C'est à des chercheurs basés au Royaume-Uni, au Canada et aux Pays-Bas que l'on doit ce travail remarquable. Seshadri Nadathur (Institute of Cosmology and Gravitation, University of Portsmouth) et ses collaborateurs ont combiné des observations de deux types : d'une part comment se répartissent les grands vides entre les amas ou superamas de galaxies, et d'autre part, comment se répartissent les filaments cosmiques contenant des millions de galaxies regroupés en amas. En effet, les amas de galaxies forment des superstructures qui ne sont pas distribuées au hasard : elles forment des sortes de gigantesques bulles qui sont des résidus des surdensités qui existaient dans le plasma de l'Univers très jeune. Ce plasma était alors parcouru par des ondes acoustiques (vibrations de zones surdenses ou sous-denses) et ce sont ces ondes acoustiques qui ont finalement donné naissance aux formes des superstructures galactiques qui existent aujourd'hui plus de 13 milliards d'années d'expansion plus tard. Ces oscillations sont appelées les oscillations acoustiques baryoniques (car elles concernent la matière ordinaire, baryonique), en anglais : BAO (Baryonic Acoustic Oscillations).
Or on sait parfaitement quelle taille faisaient ces oscillations acoustiques dans l'Univers primordial. On peut donc connaître précisément quelle doit être la taille de ces "bulles" à n'importe quelle époque ultérieure. La mesure de la distribution à très grande échelle des galaxies et amas de galaxies donne ainsi une mesure de la taille de ces reliques de BAO et donc, à partir de la taille théorique qu'elles devraient avoir pour un redshift donné, on en déduit quelle est la distance de cette structure galactique. A partir du redshift et de la mesure de distance, les astrophysiciens déterminent le taux d'expansion cosmique, et son évolution dans le temps, son accélération, ainsi que d'autres paramètres cosmologiques comme la courbure spatiale de l'Univers.
Pour faire ces analyses, Seshadri Nadathur et ses collaborateurs ont exploité le très grand relevé galactique du Sloan Digital Sky Survey, un relevé qui contient plusieurs millions de galaxies, collectées durant près de 10 ans.
Les résultats des astrophysiciens atteignent une précision meilleure que ce qui était obtenu classiquement avec des supernovas : oui, il y a bien une accélération de l'expansion, et l'Univers est bien spatialement plat. C'est ce que trouvent Nadathur et ses collaborateurs avec leur méthode. Les chercheurs obtiennent une évidence pour l'existence d'une accélération de l'expansion avec une signifiance statistique supérieure à 10σ... et cela indépendamment des données sur les supernovas ou de celles du CMB. La valeur du paramètre de densité associé à la constante cosmologique est légèrement plus faible que celle trouvée avec les supernovas mais reste cohérente avec elle : ΩΛ = 0,60 ± 0,058 (à comparer avec ΩΛ=0,73 ± 0,12 obtenue avec les supernovas).
Ensuite, en injectant dans les équations la densité de matière baryonique Ωb qui est déduite de la nucléosynthèse primordiale (l'abondance des éléments légers hydrogène, deutérium et hélium) indépendamment là encore des mesures des fluctuations du CMB, Nadathur et son équipe déduisent une valeur pour la constante de Hubble Lemaître, qui est donc totalement indépendante des mesures de H0 effectuées par ailleurs, et qui montrent un gros désaccord entre celles issues de l'Univers jeune (les mesures du CMB) et celles issues de l'Univers tardif (via les Céphéides et les supernovas). Et outre qu'il s'agisse d'une nouvelle voie de mesure, ce qui est très intéressant dans cette nouvelle évaluation complètement indépendante, c'est que les chercheurs ont utilisé des oscillations acoustiques baryoniques situées à différents redshifts (différentes distances cosmologiques)... Vous devinez la suite ? En fonction de la distance des oscillations acoustiques baryoniques qu'ils utilisent dans leur analyse, Nadathur et ses collaborateurs ne trouvent pas la même valeur de H0 !
Ils font deux analyses : une première qui exploite des BAO situées à des redshifts compris entre 0,1 et 2, ce qui signifie à des distances cosmologiques entre 3,4 milliard et 12,5 milliards d'années post Big Bang et une seconde avec l'ajout en plus de BAO situées à un redshift z=2,34 (donc situées à une distance de 2,9 milliards d'années après le Big Bang, un peu plus près du rayonnement de fond diffus cosmologique...). Dans le premier cas, Nadathur et ses collègues trouvent une valeur de H0 =72,3±1,9 km.s−1.Mpc−1 (contour orange sur la figure ci-contre), qui semble donc en accord avec les mesures locales obtenues avec les supernovas et les Céphéides (qui vaut rappelons-le 74,03 ±1,42 km.s−1.Mpc−1), mais dans le deuxième cas avec l'ajout de BAO plus lointains, ils obtiennent une valeur H0 = 69,0 ± 1,2 km.s−1.Mpc−1 (contour bleu), qui paraît donc cette fois-ci en accord avec la mesure de Planck sur le CMB (qui vaut 67,4 ± 0.5 km.s−1.Mpc−1) et donc en désaccord avec le supernovas de l'Univers proche...
Pour résumer, une nouvelle méthode très puissante a été utilisée pour déterminer les paramètres du modèle cosmologique ΛCDM de façon indépendante des autres méthodes couramment exploitées (CMB ou supernovas). Les résultats obtenus confirment la pertinence du modèle ΛCDM avec l'existence nette d'une accélération de l'expansion cosmique dans l'Univers tardif, ainsi que la platitude spatiale de l'Univers (contredisant certaines études récentes). La constante de Hubble-Lemaitre (le taux d'expansion actuel) qui est déterminée montre cependant une différence en fonction de l'âge des structures galactiques qui sont utilisées dans l'analyse, un phénomène qui n'a pour l'instant pas d'explications mais qui pourrait nourrir et faire fructifier le débat actuel sur ce paramètre cosmologique clé...
Source
Testing Low-Redshift Cosmic Acceleration with Large-Scale Structure
Seshadri Nadathur, Will J. Percival, Florian Beutler, and Hans A. Winther
Physical Review Letters 124, 221301 (2 June 2020)
Illustrations
1) Petit échantillon de 120 000 galaxies du relevé SDSS et reconstruction de leur distribution en 3D (Jeremy Tinker and the SDSS-III collaboration)
2) Valeurs de la densité associée à la constante cosmologique ΩΛ en fonction de la densité de matière Ωm (Nadathur et al.)
3) Valeurs de la densité de matière Ωm en fonction de H0 (Nadathur et al.)
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