piste de recherche pour les prochaines grandes expériences d’oscillométrie des neutrinos que sont DUNE aux Etats-Unis et Hyperkamiokande au Japon. L’enjeu est fondamental : l’existence d’une nouvelle saveur de neutrino serait la porte ouverte vers l’inconnu d’une nouvelle physique au-delà du modèle standard avec des implications astrophysiques considérables.


Source

Significant Excess of Electronlike Events in the MiniBooNE Short-Baseline Neutrino Experiment
A. A. Aguilar-Arevalo et al. (MiniBooNE Collaboration)
Physical Review Letters 121, 221801 (26 November 2018)


Illustrations

1) Visualisation de l'interaction d'un neutrino électronique dans le détecteur MiniBooNE
(Fermilab)

2) Schéma simplifié du détecteur MiniBooNE (MiniBooNE Collaboration/Fermilab)

3) Caractéristiques de l'oscillation du neutrino stérile vers le neutrino électronique déduites de la détection en excès observée par MiniBooNE, comparées avec celles de LSND : 𝝙m41² en fonction de sin2(2𝜽) : les zones se chevauchent, indiquant des mesures cohérentes (A. A. Aguilar-Arevalo et al.)

1 commentaire :

moijdik a dit…

un peu technique l'article! on aurait aimé des graphiques comme https://www.aps.org/units/dnp/research/images/dm2_2.jpg ou https://www.researchgate.net/profile/Pablo_Fernandez16/publication/315458901/figure/fig11/AS:541071487586311@1506012903603/Neutrino-oscillation-probabilities-assuming-initial-state-is-an-electron-neutrino.png ou encore http://www.lppp.lancs.ac.uk/neutrinos/images/neut1.png