La plupart des rayons cosmiques qui ont une énergie supérieure à 1 GeV ont une origine au delà de notre système solaire, une origine galactique. Ces particules chargées sont à 99% des protons et des noyaux d'hélium, de loin les plus abondants. Les noyaux plus lourds sont bien plus rares avec à peine 1%. Les noyaux d'atomes plus lourds sont estimés être produits dans les étoiles et éjectés et accélérés dans l'espace lorsque les étoiles explosent en supernovas. Mais lors de leur trajet jusqu'à la Terre, ces particules chargées électriquement peuvent être déviées par des champs magnétiques qu'elles rencontrent ou même être fragmentées lors d'interactions dans le milieu interstellaire pour devenir des "rayons cosmiques secondaires". C'est pour ces raisons que la direction d'où nous parviennent les rayons cosmiques galactiques ne nous dit rien sur leur lieu d'origine, au contraire des photons et encore plus des neutrinos.
Du fait de ces multiples déviations magnétiques, un détecteur comme AMS-02 (Alpha Magnetic Spectrometer) installé à bord de l'ISS depuis plus de 15 ans, voit des noyaux d'atomes arriver de toutes parts, avec des contributions de très nombreuses supernovas qui ont pu exploser depuis des millions d'années. Ces rayons cosmiques (qui n'ont de rayon que le nom, vous l'aurez compris) contiennent donc une information sur les supernovas, sur les processus de nucléosynthèse des étoiles, et sur la structure de notre Galaxie et du milieu interstellaire. Ce sont toutes ces informations que les astrophysiciens espèrent extraire à partir des spectres des rayons cosmiques traçant la répartition de leur flux en fonction de leur énergie.
Le détecteur AMS-02 est un gros détecteur qui permet de compter les particules qui arrivent sur lui en les triant en fonction de leur énergie, de leur masse et de leur charge électrique. Il peut ainsi mesurer les flux de particules et d'antiparticules diverses, depuis les électrons et positrons jusqu'aux noyaux atomiques lourds en passant par les simples protons ou antiprotons. L'information cruciale qui intéresse les physiciens des astroparticules pour tenter de comprendre au mieux l'origine de ce rayonnement cosmique, c'est comment ce répartit le flux de ces particules en fonction de leur énergie cinétique. Pour construire ce type de courbe (leur spectre), on a besoin de beaucoup de particules détectées, afin d'avoir des incertitudes les plus petites possibles. Au minimum quelques millions de particules pour chaque type pour parvenir à ce qu'on appelle des mesures de précision, qui montrent une barre d'erreur inférieure à 1%.
C'est ce qu'a permis AMS-02 en collectant patiemment 1,8 millions de noyaux de néon (Ne), 2,2 millions de noyaux de magnésium (Mg) et 1,6 millions de noyaux de silicium (Si) durant plusieurs années. Les précédentes barres d'erreur (incertitudes sur le flux incident) étaient de l'ordre de 20%, AMS-02 les a réduites d'u facteur 20! Plutôt que d'énergie pour les noyaux lourds à plusieurs nucléons, on parle de "rigidité", la rigidité est égale à l'énergie cinétique divisée par la charge électrique du noyau, exprimée en Volts). Elle s'étale ici entre 2,15 GV et 3 TV (ce qui veut dire une énergie cinétique comprise entre 30,1 GeV et 42 TeV pour les noyaux de silicium par exemple, qui ont un numéro atomique de 14).
Les physiciens peuvent donc comparer facilement les flux de différents noyaux d'atomes du rayonnement cosmique en fonction de leur rigidité. En traçant comment se répartissent les flux de néon, magnésium et silicium mesurés avec une excellente précision et en les comparant avec ce qu'ils avaient obtenu en 2017 avec des noyaux plus légers (jusqu'à l'oxygène), les chercheurs de la vaste collaboration internationale toujours dirigée par le sémillant chercheur du MIT Samuel Ting (84 ans) montrent l'existence de points communs, mais aussi de différences totalement non prédites.
