mercredi 3 juin 2020

L'activité passée de Sgr A* toujours visible 3 millions d'années plus tard


Les nuages de gaz du système de Magellan, comprenant les structures filamenteuses nommées le Magellanic Stream et le Leading Arm qui entourent les nuages de Magellan viennent d'être étudiées dans le domaine UV et révèlent le passé pas si lointain de l'activité du trou noir de notre galaxie... Une étude à paraître dans The Astrophysical Journal.




C'est bien sûr avec le télescope spatial Hubble et son spectrographe COS (Cosmic Origins Spectrograph) que Andrew Fox (Space Telescope Science Institute) et ses collaborateurs ont exploré les propriétés cinématiques de l'ionisation (l'intensité et les caractéristiques de l'ionisation) du Magellanic Stream et du Leading Arm. Ils ont pour cela utilisé une population de 31 quasars lointains dont ils ont observé l'absorption de la lumière UV à travers le gaz (21 à travers le Stream et 10 à travers le Leading Arm). En utilisant cette méthode, les chercheurs parviennent à quantifier les différences qui existent entre les raies d'absorption d'ions faiblement, moyennement ou fortement ionisés, respectivement les raies Si II et C II du silicium et du carbone (ionisés 1 fois), la raie Si III (ionisé 2 fois) et les raies Si IV et C IV (ionisés 3 fois). Les chercheurs ont comparé les mesures obtenues en fonction de la zone explorée. Ils trouvent l'évidence remarquable que la région du Stream a subi une ionisation beaucoup plus forte que celle du Leading Arm. 
Le Leading Arm montre bien des raies ionisées Si IV et C IV mais ces raies sont beaucoup plus élargies que celles observées dans le Stream. Cette différence subtile indique que l'origine de l'ionisation est différente. La triple ionisation dans le Leading Arm a été produite par des collisions d'atomes selon les chercheurs, tandis que celle observée dans le Stream, avec des raies beaucoup plus étroites, est typique d'une photoionisation : les atomes y ont été ionisés par des rayons X ou des rayons gamma.
Or, la seule chose qui différencie ces deux nuages de gaz, c'est leur trajectoire dans le voisinage de notre galaxie : le nuage du Stream est passé à l'aplomb du pôle sud du trou noir Sgr A* il y a quelques millions d'années mais pas le Leading Arm qui lui en revanche, se trouve un peu plus près du plan galactique et subit donc naturellement plus de collisions atomiques ou moléculaires ... 
Il n'en fallait pas plus pour Fox et ses collaborateurs pour faire le lien avec un modèle d'éruption de l'activité du trou noir galactique proposé en 2013. Une bouffée de rayonnements ionisants aurait ainsi produit la photoionisation des atomes du nuage de gaz du Stream lorsqu'il passait à l'aplomb de Sgr A*. Une telle bouffée est la seule à même d'expliquer le niveau d'ionisation des atomes de silicium et de carbone qui est observé et la caractéristique des raies d'absorption. Une bouffée de rayonnement associée à une activité de type Seyfert de notre trou noir supermassif est permet aussi d'expliquer l'intensité de la raie Hα qui est observée dans le nuage du Stream. 
Et, il y a un autre élément qui va dans le même sens que cette conclusion d'une activité passée du trou noir. C'est la plage temporelle dans laquelle cet événement aurait eu lieu : il y a quelques millions d'années. Elle correspond tout à fait avec la période de l'activité du trou noir qui a donné naissance à ce qu'on appelle les Bulles de Fermi, deux lobes de plasma s'étendant de part et d'autre du plan galactique et qui émettent toujours des rayons gamma, des structures très étendues aujourd'hui qui ont été découvertes avec le télescope gamma Fermi en 2010. 
L'activité intense de Sgr A* il y a environ 3 millions d'années aurait produit des jets de particules et de rayonnement de part et d'autre du plan galactique, une activité qui montre encore des traces aujourd'hui. On estime qu'il aurait pu s'agir de l'accrétion et de l'absorption d'un nuage de gaz, ou bien de celle d'une étoile qui serait passée un peu trop près du trou noir. La Voie Lactée des premiers hominidés devait être bien plus lumineuse que la nôtre...

Source

Kinematics of the Magellanic Stream and Implications for its Ionization
Andrew Fox et al.
à paraître dans The Astrophysical Journal


Illustration

Schéma de la trajectoire du Magellanic Stream (NASA, ESA, and L. Hustak (STScI))

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