Au dessus de 3,65 GV, les spectres du Ne et du Mg ont une dépendance identique en fonction de la rigidité. Les trois spectres ont ensuite une dépendance identique au dessus de 86,5 GV, et dévient d'une simple loi de puissance au-dessus de 200 GV et les spectres se durcissent de la même façon. De façon inattendue, la forme du spectre de ces trois noyaux Ne, Mg et Si qui montre des points communs avec les noyaux légers He, C et O, montre aussi des différences, notamment aux plus hautes rigidités. Aucun modèle théorique ne parvient à reproduire ces différences, selon Ting. Les chercheurs de la vaste collaboration en concluent que Ne, Mg et Si font partie d'une classe de rayons cosmiques primaires différente de celle de He, C et O, suggérant sans doute une origine différente.
Les points communs qui existent cependant entre les spectres des six noyaux atomiques sont remarquables car ils pointent vers les propriétés du milieu interstellaire. A ces énergies, le mouvement des particules chargées peut être modélisé comme une diffusion de charges électriques dans un milieu magnétisé turbulent. Comme le silicium est plus enclin à se fragmenter que les autres noyaux, les noyaux de silicium qui sont détectés - intacts - doivent provenir de sources relativement proches et en moyenne plus proches que celles produisant les noyaux plus légers. D'après les comparaisons des spectres du silicium et des autres noyaux, il semblerait donc que la turbulence moyenne du milieu interstellaire ne change pas beaucoup sur de grandes échelles.
Concernant les différences observées entre noyaux légers et noyaux lourds, les premières estimations des théoriciens quant à une origine différente vont même jusqu'à mettre en cause des types de supernovas différents, mais ils sont conscient qu'il faudrait aller plus loin vers les noyaux atomiques encore plus lourds, au moins jusqu'au fer, pour pouvoir affirmer une telle petite révolution dans notre compréhension de la production des rayons cosmiques primaires.
On l'a compris, la balle est désormais dans les deux camps : d'un côté les théoriciens doivent commencer à chercher un nouveau modèle capable d'expliquer les spectres observés par AMS et de l'autre, les astroparticulistes exploitant AMS-02 doivent continuer à collecter et mesurer des rares noyaux atomiques de masse et énergie toujours plus élevées, pour atteindre la précision qui a fait leur renommée.
Source
Properties of Neon, Magnesium, and Silicon Primary Cosmic Rays Results from the Alpha Magnetic Spectrometer
M. Aguilar et al. (AMS Collaboration)
Phys. Rev. Lett. 124, 211102 (29 May 2020)
Illustrations
1) Le détecteur AMS-02 sur l'ISS (NASA)
2) Spectres comparés des trois noyaux légers et des trois noyaux lourds (flux multiplié par le rigidité à la puissance 2,7 en fonction de la rigidité (Aguilar et al., AMS Collaboration)
5 commentaires :
Bonjour,
Une petite question qui n'a rien à voir avec le thème du billet mais avec la photo.
Les panneaux solaires apparaissent blancs sur la photo alor que ceux que l'on a sur nos toits sont noirs, y-a-t-il une raison technique ou est-ce à cause de la lumière du soleil (non filtrée par l'atmosphère)?
Merci d'avance de m'éclairer de vos lumières ;D
Désolé mais je n'en ai aucune idée. Comme ça, je dirais qu'ils ne sont pas du même type ? Je vous laisse chercher d'autres images de l'ISS vue sous d'autres angles, ça peut donner des indications...
Effectivement, vu sous d'autres angles d'éclairage (google images), ils apparaissent de couleur sombre comme ceux que l'on trouve sur le "plancher des vaches". Je pense que leur couleur blanche sur cette photo vient du reflet de la lumière du soleil. Désolé pour cette question qui n'en était pas une.
Bonjour,
Les éléments blancs "en accordéon" visibles sur la photo ne sont pas, me semble-t-il, des panneaux solaires (qui eux sont plans et orthogonaux aux précédents, comme celui visible, de couleur orangée), mais des radiateurs photovoltaïques ; " Les équipements de régulation du courant sont refroidis à l'aide d'un circuit dans lequel circule un fluide caloporteur (de l'ammoniac), qui évacue la chaleur grâce à un ensemble de radiateurs attachés à chaque élément de poutre porteur de panneaux solaires. Chacun de ces quatre radiateurs photovoltaïques (PVR), comportant sept éléments d'une surface totale de 13 mètres sur 3,4 mètres et pesant 0,8 tonnes, permet d'évacuer jusqu'à 9 kW d'énergie." (Wikipedia sur l'ISS, et cf les photos du même article)
Merci Pascal pour ta réponse.
Et moi, je vais me cacher, trop la honte de même pas avoir lu le wiki en entier...
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